Dans la ville dominicale immobile, seul l’air bouge, tiède & apaisant.
Un couple de vieilles personnes passe à pas lent, visages pincés, froncés, froissés. « Mais ce n’est pas toujours fonctionnel », dit la dame. « Ah mais ils s’en foutent », répond le monsieur. Les fameux « ils ».
Les paradoxes habituels du printemps : lilas & glycines généreusement en fleurs, certains arbres amplement verdoyants tandis que d’autres poussent à peine leurs premières tiges tendres. Dans un jardin, les lourdes feuilles d’un marronnier qu’agite le vent m’évoquent une rumeur d’océan.
Marcher, juste pour marcher — for the sake of it, so to speak. Le coeur calme, la tête un peu atone. En se fixant des buts arbitraires : tourner dans telle rue jusqu’au jardin que l’on aperçoit, là, tout au bout ; un clocher gris qu’il s’agit d’atteindre ; une pente au dos rond au-dessus des toits rouges… Finalement les pas avancent, se perdent, jusqu’en haut de la colline, où après la litanie des prénoms d’une pseudo-monarchie locale (Eugénie, Constant, Camille, etc), puis la prétention sophistiquée d’une enfilade de poètes (Vigny, Musset, Chénier) ; après la bourgeoisie à la fois séduisante & vaguement ennuyeuse des petites maisons & des beaux jardins qu’on devine ; dominent soudain deux utopies : le gris hautain & les angles cassants d’un groupe scolaire aux allures de temple de la laïcité ; et épousant les courbes en espaliers charmants & dérisoires, les jardins communaux.
Caché au revers d’une pente herbue, sur un banc de béton verdit sous les arbres, moment immobile, secret, un peu de lecture & un peu d’écriture, avec le sentiment de se blottir dans une douceur urbaine insoupçonnée. Une pie va-et-vient un peu plus bas, endimanchée de noir et de blanc comme si elle était le majordome des lieux.
Place & rue Charles Dufraine : un sculpteur, mort en 1900. Décidément, un peu d’art pulse dans ces artères, alors que d’ordinaire on se dédie guère une telle topologie qu’à d’obscurs politiciens…