Vu l’expo « Focillon, la vie des formes », que le Musée des beaux-Arts (de Lyon) consacre à l’un de ses conservateurs, Henri Focillon, qui domina la vie de ce musée durant une bonne partie de la première moitié du XXe siècle.
Regarder une peinture, pour moi, c’est une tension délicieuse, comme une sorte d’élan qui précipite mon attention sur la toile. Je retrouve toujours avec plaisir & surprise cette sensation étonnante.
Focillon était un homme ouvert, spécialiste de l’art roman, passionné par l’art moderne de son temps mais méfiant vis-à-vis du cubisme, du surréalisme & de Picasso (bienvenue au club), fasciné par l’art oriental, au point de se convertir au bouddhisme vers la fin de sa vie, mais entretnant également d’étroits liens avec la Roumanie.
De tous cela, témoigne cette expo captivante: d’abord l’enchantement de découvrir de véritables miniatures persannes (jamais exposées depuis l’époque de Focillon — mais pourquoi donc? Dans quel dédaigneux grenier dormaient-elles?). Puis des tableaux impressionistes lyonnais — « La Locomotive » de Louis Beysson (vers 1900), qui confronte deux locomotives à la vapeur verticale à un solide cheval, tête baissée, dans une scène entre ville (grands immeubles, voûtes de la gare) & nature (broussailles du premier plan). « Démolitions » d’Eugène Brouillard (1913): immense & toujours actuel. Et puis le soleil ondoyant dans les vagues d’une aquarelle niçoise de Signac.
Focillon n’était pas qu’un esthète: théoricien de l’art, il était également un beau styliste, comme en témoignent les facsinants commentaires qui ponctuent le parcours, parfois plus pertinents que els toiles elles-mêmes. Beau choix: une anthologie de superbes descriptions, presque des poèmes. Ainsi de « La forêt de Fontainebleau, enceinte palissadée » de Narcisse Diaz de la Pena (1868), de beaux arbres dans le style de Barbizon: « L’arbre de Diaz porte des feuillages où crépitent les rayons, son écorce est parure, et toute chamarrée de lueurs errantes. »
Le demi-jour gris et rose des danseuses de Degas; la limpidité aquatique des baigneurs de Cézanne; les rouges et ors d’une femme mauresque de Chassériau; les figures cocasses des chapiteaux romans; se conjuguent pour brosser le portrait d’un connaisseur d’art.
« L’écriture comme sur la feuille blanche ces petits signes pressés, sombres et actifs. »
« L’oeuvre d’art résulte d’uneactivité indépendante, elle traduit une rêverie supérieure et libre, mais on voit aussi converger en elle les énergies des civilisations. »
« La conscience humaine tend toujours à un langage et même à un style. Prendre conscience, c’est prendre forme. »
Le choc tendre de « Jour de pluie » par Takeuchi Seiho (1922): noyé d’encre ombre. Quelques bois de Hiroshige & Hokousaï. Deux peintures boudhiques (Tibet) jamais elels non plus exposées depuis l’époque de Focillon. Latinité: art moderne d’Espagne… et de Roumanie. Les propres dessins de focillon proviennent du Cabinet des Estampes de Bucarest. Impressionistes roumains, la géométrie séduisante du « Puits au village de Brebu » par Stefan Luchian (1908).
« L’art n’est pas seulement une géométrie fantastique, ou plutôt une topologie plus complexe, il est lié au poids, à la densité, à la lumière, à la couleur. »