#84

Vendredi 2: Ah, la volupté de se réveiller dans la grande & belle chambre d’amis de mes parents, au chaud sous la couette, des lys tressés sur le papier peint, le silence douillet de la campagne. Je demeure un bon moment à me prélasser, réveillé mais n’ayant pas l’envie de me lever. Finalement, lorsque j’émerge enfin les parents me préviennent qu’ils doivent aller au marché. Je fais un bref tour dans le jardin — rarement l’occasion de le voir en hiver — puis je remonte au bureau pour bouquiner. Les vieux dictionnaires de mon père me donnent l’idée d’aller vérifier quelques mots anciens — je trouve bien le verbe « féer » (enchanter) dans le plus vieux des volumes, mais il y est déjà donné comme « vieux mot »! Cherchant « contus » (encore présent de nos jours dans le Petit Robert) je déniche juste avant un « controuvé » que je ne connaissais pas…

Finalement, j’ai un train assez tard pour Nantes, depuis Saumur où papa me conduit. Sandwiches amoureusement préparés — flûte, une des pommes est pourrie au coeur. Le mien, de coeur, est plutôt léger: curieusement, alors que je n’ai jamais habité dans cette région, je m’y sens néanmoins « chez moi », la simple vue des murs de pierre blanche & des toits d’ardoise sombre me met en joie, Saumur, Angers, tout dans le décor me dit « home »

Arrivant en gare de Nantes, je découvre sur un plan que mon hôtel (« L’Hôtel », en toute simplicité!) se trouve au bord de la place Duchesse de Bretagne, donc tout près. Maman avait insisté pour que j’emporte une grosse veste, craignant que j’ai froid dans mon seul veston. Mais il fait très beau, ciel bleu figé d’hiver, je décide de tenter l’expérience de ressortir en veston.

En quittant l’hôtel, je remonte encore un peu la rue Henri IV avant de bifurquer: plaisir de savoir dans quelle direction me diriger bien que je me trouve dans une ville qui m’est essentiellement étrangère; plaisir de me promener dans des lieux à la fois reconnus & inconnus; plaisir d’être dans une ville, ancienne, séduisante — intrigante comme toutes les villes.

Nana n’était pas là, dommage; j’ai vu ma filleule Suzanne, bien sûr, et son père Jako — et les chats, énormes, dolents, amicaux. Direction la Cité des Congrès: il est près de 15h, bien temps d’y aller. Le temps est doux, le soleil lointain mais riant. J’aime beaucoup les abords du canal St Félix: l’enchevêtrement de ponts, passerelles, voies ferrées, chemins de halage, la tour excentrique de l’ancienne usine LU (le Lieu Unique, désormais, resto/bar/librairie/salle de spectacle ô combien branchouille), le grand biscuit sur un ex-entrepot de l’autre côté de l’avenue, les pêcheurs tranquilles, les péniches jaune & noir, la tour tordue de l’autre côté du canal, & le passage piéton entre la double rangée d’immeubles ultra-modernes, de cette élégance pseudo-fifties caractéristique de la fin des années 90, fins auvents de métal brossé & trottoirs en bois — j’adore!

Cité des Congrés: verre & bois, comme un canyon de mains d’hommes, vaste & luxueux, bruissant déjà de toutes les discussions, chaud – trop chaud presque. J’ai à peine le temps de faire deux ou trois pas dans l’espace librairie (au rez-de-chaussée cette fois-ci, contrairement à l’an passé où il avait été cantonné sur la mezzanine) que des copains m’abordent. « Tu viens d’arriver? » ou « T’es arrivé quand? », questions rituelles. Célia Chazel me dit gentiment que ça lui fait plaisir de me voir. Audrey Petit est également là, bien sûr. Plaisir partagé: ces filles sont adorables. Bises à Gilles Dumay & Ugo Bellagamba, à Johan Heliot aussi après une brève hésitation de sa part (ah, cet amusant reste de machisme qu’ont tant de gars envers les bises). Chaleur/plaisir des retrouvailles. Direction le bar, déjà: il faut prendre l’ascenseur, les lieux sont gardés – mais j’ai un badge d’invité, cette année, âprement négocié par mon Sébastien d’éditeur…

Le reste de la journée? Les copains, bavardages, papotages, rigolades, je fonctionne au jus de tomate… Nous tentons, avec Ugo, d’assister au débat animé par Eric Vial. Las, entre les deux Eric (Henriet est à l’autre bout du podium) les invités n’ont guère l’occasion de s’exprimer, et puis il ne semble guère y avoir de thème, nous ressortons. Ce sera la seule conférence à laquelle j’assisterai de tout le festival — alors que j’en avais « fait » plusieurs, très intéressantes, l’année précédente. mais cette fois je préfère m’alanguir au bar, je suis venu pour les copains, nothing else.

Le soir venu, Audrey suggère que nous mangions du poisson, Gilou connaît un beau resto. Manque de bol, il est plein: nous nous rabattons sur une pizzeria, qui outre des pizzas géantes, vraiment, sert aussi des plats de fruits de mer. Audrey & moi avons pris une fricassée au curry – délicieuse mais pas facile à manger sans se tacher. Il y a là Ugo, Gilou, Johan, Audrey, Célia, qui d’autre? Ah si: les deux compères qui devaient nous rejoindre n’ont pas trouvé le resto de poisson, mais aterrisssent sous la vitrine de la pizzeria, je leur fait signe de nous rejoindre: Pierre-Paul Durastanti, de sortie pour une fois, & Sébastien Guillot. Nous finissons la nuit dans un pub recommandé par Seb (qui a fait ses études à Nantes): voûtes trop basses, espace exigu, sièges couvert de peau de vache, musique excécrable (variété années 80!), bière en bouteille — enfin tant pis, les rires & discussions suffisent à emplir cette nuit, jusqu’à 2h la fermeture du bar.

#83

I’m back.

Et comme promis (?), une tentative de compte-rendu de mon week-end nantais… Je vais tacher de poster une journée chaque jour — si vous voyez c’que j’veux dire… Et je commence tranquille, avec une journée préliminaire mais non festivalière.

Jeudi 1er: mes parents étant de passage à Lyon au début de cette semaine & étant venus en voiture, il avait été décidé que je monterai avec eux en Touraine, avant de filer sur Nantes pour le festival. Nous partîmes donc ce jeudi, vers 10h du matin. C’est avec un rien d’inquiétude que je laissais Nina: à la fois je savais qu’Olivier débarquerais dans l’après-midi même pour s’installer chez moi avec ses cliques & ses claques — et qu’il s’occuperais donc de la nourrir. Mais à la fois aussi, Olivier devais amener sa propre petite chatte, Drusila. Comment la cohabitation féline allait-elle se dérouler? Comment Nina réagirait-elle? C’est donc avec la vague impression qu’Olivier n’allait peut-être pas passer un super-week end que je montais dans la petite voiture blanche de mes parents…

Nous ne prîmes pas trop l’autoroute: nous avions le temps, et pouvions emprunter tranquillement les petites routes — celles qu’un bel euphémisme xyloglote désigne désormais sur les panneaux routiers d’un « route touristique » assez amusant. Nous arrêtâmes donc à Cluny histoire de visiter un peu — ravissante petite ville. Je fus surpris de constater comment elle était littéralement enchassée dans la campagne, sans transition banlieusarde. Et quelle campagne! De vertes collines découpées par le quadrillage des haies (ce que des Berrichons nommeraient « des bouchures », précisa maman), un paysage de tableau champêtre: je ne connaissais pas la Bourgogne, jolie découverte! Cluny elle-même m’a également frappé par son aspect ô combien typiquement français. Presque une petite ville archétypale. Nonobstant son abbaye, bien sûr — entre ruines élégantes et clochers bien préservés. Belle & étrange vue filante depuis le parvis: de larges escaliers puis une rue aux murailles blondes, montant au sein des ruines & effectuant la transition avec les maisons habitées. Une tranche de paysage urbain inhabituel, comme un décor — souvenir de certains de mes « rêves de villes ».

Déjeuner un peu plus loin, au sommet d’un minuscule village, face à une grise église du XIe: une auberge perdue en haut d’une colline — perdue mais connue, visiblement, s’il faut en juger par l’affluence en ces lieux pourtant loin de toute civilisation.

Route paisible, ensuite. Sieste, longue. Halte surréaliste: un astroport pour extraterrestres érigé au beau milieu de l’autoroute! Raël serait-il parvenu à ses fins? Que sont ces fils tendus en un large cercle, ponctués de soucoupe? La petite rotonde centrale n’abrite que la prosaïque réalité d’une restoroute. Dommage. Y’a tout de même des architectes barjos.

Dusk: j’aime ce mot anglais, traduisant pour moi si bien l’effet de poussière indistincte de la tombée de la nuit, le passage au bleu/gris, le moment où le ciel semble encore empli de lumière mais n’éclaire plus la nature que de manière trouble… Pas grand-chose à voir, de toute manière. Nous arrivons en Touraine lorsqu’il fait déjà nuit noire. Je téléphone à Olivier, tout de même. Tout va bien…