#250

Noté le jeudi 6 juin:

Pour ce matin, je me suis concocté un petit programme d’exploration avec comme prétexte diverses étapes littéraires. L’un des avantages de ce parcours est qu’il débute tout de suite, à côté de l’hôtel. Il ne pleut pas mais Londres est dans les nuages, j’avance au sein d’une bruine très fine.

Première halte : au bout de Chad Street, face au magasin de jazz. Simplement une petite façade noire, sans intérêt intrinsèque – mais autrefois se trouvait à cet endroit la source Chad (Chadswell). De l’autre côté de Gray’s Inn Road, je m’enfonce dans l’étroite Chad’s Place où les maisons ont conservés une allure essentiellement holmèsienne, en dépit du digiphone et des portes en métal brossé de la National Playing Fields Association. Sous mes pas gronde le train. Je tente une photo à travers le grillage, à un endroit où il y a juste la place pour glisser l’objectif : photo un peu au hasard, des quais en-dessous et d’un angle mort couvert de végétation – le résultat n’est pas trop mal. De toute manière je ne sais pas (encore ?) prendre de bonnes photos. mes clichés ne sont que des aides-mémoire personnels.

Comme presque partout dans Londres, décidément, les anciens entrepôt ont été réhabilités & abritent des structures ultra-moderne en complet contraste avec leur façade. Tel cet immense bureau à surface ouverte, dont les larges baies vitrées sont soulignées par un trait lumineux en néon bleu. Il est amusant de se promener dans ces petites rues – à deux pas de l’hôtel & que je n’avais pourtant pas encore explorées. Elles présentent le spectacle désormais familier & qui m’est cher de ce fertile mélange de friches industrielles (partiellement réhabilitées), de terraces traditionnelles, de voies ferrées & de terrains vague. Au milieu d’un de ceux-là s’élève la silhouette massive d’une cheminée tronquée – que peut bien être ce corps en brique ? Peut-être une voie d’évacuation des vapeurs du train sous-jaccent ? Un groupe d’immeuble nommé Derby Lodge présente un visage inhabituel : en brique jaune très pâle, sa façade est régulièrement ponctuée par des balcons aux ferronneries compliquées. Ni Art nouveau ni Art déco, une création discrètement singulière & plaisante. Buddleia : peut-être la plante reine de Londres. Elle pousse partout, sur le toit d’un garage, dans les interstices d’une façade usée, dans la friche au pied d’une maison en ruine – dans laquelle s’affèrent pourtant des ouvriers. À l’angle de King’s Cross Road s’érige bien entendu un pub classique, le Northumberland Arms.

Paris-la-républicaine s’enorgueillit toujours d’avoir accueilli quantité d’exilés. En vérité, Londres-la-monarchiste me semble plus encore que Paris une terre de liberté & d’accueil. Depuis King’s Cross Road, je grimpe sur une petite colline à mi-flanc de laquelle se trouve Percy Circus, juste là, à la gauche de Vernon Rise, au numéro 16, un certain Lénine vécut en 1905.

Une odeur de fumée flotte dans l’air humide. Il avait du goût, le camarade Lénine. Cette colline est encore un de ces endroits presque champêtres, incroyablement calmes, comme Londres en réserve tant – juste à deux pas des avenues les plus fréquentées.

Je suis passé avant-hier un peu plus à l’Est dans ce même quartier. Je crois bien que mon âme de petit bourgeois est en train de tomber amoureuse de Finsbury. Cette calme colline était autrefois un lieu de villégiature & de repos champêtre, à deux pas de Londres qui l’a maintenant rattrapé. Une grotte tout près d’ici célébrait même le souvenir du mythe arthurien. Il n’en reste désormais qu’une rue anonyme, bordée par un immeuble rouge aux fausses allures de forteresse écossaise. Merlin Street.

Le quartier est très vert, et l’humidité ambiante, la bruine omniprésente aujourd’hui, gonfle cette végétation d’une sorte de mystère, semble lui conférer une nouvelle dimension, qui n’est pas pour me déplaire. D’ailleurs, je remonte Green Terrace, au bout de laquelle une victoire ailée au centre d’un minuscule square appelle mon humeur mythologique. Il s’agit d’un mémorial aux morts de la Deuxième guerre mondiale, mais qu’importe ? Belle fée que celle-ci.

Pénétrant dans Clerkenwell par le chemin piétonnier qui coupe les Spa Fields, j’emplie mes poumons d’un doux parfum d’aiguilles de pin humides & de menthe.

Le but de cette portion-ci du pèlerinage que je me suis imaginé est un pub, au cœur du Clerkenwell historique, Skedford Arms. Un de ces très anciens pubs dans lesquels Bodichiev va aller se reposer… Il est malheureusement trop tôt, environ 11h, pour que je m’arrête y boire un cidre. Mon goût pour le cidre Strongbow ne me conduit pas encore à en consommer le matin…

Next is the Clerkenwell Green, cet espace de verdure autour duquel durant près d’un siècle et demi bouillonnèrent les mouvements revendicateurs de ce quartier d’artisans d’horlogerie & de mécanismes de précision. Unionistes, fabiens, jacobins & autres gauchistes.

Petit trekkings à travers passages, ruelles & avenues du Clerkenwell (toujours) industriel. Puis Gray’s Inn Road, au croisement de Elm Street, devant la porte de Shareston Mansions. Les gargouilles en bois, sculptées dans la porte d’entrée, inspirèrent Arthur Machen qui hallucinait dans le quartier. Une rue d’anciennes écuries, Brownlow Mews, est censée conduirent à l’une des anciennes maisons de Dicksens dans le quartier. Elle me fait passer devant le Blue Lion, l’un des repaires de la Golden Dawn Society.

Mon parcours exige ensuite que je traverse le très littéraire quartier de Bloomsbury, pour rejoindre Marylebone. Ce faisant, je passe devant un bâtiment d’université au nom si modeste qu’il ne peut être qu’ironique : Goodenough College. Good enough… J’aurai du faire mes études là, tiens.

Pendant que j’y suis, je vais aller faire un tour chez Gay’s the World et Judd Books, mais en traversant le Brunswick Centre, je découvre qu’il y a là un bouquiniste très grand, plaisamment achalandé, que je ne connaissais pas – une branche de chez Skoob. J’y déniche un David Lodge en hardcover que je ne possédais pas encore. Je n’achète les Lodge qu’au compte-goutte & je les lis de même, car il n’y en a pas tant que ça & que j’adore tant cet auteur que je préfère l’économiser.

Il est plus de midi, si j’allais manger ? Voyons, quel est ce restaurant indien sur Marchmont Street où je suis déjà allé ? Motijil Tandoori Restaurant, ce doit être là . [Après le repas, et puisque je suis à deux pas de l’hôtel j’interromps mon parcours pour rentrer à celui-ci. Sans vergogne, je fais une petite sieste.]

Dans Torrington place, je passe comme maint fois déjà devant ce superbe Waterstone, sa façade ne cesse de m’émerveiller. La haute silhouette bourgeonnante de la British Telecom Tower domine le quartier que l’on a nommé Fitzrovia. Dans son ombre, j’arpente quelques rues à la recherche des traces furtives du passage de Verlaine & Rimbault. Un côté au moins de Cleveland Street est encore plus ou moins tel que les deux poètes l’ont connu. Puis, ce dérisoire pèlerinage effectué je descend le long du Middlesex Hospital – autour duquel se déroulent plusieurs de mes nouvelles, ne me demandez surtout pas pourquoi. Je tourne autour de l’hôpital, afin de trouver un pub qui conviendrait bien à Bodichiev. J’en trouve enfin un, idéalement situé – et en plus il se nomme The Green Man, n’est-ce pas splendide ? Juste au croisement de Riding House Street & d’une adorable mews nommée Bourlet Close, dans laquelle s’élèvent plusieurs anciens entrepôts dont possède des fenêtres en croix & l’autre des fenêtres en cercle, le tout dominé par une série de sculptures étonnantes. Encore un superbe exemple de travail de déco & réhabilitation. Je n’ose imaginer combien coûtent ateliers, appartements ou bureaux dans les environs. J’ai regardé tout à l’heure, en quittant l’hôtel, les annonces dans la vitrine d’une agence immobilière. Elle propose à la vente des appartements dans le quartier de King’s Cross. Ce sont les mêmes prix qu’à Lyon. 210.000 pour un deux pièces, 700.000 pour un trois ou quatre pièces. À ceci près que… ce n’est pas en francs, mais en livres sterling. Plus de dix fois plus cher… Not my kind of money, obviously.

Mes divagations urbaines me portent juste à côté du Soho Square, Neal Street, où habitait la famille Marx. Puis finalement cette longue errance me conduit au-delà de Charing Cross Road, du côté de Trafalguar Square : je remonte le Strand jusqu’à Somerset House.

Je constate avec amusement qu’une exposition y est consacrée à Caspar David Friedrich, un peintre romantique allemand qui travaillait pour les palais impériaux russes. Voilà qui est en parfait accord avec l’univers de Bodichiev ! Londres + la Russie. Néanmoins, je ne vais pas voir cette expo, ma foi relativement coûteuse & pour laquelle j’avoue n’avoir que peu de goût. Je me rends en revanche au Courtauld Institute, histoire de voir leur collection d’impressionnistes. Il n’y a que deux pièces, ils ne semblent vraiment pas avoir beaucoup de place pour exposer… Sont pourtant réunis de beaux exemples de tous les grands maîtres, et certains tableaux célébrissimes. Il y a des Seurat, Degas, Pissaro, Cézanne, Gauguin ; un seul Van Gogh mais quel Van Gogh ! Rien moins que l’homme à l’oreille coupée ; des Manet, seulement deux Claude Monet hélas. En définitive, ce sont les Degas qui m’impressionnent le plus. M’impressionner n’est d’ailleurs peut-être pas le terme qui convient le mieux. Me séduisent, me fascinent. Dans une troisième pièce, des exemples de leur collection de dessins sont exposés. Parmi lesquels une recherche de Seurat, absolument renversante, toute en ombres. Je dois reconnaître n’être guère intéressé par le reste des collections, au rez-de-chaussée & au premier – des tableaux du XVIe au XVIIIe siècle. Ca ne me parle que peu, pas réellement ma culture.

Je m’apprête à redescendre le grand escalier, lorsque subitement s’élèvent de l’entrée de grands glapissements féminins, avec toute l’énergie d’une Castafiore qui aurait ses vapeurs. Bruits sourds, un pilier en fer roule sur le sol. Les gardes se précipitent dans l’escalier, Une dame d’un certain âge s’est évanouie, dit quelqu’un. Moi qui croyais qu’un évanouissement impliquait une perte de connaissance, et donc du silence. Cette pauvre femme était presque comique – j’ai honte à le dire. On la relève péniblement lorsque je ressort.

Dans la grande cour centrale, grise, le ciel bas, plombé, fait paradoxalement rutiler un petit dôme de cuivre vert & son soubassement peint en crème. Les jets d’eau jouent en cadence.

#249

Noté le mercredi 5 juin:

Depuis que j’ai découvert le Regent’s Canal, je crois bien qu’il est devenu pour moi une sorte de symbole, un «espace idéal» de tranquillité au sein de l’agitation urbaine. Je ne suis pas plus tôt sur le chemin de halage que je ressens une formidable sérénité – je me sens calme, vraiment, tandis qu’en général je suis excité par le fait d’arpenter les rues de Londres. Both are agreeable, all right, but this isn’t the same feeling. This one is a feeling of contemplation, of being well centrered.

Anyway, pas grand-monde à Camden Market en ce matin légèrement pluvieux, et la boutique où je voulais retourner (Auraucaria) afin d’acheter un nouveau plaid en batik, est close. Tant pis, je déambule les aléles familières dans cette odeur d’encens qui semble consubstantielle à ces lieux ô combien babas. Il est trop tôt, hélas, pour que je profite des stands de bouffe chinoise. Cette ballade parvenant à son terme, je vais reprendre le métro à Camden Town et, sur un coup de tête, décide qu’il est temps que je fasse mes achats chez Muji – il y en a un à Tottenham Court Road, j’y ai déjà fait un peu de « repérage ». Ceci fait, je rentre à l’hôtel déposer mes achats – en reprenant le métro à la station Olborn car sinon les méandres de la Northern Line sont trop pénibles. Puis demi-tour : Piccadily Line again, mais pour Covent Garden. J’ai lu ces dernières semaines une histoire du métro londonien (tout en parcourant un autre bouquin, plus amplement illustré, sur les transports publics londoniens en général), il est donc temps de compléter ce savoir tout neuf en voyant pour de bon les engins concernés : London Transport Museum.

Et je ne suis pas déçu : quoique les lieux me paraissent assez bordéliquement agencés (et que la pléthore de gamins piaillant n’arrange pas les choses : c’est le problème des musées londoniens en semaine, ça, les classes de mômes…), peu m’importe : qu’il est séduisant de voir, de mes propres yeux, en vrai, de toucher du doigt, de monter dans, les grands véhicules sur lesquels j’ai tant lu : les « omnibus » de la London General Omnibus, immenses coches à cheval ; les bus de toutes les époques ; et puis surtout : les wagons de métro. Il y a même vers la fin de la visite (je désespérais presque) un de ces fameuses « padded cells » (des wagons aveugles des tous débuts). Et une locomotive à vapeur – seuls regrets : ils n’exposent pas de locomotive « camel back », non plus qu’aucun exemple de cab à cheval, mode de transport pourtant omniprésent autrefois (les « hansom cab » chers à Sherlock Holmes, par exemple). De toute évidence, ce musée considère que les taxis ne font pas partie des transports en commun – hum, un point de vue un peu étrange… Je grimpe dans divers wagons – voyage dans le passé, il y a même encore les publicités d’époque (dans un wagon des années 30 il s’agit cependant des pubs des années 70, époque où il fut décommisssionné). Je reconnais au passage le plus récent de ces objets du passé : hé, mais j’ai connu ces wagons-là, moi, au début où je venais à Londres !

Pause au café du musée : je n’ai pas déjeuné. Dehors, une grosse pluie noie Covent Garden sous des trombes. Le temps s’est dégradé sérieusement, quoiqu’il fasse toujours bon. J’avais pensé me rendre ensuite au Courtauld Institute mais au diable l’art, un musée par jour c’est assez : j’ai envie de me promener sans trop de but…

Quartiers de Covent Garden, St Giles, Soho…. Un passage à la librairie Murder One… Repérage de pubs où je mettrais bien Bodichiev en scène : le cher homme a un net faible pour ces établissements – j’ai acquis un guide des pubs, d’ailleurs passionnant. Le temps devient assez déplaisant, grosse pluie. Je remonte à pied vers mon hôtel, quand même. Sur une petite place retirée, tranquille, une cabine téléphonique rouge à l’ombre d’un grand arbre – pas un bruit de circulation, coup d’œil à ma montre : oui, Olivier sera peut-être à la maison. Que je sache s’il passe en licence – et comment vont les « filles ». Car les chattes me manquent un peu, c’est bête à dire… All is well, Olivier & ses copains ont leurs exams. Petite tchatche, puis remontée sur King’s Cross où, après m’être déchargé de quelques achats, je file dans un pub (flûte, pas noté son nom). Je vais sans doute y passer la soirée, en compagnie d’un bouquin (l’anthologie de fantasy « The Green Man », excellente). Pas de sport envahissant ici, la télé est toute petite sur le comptoir, ouf.

Pourtant, vers 8h j’ai des fourmis dans les jambes : je retournerai bien ma balader. La pluie s’est calmée. Que faire ? Waterstone, à Piccadily : ils ne ferment qu’à 11h. Métro, librairie, browsing – tiens, au fait, faut que je trouve quelque chose pour la Fête des Pères, tant qu’à faire, puisque je débarque chez mes parents ce jour-là. Lorsque je ressort de chez Waterstone, la pluie s’est refaite diluvienne. Je me presse vers la bouche de métro.

#248

Noté le mardi 4 juin:

Flûte, le ciel est tout blanc, un orage menace depuis l’Est. Moi qui espérais trouver du beau temps pour une fois… En plus, ce fichu rhume des foin m’encombre les sinus & me comprime les tempes. J’ai fait une crise de rhume des foins si forte, la semaine dernière, que j’en ai eu de la fièvre & une crise d’angoisse, une nuit. Saloperie.

Discuté au petit déjeuner avec David, un jeune homme originaire de Hong Kong, qui fait ses études à Newcastle. De passage à Londres pour un jour seulement, il pars en vacances à Athènes. Sa copine, une grande gigue blonde au visage bête, m’ignore totalement, alors que c’est son compagnon qui a initié la conversation.

Then, a good stroll into the quiet of Finsbury : je pensais descendre plus ou moins directement sur St Paul, mais comme souvent je me suis laissé un peu dériver pour le plaisir d’explorer de belles rues que je ne connaissais pas, des panoramas urbains toujours tentateurs. Well, anyway, au bout d’un moment je quitte les rues arborées pour reprendre tout de même une direction sudiste, afin de dériver… dans Clerkenwell, cette fois. Le quartier change beaucoup & vite : c’est la next best thing en termes de mode & branchouille, ce qui signifie un mélange assez excitant de vieux entrepôts encore abandonnés & de designers buildings, ou les deux à la fois au gré des réhabilitations : beaucoup de façades sont vides, fenêtres donnant sur le ciel maintenues par des structures métallique, en attendant que les ouvriers viennent construire un nouvel immeuble derrière. Ou bien, c’est une « tranche » de façade qui semble avoir été proprement découpée, offrant au regard une étendue de verre vert & de câbles en métal, au centre d’une étendue d’anciennes briques. Sous une sculpture annonçant la Compagnie des Omnibus de Londres s’étalent des chaises design. Derrière des vitres habituées aux containers & aux cartons s’alignent des écrans d’ordinateurs.

Je rejoins le Smithfield Market, une immense barre victorienne qui abrite (encore de nos jours) les bouchers de Londres. La fête bat son plein : en l’honneur du Golden Jubilee des stands (tenus par des employés en uniforme traditionnel impeccable, rayé de bleu) proposent plein de victuailles ; et de l’autre côté de la grande arche une foule encore clairsemée contemple l’avancée du cortège royal sur un écran géant. La musique solennelle du couronnement d’Elizabeth résonne entre les façades, leur conférant une dignité toute neuve, emplissant cette petite place toute simple d’une pompe historique. La vieille dame, tout sourire & tailleur bleu clair, glisse le long d’une belle avenue à bord d’un carrosse doré.

Je fais un saut au Musée de Londres – tout en morceaux : le café, la boutique & le musée proper ne sont plus reliés, les travaux de rénovation ayant commencés.

Alors que je tente de rejoindre St Paul, je constate que j’avance à rebours de la foule qui commence à se faire importante. Bifurquant avant la cathédrale, je me retrouve (sans surprise) bloqué par les barricades du chemin de procession. Par chance, il y a justement là un passage souterrain permettant de traverser l’avenue. Et comme un miracle ne vient jamais seul, je découvre avec grand plaisir que… le Millenium Bridge est enfin ouvert !

Le contraire aurait certes été scandaleux, rapport au Jubilee, mais néanmoins, vu le temps qu’ils auront mis à enfin se décider à ouvrir ce pont piéton… Anyway, je l’emprunte le coeur léger, & avec moi une foule conséquente. Ah, je l’aurai attendu, ce pont ! Clairement, le Millenium Bridge est un événement majeur du Jubilee. L’ambiance est festive, bonne enfant. Je me demande fugitivement si les passerelles piétonnes d’Hungerford Bridge auront également été ouvertes pour le Jubilee, comme elles le devaient – mais les hasards de mon séjour ne me permettront pas de m’en rendre compte.

Je craignais que la foule soit aussi compacte au Tate Modern – mais ce n’est pas trop le cas, thank God. Et après une brève hésitation, je me décide à prendre un ticket pour l’expo Matisse/Picasso. Deux artistes que je n’apprécie pas plus que ça, en fait…. Mais des originaux, c’est toujours une révélation…

Then, another quiet stroll, along the Southbank towards the Design Museum. Du monde, toujours. Beaucoup de monde. Ce mardi est un dimanche. Je reste un long moment sur la pelouse au bas de Tower Bridge, a bouquiner & à me reposer. Je suis chassé par la lumière des projecteurs : derrière moi, une présentatrice TV s’apprête à faire son speech. Au Design Museum, que je connais déjà, je ne vais qu’à la boutique : ce sot d’Olivier a perdu (!) l’ouvre-boîte, et je me souviens d’en voir vu, très design, la dernière fois : soyons snob !

De retour à l’hôtel, j’hésite sur ma prochaine destination… Pour finalement opter pour un rapide tour de Whitechapel, sur les traces de Jack l’Eventreur. J’avais déjà effectué une telle visite il y a des années, mais de nuit avec un guide. De jour, il s’avère que c’est décidément toujours the horror : le quartier est terriblement dégradé, sale, mal famé… Sans rien de bien typique/esthétique, même dans le style « friche industrielle » que j’affectionne en général. Ce ne sont que vieux HLM minables & taudis sans âge, rien de réhabilitable, je comprends pourquoi la frénésie londonienne de rénovation n’a pas atteint ce quartier pourtant aux portes de la City.

Plutôt que de persévérer dans l’itinéraire soigneusement tracé par mon guide, je parcours vite le quartier de site en site (de Polly Nicholls à Mary Chapman !), avant de reprendre le cours de Whitechapel Road afin de regagner la civilisation… Au passage, je m’arrête à la Whitechapel Art Gallery – signalée sur tous les plans & même par un panneau sur le quai du métro. Bof : des installations en bois & plexiglas au rez-de-chaussée, pas vilain mais tout à fait anecdotique à mes yeux, tandis qu’aux étages se déroulent ces fichus diaporamas & bandes-son qui semblent décidément être aujourd’hui la toute dernière mode en matière de bluff artistico-branché (il y en a tout le temps au Tate Modern, aussi) – oui, je sais, je suis un vilain réac.

La ville passe rapidement du banlieusard en ruines à la luxueuse anarchie des grattes-ciel de la City. Étonnant comme la zone atroce de Whitechapel (plus moche de tous les quartiers pauvres que j’ai pu voir dans l’Eastend) est littéralement collée au quartier le plus huppé de la capitale. J’imagine que d’ici une dizaine d’années, les démolitions/redéveloppements commenceront leur attaque, comme pour le moment dans Clerkenwell – mais ce sera sur une base beaucoup moins riche, architecturalement parlant, et donc en fin de compte beaucoup plus difficile.

What else to do ? En ce doux début de soirée, je me rends à Piccadily. Dans le ciel blanc rugissent des avions, en l’honneur de la Reine. La foule se fige soudain, tout le monde ouvre une bouche stupéfaite, les mâchoires dégringolent au kilo : un monumental Concorde rase presque les toits, accompagné de six avions à réaction qui lâchent une grande traînée bleu-blanc-rouge !

#247

Noté le lundi 3 juin 2002:

Quelque soit le temps qui puisse s’écouler entre deux de mes visites londoniennes, il semble inévitable que mon premier jour dans la capitale britannique soit essentiellement consacré à une sorte de « ré-acclimatation » en douceur. Je n’avais pas envie de prendre des notes au dictaphone aujourd’hui – je ne sais d’ailleurs pas jusqu’à quel point je vais en prendre cette fois, une approche un peu plus impressionniste encore semble s’imposer pour de longues vacances. Whatever : on verra bien. Toujours est-il que je me suis promené un peu au petit bonheur. Le week-end de Bank Holliday étant prolongé de deux jours pour le Jubilee de la reine, les rues de Londres sont étonnamment vides, même pour un lundi. Par moments, j’ai le sentiment un rien étrange (quoique fort plaisant) d’avoir été projeté dans un épisode des « Avengers »…

Ce vide n’est pas déplaisant, de fait. Pouvoir traverser certaines grandes artères sans la moindre difficulté, par exemple… J’ai un peu l’impression d’une liberté accrue, d’une ville qui m’est livrée sans retenue.

Petite balade dans Bloomsbury, donc ; passage par Forbidden Planet ; sur Charing Cross le dépeuplement en librairies, catastrophe annoncée depuis longtemps, se poursuit fort tristement : un soldeur ferme ses portes, et Any Amount of Books (qui s’est réinstallé un peu plus loin) va bientôt se voir remplacé par un café chic – il y a un article à ce sujet placardé sur la vitrine d’Henry Pordes.

Repérages, aussi : je me rends à Warwick Avenue, sur les pas de mon détective Bodichiev, afin de ne pas trop dire de sottises dans la nouvelle à laquelle je bosse actuellement. Il s’agit de nouvelles policières (au sein d’une uchronie) dont le principal sujet, dirai-je, est l’ambiance urbaine – je fais donc en sorte de ne parler que de villes & de quartiers que je connais bien, je trouve très amusant d’ancrer une fiction (une science fiction, même) dans la réalité la plus tangible. Je prend d’ailleurs notes & photos, afin de garder en mémoire divers points & vues, à « ressortir » le cas échéant. Au risque de paraître un peu prétentieux, je dirai que chaque expédition londonienne enrichie mon imaginaire & mon inspiration — ne serait-ce que de menus détails.

L’image mentale que je m’étais formé de Warwick Avenue s’avère notablement différente de la réalité – je vais devoir légèrement amender mon texte. J’en profite pour remonter un moment un bras du canal que je n’avais encore jamais emprunté puis, rebroussant chemin avant de partir trop loin en banlieue, j’essaye le troisième bras d’eau desservant le bassin de Little Venice, celui qui se rend vers Paddington. Mais là, impossible : tout le quartier est en travaux. De quoi me faire regretter de n’être pas allé de ce côté auparavant : ce devait encore récemment être un « bel » exemple de friche industrielle en pleine ville. Trop tard, hélas. J’ai trop tardé à faire cette découverte-là, les promoteurs sont arrivés. Je change de rive pour quand même tenter ma chance jusqu’au bassin de Paddington, mais les constructions sont si intensives que ce dernier n’est plus accessible du tout pour le moment, si ce n’est par la passerelle du St Mary Hospital, qui jouxte le canal en plein coeur des colosses de verre & de béton en cours d’érection.

Y’a pas à dire, les environs vont être impressionnants, d’ici peu. Les pieds au bord de l’eau, les nouveaux géants aux lignes futuristes écrasent les quelques rares entrepôts encore debout, vestiges d’une industrialisation dépassée. Dérisoire & dilapidée, une maigre rangée de bâtisses en brique & enduit écaillé s’élève encore face aux prochaines tours de bureau, mais pour combien de temps encore ? Je contourne le quartier par un pont de chemin de fer, afin d’aller découvrir le St Mary Hospital de l’intérieur – ce que j’en ai vu, depuis la passerelle du canal, m’intrigue. Au passage, j’erre un moment dans la gare de Paddington. Impression de flotter, électron libre, sous les grandes voûtes anciennes. Une foule afférée circule sur les quais, tandis que je flâne le nez levé vers l’immense verrière qui recouvre la station. Ni but ni souci, je papillonne d’une statue à une autre, d’un stand à un autre : avantage d’être touriste, même le moindre kiosque à bouffe acquiert une dimension exotique. Je m’achète une soupe aux épinards ( !) et ressort sur Praed Street, avant de tourner dans St Mary Hospital.

Visiter un hôpital en buvant une soupe aux épinards, n’est-ce pas là une conception foncièrement originale du tourisme ? Si vaste est cet établissement hospitalier qu’il occupe plusieurs pâtés de maisons – des rues autrefois publiques y sont enclosent, les architectures & les destinations de bâtiments forment un bel enchevêtrement, une cacophonie parfois rénovée parfois fatiguée. Le tout forme un passionnant mélange de grandiose et de délabré, de moderne et de vétuste, d’espaces privés et d’endroits publics. Un lieu urbain un peu à part du reste de la ville, bien qu’en son cœur.

Je remonte sur Oxford Street en flânant, me faire quelques envies. Il est assez tard, mais certains grands magasins ne ferment qu’à 20 ou 21h. Dîner dans une pizzeria, et… dodo ! J’ai à peine le temps de feuilleter un bouquin que mes paupières marquent la fin de la journée.

Auparavant, j’ai tout de même vaguement regardé la retransmission sur BBC1 du concert de Buckingham. Queen réduit à deux pépés qui font chanter des petits jeunes (je reconnais avec un rien d’effarement l’un des vainqueurs du « Pop Star » local, manquant cruellement de voix le pauvre garçon) ; Ruby Wax qui plaisante avec Kermit la grenouille quant au fait de piquer les joyaux de la Reine ; les jeunes princes tout sourire quoiqu’un peu rouges face au décolleté superfétatoire d’une chanteuse noire…

#246

Not yet back, mais je profite de la connexion de mon paternel pour reprendre un peu contact avec le web, depuis la Touraine… Je vais faire en sorte de poster ici (au cours des deux prochains jours) au moins une partie de mon journal de voyage. On verra plus tard pour mes dernières lectures.

Stay tuned!