#154

Je suis en train de lire Patrimoine industriel, d’Emmanuel de Roux (textes) & Georges Fessy (photos) — éditions Scala/éditions du patrimoine.

Un beau livre d’architecture, que je trouve fascinant car s’intéressant à ces ensembles immobiliers qu’on a plutôt tendance à raser, d’habitude: les friches industrielles. Porteuses d’une histoire et d’une mémoire sociale forte, comme le dit l’auteur: des bâtiments le plus souvent monumentaux, à l’aspect étrange dicté par leur fonction, reflétant néanmoins un souci esthétique (le pragmatisme des ingénieurs d’autrefois s’accompagnaient néanmoins la plupart du temps d’une culture architecturale & d’une volonté de « marquer » le paysage). Le tout s’accompagnant d’une bonne dose de tragique: la plupart des sites explorés dans cet ouvrage sont en triste état, abandonnés, en danger…

Fascinant, oui, le terme n’est pas trop fort: à tourner ces pages je ne cesse de tomber sur des images incroyables, des architectures singulières jaillissant avec brutalité d’une autre époque.

Et le texte n’est pas en reste, qui retrace des destins sociaux & industriels — traversés par des utopies ou des dystopies qui n’en sont pas moins passionnantes pour être très localisées. Il y a même mon favori: le familistère Godin!

Une lecture qui rejoint d’ailleurs celle du début du Patrick Wright sur la Tamise (terminé, quel bouquin épatant!), en particulier le chapitre sur l’étonnante entreprise Bata.

Et puis cette fascination pour les friches industrielles n’est pas neuve chez moi: je me souviens d’un voyage en voiture assez sidérant entre Lille & Thionville, une fin d’été… Et hier matin encore, en me baladant dans Villeurbanne, je suis passé par une petite rue devenue tristement anonyme, où s’élevait il y a peu encore une ravissante petite usine de brique rouge & de fer jaune vif dominée par une belle & grande cheminée, et où durant longtemps la façade élégante mais vidée d’une manufacture s’élevait le long du trottoir. Las: finalement les promoteurs abattirent cette belle façade (changement de promoteur? Changement de municipalité? Une perte en tout cas), et tout le secteur fut livré à la construction de petits immeubles modernes d’autant plus pitoyables qu’ils semblent déjà vieux, cinq ou six ans après leur achèvement! Vraiment dommage, j’aimais tant ce coin-là, avec à l’angle en face une sorte de pagode post-moderne abritant une cour de récréation, le ciel largement ouvert au-dessus de l’enceinte de la petite usine, et non loin de là la grâce sévère d’une petite filature puis la tour d’angle excentrique d’une ancienne pension… Ces deux dernières sont encore là, comme figées dans le passé, mais pour combien de temps? Encore récemment, Villeurbanne était ainsi truffé d’usines, ponctué de hautes cheminées. Malheureusement, les promoteurs dévorent tout ce paysage, transformant cette cité ouvrière singulière en une banale ville dortoir.

Bien entendu, comme le dit l’auteur de Patrimoine industriel, on ne peut tout figer, tout conserver — mais cependant je me permet de regretter la richesse architecture étrange de Villeurbanne. Et je chérie la vue des quelques usines, entrepôts, granges, qui subsistent encore ici ou là pas loin de chez moi…

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