Lu: Transcension, par Damien Broderick.
Amanda est une sale gamine. Et qu’elle ait vingt-neuf ans n’y change rien: dans sa société, l’âge adulte ne s’atteint légalement qu’à 30 ans. Sur-protégée par sa juriste de mère et son plein-de-fric de père, Amanda a les aptitudes d’un petit génie (violoniste surdouée, mathématicienne géniale) mais pas la nature timorée que l’on prête habituellement aux intellos: au contraire, c’est une abominable casse-cou, toujours prête çà entraîner son pote Vikram dans les plus folles aventures. Genre: s’introduire dans le dépôt des camions automatiques (des sortes de super-TGV qui font transiter les marchandises d’un bout du monde à l’autre dans des tunnels scellés), afin de grimper sur le toit d’un des véhicules robot et de l’accompagner dans son voyage à grande vitesse.
Ça ne marche pas: les deux « mômes » se font prendre par la police, alarmes obligent. Et de passer (une fois de plus) devant le juge local, le Magistrat Mohammed Abdel-Malik. Qui lui-même n’est pas tout à fait ordinaire: en fait, c’est le seul des individus cryogénisés autrefois par différentes société de survie, qui ait jamais été réanimé. De son origine lointaine (dans le temps), cet homme qui tomba victime d’une persécution raciale, a conservé… Disons, une certaine originalité. Presque une excentricité, au regard très censeur, très encadré, des parents outrés d’Amanda et de Vikram.
Coincée dans sa chambre, Amanda met au point une nouvelle tactique pour s’enfuir et tout de même réaliser son exploit insensé: Vikram et elle vont s’envoler (avec une sorte de deltaplane miniature tenant beaucoup des ailes de chauve-souris), jusqu’à la Vallée. La Vallée de Ceux qui Ont Adopté le Dieu de Leur Choix. Une enclave pastorale uniquement peuplée par les descendants d’intégristes religieux et allumés New Age de tous poils. Là vit par exemple le jeune Mathewmark. Un « vrai jeune », lui, contrairement aux jeunes artificiellement prolongés que sont Amanda et Vikram: pas d’ordinateurs, pas de médecine chimique, riend e rien de la civilisation moderne n’est admis dans la Vallée: on y vit « à l’ancienne », du travail des champs, de la médecine douce et de la lueur des bougies. Des statuts légaux bien ancrés protègent la Vallée de toute intrusion par le monde extérieur.
Sauf que quelques « doyens » de la Vallée ont frauduleusement vendu le prix d’une intrusion: une immense cheminée d’évacuation des gaz émerge un matin dans le champ d’un pauvre vieux, qui en est mort d’une attaque cardiaque. Une colonne d’acier, colossale, servant à l’aération du tunnel à très grande vitesse qui depuis peu passe sous la Vallée — trop profondément pour que les habitants s’en aperçoivent, d’ailleurs, s’il n’y avait eu cette maudite cheminée. Qui outre l’inquiétude qu’elle provoque chez les superstitieux locaux (objet du diable monté des profondeurs des Enfers!), présente aussi la particularité de donner sur la seule zone des tunnels où les camions robots sont obliger de ralentir jusqu’à la vitesse d’un cheval au galop: c’est l’accord qui fut passé (en cachette) avec certains des doyens de la Vallée.
L’idée « géniale » d’Amanda est donc de plonger en aile volante sur la Vallée, et de s’introduire dans le tunnel par le conduit d’aération,a fin de grimper sur le toit d’un des camions, comme prévu à l’origine. Un bel exploit qui va conduire Mathewmark à découvrir l’existence des habitants du monde extérieur… Mais qui va aussi provoquer la mort de Vikram, qui glisse du toit! Et la quasi-mort de Mathewmark, le crâne fracassé — seule la médecine ultra-sophistiquée de l’extérieur permet de le sauver, mais au prix d’une « puce » dans le cerveau pour en compenser les parties détruites. Ce qui signifie: interdiction pour Mathewmark de revenir dans la Vallée, il doit s’acclimater au monde extérieur.
Bâtit en chapitres très brefs, chaque fois du point de vue d’un des personnages (y compris, parfois, le magistrat Abdel-Malik ou la mère d’Amanda, ou la tante de Mathewmark, par exemple), ce roman fut écrit essentiellement pour présenter les idées de l’auteur, l’Australien Damien Broderick, sur le futur proche et son aspect. Idées qu’il a développé, apparemment, dans une « non fiction » intitulée The Spike. Je ne l’ai pas lu, mais devine au titre qu’il s’agit de l’image de ce qu’en France on nomme plutôt le « mur du futur », et plus généralement un peu partout dans le monde, la Singularité. Voici donc un XXIIe siècle ultra-cybernétique, plein de merveilles scientifiques avancées et de sales mômes immatures. Oui, bon. Je ne vois pas bien ce que tout ça aurait de nouveau? Le grand problème de la Singularité, c’es justement d’empêcher les auteurs de science-fiction de « voir » le futur, désormais, tellement la courbe de l’évolution du « progrès » tant vers l’infini: c’est ça, le « mur ». Damien Broderick semble prétendre « voir », lui – mais pour ma part je n’ai « vu » que des clichés cyberpunks, finalement, rien de bien terrible. Que l’intrigue soit tenue par des ados, en plus, n’arrange pas la crédibilité: j’ai plutôt eu l’impression de lire un roman pour Denis Guiot, bon mais pas génial (genre Christian Grenier, quoi) ,plutôt qu’une grande oeuvre visionnaire de spéculative-fiction… Quant au final du roman, il s’avère relever d’une vieille théorie de — zut, son nom m’échappe, ce grand théoricien de l’âge des robots et des IA? Bref: le remplacement des humains tous faiblards par les IA toutes puissantes. Ici, une seule IA, issue d’une manipulation des données de l’individu Abdel-Malik. Et zou, le monde entier, et même le système solaire, de se fondre dans une grande Singularité — mais une sorte de trou noire, cette fois, vers un ailleurs inconnaissable. Parce qu’en fait tant le « monde » ultra-technologique d’Amanda et ses parents, que celui rétrograde de la Vallée, n’étaient que des « poches » conservée par la bienveillante IA…
C’est gentil, tout ça.