#481

« I know. It sounds like science fiction. And maybe it was. But it was magic, too. How else can you explain a computer program that was self-aware? Some voodoo spirit made of nothing but ones and zeros, that was able to create a living being out of neurons and electricity and air and send it off into the world to be its own being. »

Ravi: le nouveau roman de Charles de Lint, Spirits in the Wires, reprend le personnage de Saskia, qu’il avait créé dans la nouvelle du même nom. Nouvelle que je tiens pour l’une des plus innovatrices qui soient dans son oeuvre, liant comme elle le fait l’univers de la fantasy urbaine & celui de l’informatique, du cyberespace, des bases de données. Faisant donc entrer de plain-pied le merveilleux sur un plan de la réalité actuelle qui n’intéresse d’odinaire que la science-fiction.

Et cette nouvelle, « Saskia », je m’en retrouve l’heureux éditeur français, dans ma prochaine anthologie, Magie Verte (fin novembre chez L’Oxymore). Puisque personne ne s’est soucié de la publier, il était grand temps que je trouve le moyen de le faire moi-même…

#480

« Dring » à la porte ce matin: un gros sac en toile de jute, marqué d’un M-BAG délavé. C’est ainsi qu’arrivent les colis en provenance de chez DreamHaven Books, la librairie de Minneapolis auprès de laquelle je me fournis le plus volontiers en nouveaux ouvrages de SF & fantasy.

Et cette fois plus que jamais j’attendais la livraison avec impatience — sachant que cela peut prendre jusqu’à deux mois. Pensez donc: le nouveau roman de mon idole, Charles de Lint; le nouvel album illustré de Neil Gaiman & Dave McKean; & puis, last but not least, le seizième Year’s best Fantasy & Horror de Datlow & Windling — dernière année où Terri s’en sera occupée, en plus.

Pour autant, je n’ai pas passé ma journée à bouquiner — j’aurais bien aimé, mais outre que j’avais du travail sur la planche concernant la maquette du prochain Yellow Submarine, ainsi que deux fiches de lecture à faire pour Denoël, je devais aussi & surtout rendre visite à un ami à l’hôpital.

Pour ce faire, j’ai pris le chemin des écoliers. Il faisait si beau, aujourd’hui, avec un de ces cieux automnaux d’un bleu translucide à peine voilé par quelques fils de coton blanc. Je flânai donc par les rues & les avenues, glânant toitures de guingois & céramiques de façades, passant par une « rue des prévoyants de l’avenir » (?!) puis par une « rue Jules Vernes » (voilà qui est sympathique), faisant un crochet par un kebab, louvoyant par les petites artères de Montchat, louchant sur les petites demeures bourgeoises & le haut des arbres dans les jardinets. La colline passée, de l’autre côté du boulevard, l’hôpital neurologique étale le vaste dédale de ses bâtiments sans identité. Au retour, nouvelle errance dans Montchat — j’adore ce quartier, en fait encore presque un village au bord de la ville, qui a su préserver une bonne part de son charme provincial. Entre petites maisons, beaux jardins, artères commerçantes feutrées, anciennes usines pas encore tombées (j’y ai cueilli des fleurs) & voie ferrée en friche, Montchat est un peu tout ce que Villeurbanne a oublié, n’a pas su conserver, pas su protéger des entrepreneurs de grandes barres interchangeables & d’anonymat ennuyeux.

#479

Instant (trans) lucide

« If mankind had to choose between a universe that ignored him and one that noticed him to do him harm, it might well choose the second. Our own age need not begin congratulating itself on its freedom from superstition, till it defeats a more dangerous temptation to despair. » (E.M.W. Tillyard, « The Elizabethan World Picture », 1943)

Sur une terrasse des bords de la Croix-Rousse, un soir. Malaise palpable dés l’entrée: outre une chaleur excessive, nous ne sommes encore que trois — où donc se trouve la maîtresse de cérémonie, celle par & pour laquelle se trouve organisé cet étrange porte-à-faux en restaurant?

Mais enfin, trois quart d’heure ayant passé, notre Laura Palmer arrive & avec elle le principal de ses invités, suivis de près par deux éméchés qui se glissent dans les lieux, sourires gênés & mines de petites souris. On se trémousse plus qu’on ne s’installe: inconfort moral plutôt que physique, chacun se demande ce qu’il fait là. S’en souvenir: pour Laura Palmer, nous sommes là pour Laura Palmer. Dont le rire recèle déjà des fêlures audibles, des pointes hystériques, des gloussements forcés.

Les lieux: le luxe prétendument bon-enfant d’un prétendu bistrot. Anciens meubles à l’âge suspect, fruits argentés, boiseries confortables: l’art du paraître détendu & bourgeois. Juste une porte plus loin, une terrasse couverte abrite en vert & verre quelques convives dans un cadre qui m’eut paru plus en accord avec les pratiques New Age de notre hôtesse. Mais les ténèbres se pressent aux vitres & les feuillages cachent toute vue de la ville. Tandis qu’autour de nos tables en carré s’affère soudain une nuée de serveurs comme un vol de moineaux, furtifs & presque trop rapides pour que l’oeil les saisissent. Non moins efficace, le chef de rang, cassant sous sa rondeur, nous presse de choisir. Langue de bois hôtelière: quelle pitance se cache donc sous ces « brouillade », « mousse » & autres ronds de jambe stylistiques? Las: mes plaisanteries quant à une nourriture pour vieillards sans dentier ne seront que prémonitoires.

Toujours vifs & précis, les serveurs posent nos plats: étique & purement décoratif, un tout petit pâté comme un Ronron fluo dans une sauce aigrelette. Cela devrait bien se digérer.

Rires hésitants, volubilité de surface, les silences se font de plus en plus prégnants. Isolés à un bout de table (manque des convives), nos deux souris se réconfortent avec apartés & moult vins. À mon côté gauche, la solide Nat s’escrime en sottises & ragaillardises, courageusement secondée par une Liz faisant bonne figure. À mon côté droit, une Laure perdue, sans couleurs, ne pipe mot. En face, un copain par alliance éclate de rire à chaque horreur proférée par l’une des souris. Sa mie lance en staccato des « Tu te souviens de? ». Nous lui devrons le seul instant de réel rire, lorsqu’un peu confuse de devoir l’avouer, elle nous révélera son étonnant diplôme (un BTS d’adhésif?). Contre elle, une Lady Di effarouchée, son look aseptisé ne camoufle par les blessures de sa vie. Puis un couple « adulte »: lui bancal & hésitant, elle enveloppante & apprêtée. Le désespoir feutré de cette soirée me donne l’impression de voir à travers les gens, soudain translucides: meurtrissures, naïvetés, perditions ou duretés transparaissent en chacun. Onze portraits sous le mauvais éclairage. Et l’ennui massif qui s’installe, l’envie de hurler, de donner des coups de pied. Pourquoi tant de solitude, assez!

Vite, vite, les serveurs débarrassent, à peine le temps de finir son verre, hop, l’autre plat, nouveau Ronron fluo, nouvelle sauce aigrelette, cela devrait bien se digérer.

Trop brève escapade en bas de l’escalier, lorsque je remonte des toilettes j’entends des gens rires, plaisanter, s’esclaffer, ils s’amusent, on fait la fête. Mais quand j’émerge des marches abruptes, la réalité s’impose: ces bruits n’étaient que faux-semblants, simple voile sur un pathétique spectacle. Me rasseyant, subitement je vois double: mouvements de têtes, sourires, gestes exagérés sembles transparents, dessous, rigides, blêmes, sont les vraies personnes. Traits tirés, malaise: chacun de nous n’est qu’un pantin à la Giacometti, éclairé en vert, affreusement mal à l’aise.

La note: exorbitante, vite présentée. Pressés, pressés, chassons vite les clients. Scandaleuse gargote que celle-ci: la Maison Villemanzy, retenez le nom — pour ne point vous y rendre. Rien à manger, médiocre, mais coûteux: un repas pour snobs sans appétit.

Regroupé dans l’air glacé, en pleine nuit, le groupe marmonne, piétine; nous ne sommes pas ensemble, tout juste au même endroit. Excédé, je dégringole à grands pas la montée St Sébastien, puis la remonte. Bon, on y va? Non, on traîne, sourires crispés, rires ébréchés. Soit: je marche, vite. Il fait froid, je tremble, accélère le pas, le coeur serré, colère & tristesse. Totalement seul, malgré soudain ces pas rapides derrière moi; j’allume le lampadaire à l’entrée du porche: ma souris grise a couru pour me rattraper.

#478

Versé dans la tasse noire, le thé coule en un robuste filet de liquide trouble, qui monte dans un remou nébuleux & d’où s’élève une vapeur légère, fumet emboisé du Lapsang tarry souchong — douce senteur de fumée, en avant-goût d’une saveur qui se fait corsée, âpre ou suave, mais toujours caressante, selon les fois & le sucre. Rond sous la langue, parfois un rien astringent, ce goût familier qui développe toujours subtil la ligne rouge sombre de sa saveur, avec par-dessous le frémissement insaisissable de la théine, & par-dessus le voile de sa fumée.

#477

Ah, la magie du web! J’ai décidé de situer une nouvelle dans & aux alentours de deux petites églises de la City, à Londres, et me suis dit « bon, maintenant faut que je sache exactement à quoi elles ressemblent. »

Et hop: le moteur de recherche déniche immédiatement un site qui me détaille plaisamment toutes les églises de la City. Wonderful.