#82

Lu: Kaarib de David Calvo & Jean-Paul Krassinsky (chez Dargaud; sous-titre: La dernière vague).

Une bédé, oui, mais pourtant: du pur Calvo!

Avec des pirates, une déesse noire, des mauvais génies, des snobs, des paumés, des soldats anglais, des putes, des poursuites sur les toits, des bateaux, une vague géante peut-être issue de l’Atlantide, et surtout: une équipe de trois super-enquêteurs aux frais de Barbe Noir (qu’on dit mort, ou bien défiguré, mais qui semble toujours diriger occultement les Caraïbes) — équipe nommée Davy Jone’s Locker, l’un des noms du Diable dans la mythologie pirate, et constituée d’une sorte d’Emma Peel sirène, d’un gamin gouailleur & débraillé, et d’un parfait gentleman.

Dessin très chouette (quelque part entre les Disney modernes & l’élégance d’un Marini), couleurs superbes (quel dommage que tous ces abrutis d’éditeurs modernes tiennent absolument à foutre du papier glacé, qui cache le dessin sous ses reflets!). Et scénar taré comme Calvo sait les faire. Seul reproche: on ne comprend pas grand chose, ce qui me semble peut-être un peu problématique pour « accrocher » un fort lectorat dés le tome un… Mais ce doit être le libraire qui parle là! 😉

Pour autant, je ne suis pas déçu, au contraire: je suis enthousiasmé par la manière dont l’imaginaire calvesque passe sans compromis au média « bédé ». Les amateurs de Wonderful et de nouvelles comme celle sur la Jabule devraient y retrouver le même plaisir… Et en prime, la première édition (donc celle qui est parue cette semaine) comporte des pages en plus, avec des croquis & un texte « documentaire » bien calvesque.

#81

Je sais, je sais: quatre jours sans post… Et ça ne va pas tout de suite s’arranger: je suis quelque peu débordé, là tout de suite maintenant… J’ai reçu des copains, là je reçois mes parents, et jeudi je file d’abord en Touraine, puis à Nantes pour tout le week-end, afin d’assister au festival Utopiales où les éditions Gallimard ont eu l’infinie bonté de m’inviter. Et je ne vous parle pas de la prochaine installation d’un co-locataire, et des chats, et du frigo, et…

Enfin bref, si vous êtes sages, je vous raconterai peut-être un peu d’Utopiales en rentrant…

#80

Tous les ans un livre que je reçois avec un immense plaisir: The Year’s Best Fantasy & Horror. J’ai reçu hier le volume 14.

Il s’agit d’un gros pavé (dans les 600 pages) coordonné par Ellen Datlow & Terri Windling, réunissant le meilleur des nouvelles fantastique (elles disent nonrealist) parues en langue anglaise dans l’année précédente. Et quand elles disent le meilleur… on peut leur faire confiance!

Terri Windling s’occupe de la partie fantasy (au sens très large) et « réalisme magique », Ellen Datlow sélectionnant pour sa part les nouvelles d’horreur. Chacune de ces anthologies est absolument remarquable, un concentré d’excellence littéraire & fantastique. Où croyez-vous que j’avais trouvé la matière de Fées & Gestes? (mon antho de fantasy parue chez Bifrost/Étoiles Vives) Pour beaucoup dans les Datlow/Windling, bien sûr. Et je rêverai d’en réaliser un ou deux autres, des recueils de ce type — car il y a vraiment une matière formidable & vaste, dans le domaine de la nouvelle de fantasy, et presque personne n’en publie en France, hélas.

À la sélection proprement dite, Datlow & Windling ajoutent en ouverture de chaque volume deux panoramas annuels des genres qui les concernent. L’horreur n’étant pas trop ma tasse de thé, je reconnais que je ne lis pas celui de Datlow, non plus que la plupart des nouvelles qu’elle choisit — mais en revanche je me précipite sur le survol windlingien. J’y trouve en effet la référence du principal des livres (de fantasy) que je peux lire tout au long de l’année… Outre son « Top twenty » bien détaillé, Windling y brosse le panorama de toutes les catégories de la fantasy littéraire: first novels, contemporary and urban fantasy, imaginary world novels, historical and alternate-history fantasy, mythic fiction, humorous fantasy, fantasy in the mainstream, in other genres (les « fusions », de plus en plus nombreuses), children’s fantasy, reprints of classics, single-author story collections, anthologies, poetry, magazines, art, picture books, nonfiction, mythology and folklore…

Windling ne fouille pas seulement dans les collections spécialisées des grands éditeurs anglais & américains, elle explore également l’immense territoire des petits éditeurs, et celui des étagères de romans non-étiquettés. Et je suis d’ailleurs très fier de moi, cette fois-ci: j’ai déjà repéré & acheté trois des romans qu’elle recommande, dans le domaine de la fantasy pour « grands ados » (car ça semble se développer enfin, après des années de ce que Windling nomme fort justement the over-emphasis on « problem novels » and strict realism — le lecteur français pensera aussitôt à l’École des Loisirs…).

De même, pour les nouvelles sélectionnées les anthologistes ne se contentent pas de dépouiller les revues & anthologies de genre, mais aussi tout ce qui est revues littéraires, sites web de fictions, petit recueils à tirage limité, presse underground, recueils publiés en mainstream, etc. Ce qui permet de mettre en lumière des textes qui seraient sinon demeurés inconnus. Je demeure toujours sidéré par la masse de documents qu’elles peuvent lire/trier, même aidées par leurs secrétaires cela représente une tache inouïe…

#79

Entendu aujourd’hui, dans la librairie où je bosse…

Un gamin, contemplant les immenses piles de bouquins: « Oh là là, qu’est-ce que ça pue les livres ici! Je déteste l’odeur des livres. »

Un homme, entrant dans la boutique avec un micro-onde collé contre l’oreille: « Oui mais il faut que tu me dise dans quel coin je vais trouver ça, parce que c’est plein de livres là-dedans! »

#78

Ce n’est pas terrible, ces horaires provisoires à moi que j’ai. N’être libre que le matin (par opposition avec l’après-midi) ne me pousse pas à bosser, maquetter, écrire… Mais bien plutôt à glander chez moi, sans vraiment rien faire — si ce n’est lire des weblogs, par exemple. Le temps gris n’aide pas non plus à me donner la pêche, faut dire: ciel tout blanc/gris, lumière faiblarde, j’ai l’impression de ne pas être encore vraiment réveillé…

Les weblogs sont-ils de la littérature? Ou bien aller régulièrement lire les humeurs & impressions de Meg-de-Londres, de Meg-de-San Francisco ou d’Anna-de-Iona est-elle une démarche relevant du voyeurisme? Sans doute un peu… Pourtant, ces trois filles (parmi une foultitude quasi infinie de weblogs disponibles — comment les découvrir sauf en tombant dessus par hasard & par recommendations d’autres personnes?) ont un sacré beau brin de plume. La londonienne (Meg Pickard) estime d’ailleurs être en train de devenir une véritable écrivain — et le prouve avec les petits textes qu’elle a archivé ailleurs sur son site (rubrique « Words »); sa soeur Anna me fait rire & me passionne autant que n’importe quel bon bouquin de litgen — bref: ce sont de vraies vies mais leur mise en scène par le biais des weblogs les transforme en littérature. Une autre forme de littérature, en tout cas. Nouvelle & intellectuellement excitante.

Et démocratique, aussi — à sa manière: certes, tout le monde ne possède pas un ordinateur; tout le monde ne possède pas le même accès au Web (plus ou moins coûteux, plus ou moins rapide). Mais quand je pense que fut un temps on nous prédisait la mort des Lettres suite à l’envahissement de l’informatique dans nos vie… Au lieu de quoi, on ne cesse d’inventer de nouvelles façons de communiquer par écrit. De nouvelles manières de faire de la littérature, et de donner l’accès à celle-ci. Enjoy!