#502

Après quelques mois de sommeil forcé, provoqué par un webmaistre toujours vaillant mais sévèrement débordé de toutes parts, voici donc que mon site perso bénéficie d’une petite mise à jour. Et nous allons tacher d’être plus efficaces désormais, c’est promis. Plus réguliers, anyway. 😉

#501

Je fus réveillé ce matin par le facteur: il m’apportait mon colis de Magie Verte. Chic, chic! J’aime bien publier de nouveaux bouquins… Et avec L’Oxymore c’est toujours du beau livre, sans aucun doute. Je ne suis pas peu fier de bénéficier en couverture du talent de Charles Vess, grrrand illustrateur américain actuel; quant aux illus intérieures, par Lachâtaigne, je les trouve vraiment très belles aussi, à la fois merveilleuses & inquiétantes, pas du tout mièvres, étrangement floues, noyées d’ombre ou de brume — elles concourent grandement à la beauté de cet ouvrage.

Enfin, bien entendu d’aucuns vous expliqueront que tout ceci ne vaut rien: je ne résiste pas à l’amusement de vous copier une citation faite sur l’excellent e-zine de David Langford, Ansible:

Here’s some interesting advice from AuthorsMarket (‘a service of PublishAmerica’) which may come as a surprise to Ansible readers: « Are all fiction books difficult to market? […] science-fiction and fantasy writers have it easier. It’s unfair, but such is life. As a rule of thumb, the quality bar for sci-fi and fantasy is a lot lower than for all other fiction. Therefore, beware of published authors who are self-crowned writing experts. When they tell you what to do and not to do in getting your book published, always first ask them what genre they write. If it’s sci-fi or fantasy, run. They have no clue about what it is to write real-life stories, and how to find them a home. Unless you are a sci-fi or fantasy author yourself. » [JH]

Can this nonsense possibly be linked to the fact that members of the sf community have vigorously criticized operations like PublishAmerica? Though not technically a vanity press — it pays a tasty $1 advance — this outfit does not appear to copyedit its highly-priced POD books, has a gruesome standard contract, and allegedly confines its marketing efforts to authors’ friends and family members (providing an extensive list is mandatory).

#500

Lu: Okla Hannali de R.A. Lafferty.

Le plus surprenant, je crois, c’est l’humour: ce roman est drôle. Et pourtant: racontant (ou plutôt: contant) la vie entière d’un Indien, Hannali Innominee, à travers tous les XIXe siècle, il s’agit pour l’essentiel du récit de l’extermination, de la déportation, de l’exploitation et de la discrimination des Amérindiens — peu importe l’ordre. Le récit de toutes ces guerres injustes, de tous ces combats indignes, tordent littéralement les tripes — de rage, de chagrin: et malgré tout, toujours Okla Hannali amuse.

Car Lafferty a le génie de la légèreté — je crois qu’il n’y a pas de meilleur mot pour définir ce roman: « légèreté ». Et même dans les moments les plus terribles, jamais le narrateur ne se départit de cet humour léger qui a le beau paradoxe de savoir renforcer la gravité du propos. Pour citer Jean Borie (qui parlait de Michelet, mais peu importe): « au bout de quelques lignes, une suavité débonnaire, une douceur allègre vous enveloppe, vous vous abandonnez à cette promenade entraînante de merveille en merveille avec une bonne humeur mousseuse — mais l’émerveillement est impersonnel, et la bonne humeur sans gaieté ».

Deux niveaux, en effet, se croisent, s’enchevêtrent, se rencontrent, mais ne se confondent jamais ni ne s’identifient l’un à l’autre. D’un côté, une intrigue où se mêlent indissociablement l’humain et le politique, de l’autre une narration essentiellement historique mais qui n’ignore pas l’éthique. C’est ce qui explique l’extraordinaire réussite narrative de ce roman: la manière dont il est raconté doit tout à l’éthique amérindienne — leur état d’esprit, leur mentalité, leur philosophie, appelons ça comme on veut, n’en demeure pas moins que c’est un point de vue remarquablement différent de celui qu’un homme blanc pourrait adopter.

Ayant choisit d’adopter la pose du narrateur omniscient (ce qui est déjà assez difficile à réussir), Lafferty utilise l’histoire non pas comme une matière prétendument neutre, mais comme le support à la manière d’être des Amérindiens: en quelque sorte, il donne leur version des faits historiques. C’est de l’histoire, mais pour une fois, écrite du point de vue des vaincus… Et ceux-ci, non seulement n’ont pas l’air de s’estimer si « vaincus » que cela (la preuve: ils sont toujours présents, aujourd’hui), mais ne se prennent pas au sérieux comme leurs adversaires.

Bien entendu, il faut préciser que les Amérindiens ici mis en scène sont des Choctaw — mais finalement en dépit de la différence d’ethnie, j’ai retrouvé dans le roman de Lafferty cette voix amusée qui m’avait déjà séduite chez Thomas King (« Green Grass, Running Water », par exemple). Lafferty explique d’ailleurs que les blancs ne peuvent pas vraiment comprendre — les Choctaws sont parfois pris d’un grand gloussement, une forme de rire qui leur est bien propre.

Impossible de résumer Okla Hannali, au fait: s’agissant du récit linéaire, par le menu (quoique plein de « avances sur images » pour aller aux faits qui intéressent le narrateur omniscient), de toute la vie d’un homme, il s’agit par conséquent aussi d’une sorte de suite d’anecdotes — et que celles-ci se retrouvent dans le contexte plus général des guerres indiennes ne change rien à l’aspect irrésumable d’un tel ouvrage. Il faudrait que je dise que le héros est né à tel moment, qu’il a fait ceci, puis cela, puis ceci, puis cela, à n’en plus finir… Son parcours est celui de tous les Amérindiens du dix-neuvième siècle: le déplacement forcé vers une région qui n’était pas hospitalière pour des cultivateurs, l’acclimatation stoïque et roublarde à de nouvelles conditions de vie, les trahisons des Américains (bafouant sans vergogne les principes fondamentaux de leur Constitution aussi bien que leurs lois successives — le monstrueux président Jackson est d’ailleurs surnommé le « Diable des indiens »), les guerres, encore les guerres (treize guerres civiles, et non pas une comme le prétendent les Américains blancs), la longue litanie des morts, et puis le vieil âge.

Hannali Innominee ne se laisse jamais abattre — et le lecteur se prend à regretter que ce personnage-là soit fictif, car bon sang qu’on l’aime, qu’on l’admire, ce vieux malin! Et l’on parvient même à s’habituer à sa diction — car Lafferty pousse le « vice » a rudoyer d’emblée son lecteur blanc, en faisant parler Hannali comme un véritable Choctaw. C’est à dire d’un seul tenant sans la moindre virgule en une sorte de mélopée infatigable sans inflexion. Ce qui ne joue pas un rôle mince dans l’effet de réel d’un tel roman, mais secoue assez souvent, tout de même, les habitudes de lecture.

Vite lu, passionnant, attachant, Okla Hannali est vraiment un roman formidable! J’en ai émergé tout réjoui, contaminé par la légèreté de l’esprit qui s’y trouve incarné. C’est fort, très fort.

#499

Tableaux Tuileries

Pont de Tolbiac: encore une réminiscence de Nestor Burma, mais le « vrai » pont a disparu depuis longtemps.

En haut des marches de bois, la monumentale bibliothèque que mon compagnon, irrévérencieux, rebaptise « Mazarine Pingeot ». Un parvis aussi désert que démesuré, quatre tours froides & sous nos pieds les livres enfermés. Toujours: le grandiose, le sublime — pas le beau.

Plongeant dans les entrailles rouge & noir du monument, nous entamons le tour de l’étrange patio: des pins au milieu des livres, en une forêt savamment sauvage que nul n’a le droit d’atteindre. Haubanés & tuteurés, ces troncs rouges figurent les étranges mats du grand navire de la Culture. C’est toujours la même chanson, post-modernisme quand tu nous tiens: un passé domestiqué, bien propre sur lui, devenu icône esthétique au sein d’un système d’échanges redoutablement hi-tech. Parc de Bercy, Bercy-village, BNF — c’est bien le nouveau Paris, celui du design roi & des architectes ultra-modernes. Ce n’est pas fini: il y a aussi les longs immeubles striés de noir, à l’élégance curieusement (& faussement) inachevée; le nouveau temple cinématographique de Martin Karmitz; la nouvelle ligne de tramway… Et tout cela dialogue avec le Paris ô combien classique, de l’autre côté des voies de chemin de fer: place Jeanne d’Arc, lycée Gabriel Fauré, lycée Claude Monet: depuis sa crête le XXIe siècle peut bien se hausser du col, l’immense masse du XIXe est toujours là.

Fin de séjour, nous retombons dans nos schémas habituels — londoniens, dirais-je: le bord de l’eau. Depuis les quais de la BNF jusque, sur l’autre rive, au Port de l’Arsenal & à la Bastille. Ainsi échappe-t-on au sublime, au rectiligne, au bien ratissé & au spectaculaire calculé. La Seine côté péniches, entrepôts, parkings, feuilles mortes, béton craquelé, mauvaises herbes, dessous des ponts, ferronneries, poutres métalliques, boulons, écrous, gris macadam, barges rouillées, tas de sable… Une sorte de retour à la ville authentique, à la pulsion poétique urbaine brute, sans toutes les afféteries du hi-tech post-moderne design architecturalo-machin, aussi beau soit-il… Un parcours apaisant de simplicité.

#498

Tableaux Tuileries (14)

Au-delà du parc, Bercy regagne l’ère contemporaine, mais sans pour autant tout à fait oublier son héritage… D’une rue bordée de chais, la pression économique a fait une sorte de centre commercial, quoique pas votre blockhaus ordinaire, non: une promenade gracieuse. Les façades basses des anciens entrepôts de vin sont toujours là, elles ont même acquises une nouvelle jeunesse. Et si commerces il y a, ils furent triés sur le volet: une immense jardinerie fait déborder ses fleurs & ses branchages jusque sur le pavé, comme en dernier rappel du parc; une belle librairie de BD porte le flambeau du commerce de librairie, aux côtés d’un magasin des Musées de France; les terrasses sont chics, les fringues aussi. Centre commercial alors, certes, mais frappé d’esthétisme comme rarement.

Bien que fauchés, nous flânons un moment au milieu des reproductions d’art & des beaux-livres, avant d’aller gâtifier dans la superbe animalerie. Des furets endormis, un lapin nain frémissant, des tas de chiots attendrissants — & puis surtout: deux chatons! Ah qu’ils étaient mignons, les petits fauves. Hum: chers, aussi. Très chers. Des « Somalis », que c’étaient — 850 € chacun, voilà qui paraît bien coûteux pour des greffiers…

Tout autour des petits chais, l’architecture contemporaine a érigé ses façades de verre & de bois, ses colonnes d’acier brossé & ses briques vernis. Le choc culturel — ou plutôt: le contraste, s’avère là aussi séduisant que dans les allées du parc. À l’outrecuidance flamboyante de néon bleu & de verre noir d’un complexe cinéma, répond la digne austérité des derniers grands entrepôts encore debout.