#473

Noté le samedi 13 septembre (fin du séjour)

Longue promenade tranquille au bord de la Cherwell, tout le long des terrains de sport de Magdalene College. Les cris bestiaux des jeunes sportifs, au loin, ne troublent guère les vieux saules au tronc pachidermique, qui tordent leurs branches comme dans une illustration de Rackham. Non plus que les oies du Canada qui glissent à la surface de l’eau verte. Des baies blanches, rouges ou noirs brillent au sein des feuillages, dans les taches du soleil.

De temps à autre, un pont de bois enjambe un filet d’eau en courbant l’échine. Prairies, bras d’eau, doux chuitement d’un moulin, les brins d’herbe balancent leurs lourdes têtes, les buissons se laissent caresser, la terre se fait douce sous le pied, tandis que dans un décor de petites chutes d’eau, qui me rappelle un tableau de Monet, s’approchent des canards confiants.

Dans un pré — plus d’ajoncs que d’herbe — deux vaches noires & trois blanches broutent sous un réverbère. Trois arbres torturés à la Constable surplombent une passerelle à la Winnie l’ourson.

Nous asseyant pour regarder passer un canot (a punt), nous découvrons que notre banc fut dédié à JRR Tolkien en 1952, tandis que les deux arbres de chaque côté représentent Telperion & Laurelin.

Scène oxonienne typique du samedi: la boathouse. Des jeunes gens bien habillés louent des barques, apportent moult paniers de pique-nique, s’installent avec grâce, l’un des garçons (cravate & petit gilet) ressemble à Rupert Everett ou à Hugh Grant: beauté masculine typiquement anglaise. D’autres punts passent cette boucle de la Cherwell, leurs conducteurs poussant avec nonchalance sur leur pole.

Sur le terrain de la Dragon School, des gamines en jupette noire jouent au hockey sur gazon, dominée par la silhouette sculptée d’une croix celtique géante.

Un petit tour en passant au Mansfield College, dont certains des bâtiments médiévaux datent de 1960.

Chance: c’est le jour du patrimoine, les bâtiments sont ouverts aux visites. Vitraux préraphaélites de Morris & Burne-Jones à la Manchester College Chapel, ainsi qu’un orgue décoré par le même William Morris. « Élargissez Dieu », proclament curieusement les panneaux de la création du monde.

Un peu de shopping puis visite de quelques autres collèges — & notamment du University College où nous admirons les vitraux étranges, une vigne-vierge particulièrement robuste dont l’épais tronc forme un S devant une fenêtre & enfin la splendeur d’un immense acacia, stylisé comme un arbre de Mondrian & rutilant dans la lumière du soleil. Je repense au grand acacia qu’admirait tant Elizabeth Goudge — il ne s’agit pas du même, mais à contempler celui-ci je comprends pourquoi un tel arbre avait attiré tant de peintre. Le déhanchement des branches & brindilles prend une allure presque cubiste, tandis que chaque feuille transformée en tache de lumière forme comme une aura pointilliste. Le poète Shelley hanta ces couloirs, foula ces pelouses.

Fin d’après-midi paresseuse & silencieuse au bord de la Cherwell, dans le coude herbeux où nous nous étions déjà alanguis jeudi. Les plumes anthracites d’une minuscule poule d’eau brillent d’un gris perle dans la lumière rasante, les punts glissent en grinçant & cliquant sur le bras d’eau.

Le temps lent & calme s’écoule au rythme des rides sur l’eau, des ondulations gracieuses d’un écureuil & du jeu des reflets dans le feuillage sombre. Fin de vacances: demain il faudra regagner Londres, reprendre un taxi pour Waterloo avec un dernier regard pour ces rues aimées, trouver un bref refuge dans un pub lové du côté de la gare de Charing Cross, au pied de ces colosses blancs d’immeubles années trente aux allures de falaises, boire un dernier cidre & monter dans l’Eurostar…

#472

Toujours noté le vendredi 12…

Impossible de ne pas se perdre dans quelques boutiques… D’autant que Blackwell’s (la grande librairie d’Oxford) propose, outre le sous-sol le plus vaste de Grande-Bretagne, tout un magasin de beaux-arts: la bonne occasion de faire provision d’ouvrages sur la peinture britannique — par exemple des monographies à propos de Walter Sickert, Paul Nash, L.S. Lowry ou John Piper.

Ceci fait, un moment magique de fin de journée… Tout au fond d’une impasse, sous les colombages d’un vieux pub, le temps se fige sur le macadam d’une courette. Nous dépouillons/décryptons la prose biaisée d’un Monde en sirotant qui une bière, qui un cidre, tandis que quatre vieux messieurs visiblement universitaires discutent aimablement à une table proche. Cravates de travers & chevelures blanches. Les parasols jaune à l’enseigne de Strongbow (notre marque favorite de cidre!) cachent un ciel au bleu translucide. La pointe du clocher d’une église le perce d’une décoration en cuivre verdit. Aux murs & colombages blanc & noir de la cour du pub répondent les angles de brique rouge des pignons alentours.

Flânerie dans les rues, entre les murailles moussues & les clochetons gothiques, des églises au bout de chaque artère. Le ciel se déchire en rouge & outremer au-dessus de l’Ashmolean Museum. Les rues s’emplissent d’ombre, les clochers indistincts griffent les nuées or & cendre. Que fais-tu, demande Mireille, tu prends des notes pour un Bodichiev? Non, ou bien peut-être: je contemple. Heureux, admiratif. Les caricatures en pierre du musée de l’histoire des sciences rigolent silencieusement, tandis que le ventre rond du Sheldonian Theatre se mire en jaune d’or sur le pavé luisant.

Pointe sur Saint Giles’ Street, dans l’espoir d’aller dîner au Lamb & Flag, le pub favori de l’inspecteur Morse. Peine perdue: la cuisine est déjà close. Nous remonterons en ville par des petites rues campagnardes, qui serpentent obscures au sein des prairies & des collèges.