#743

Ce matin j’ai rêvé qu’il avait neigé et que les toits étaient blancs. Déception, ce n’était pas le cas. Mais la réalité vient de rattraper mes songes: une bonne bourrasque et tout est effectivement blanc.

L’envers de la médaille: je commence à avoir très sérieusement la crève. Brrr.

Suite des lectures: World’s End par Mark Chadbourne. Une énorme fantasy urbaine, premier tome d’une série. Lecture de commande, mais très agréable: Chadbourne parvient avec une apparente facilité à prendre les outils de la fantasy urbaine pour en faire une vaste fresque épique, il fait usage des légendes britannico-celtes sans que cela soit handicapant pour un lecteur non avertit (tous les élements étant adroitement expliqués), il a un vrai sens de la psychologie, un vrai sens du suspense bien sûr, en dépit de l’épaisseur du volume il n’y que peu de vraies longueurs, et stylistiquement c’est excellent, de la superbe prose anglaise.

Il me semble que Chadbourne a véritablement trouvé le moyen de transformer la fantasy urbaine (pas forcément toujours très commerciale) en un genre hautement best-sellerisable. World’s End est une sorte de Robert Jordan contemporain, un Charles de Lint aux hormones, puissant et captivant, empli d’horreurs et de merveilles. Sa grande force vient sans doute du fait qu’il est anglais: ainsi, sa fantasy prend sa source à de véritables légendes, dans le pays qui les a toujours nourrit, et plonge ses racines dans un véritable tissu urbain et rural à l’histoire très longue – par opposition aux autres auteurs de fantasy urbaine qui, américains, laissent toujours une vague impression de superficialité/manque de profondeur historique et mythique vécue. Ici, l’horreur est palpable, les sortilèges et la magie aussi, par le biais d’une langue anglaise imagée et forte, renforçant l’effet de réel loin du style américain mou et utilitaire habituel en fantasy commerciale. Du nec-plus-ultra de littérature populaire, qui m’a rappelé les Stephen Gallagher d’antan.

#742

Badaboum… J’ai pas plutôt fini de bosser sur les trois prochaines parutions des Moutons électriques qu’aussitôt je m’ensevelis sous une pile de bouquins – on ne se refait pas! La lecture me manque très très vite…

Alors, lus: Pereira prétend d’Antonio Tabucchi – court, prenant, intéressant. Un vieux journaliste pépère dans le Portugal des débuts du salazarisme se retrouve plongé dans la cruelle actualité politique de son époque… Parfaitement linéaire, très vite lu, un roman-coup de poing, en quelque sorte. Poignant comme un film de Visconti.

Elantris de Brandon Sanderson. Une daubette de fantasy commerciale, quelque part du côté de Feist avec des souvenirs de Zelazny, c’est sympa mais ça ne casse pas trois pattes à un canard. Lu pour un éditeur, of course: pour moi-même je ne lis plus depuis un bail ce genre de littérature populaire gentillette, j’en ai trop bouffé il y a quelques années. Et d’ailleurs, je me rend compte qu’après avoir bossé comme un forcené, avec une passion dévorante, sur les littératures du merveilleux ces dernières années, maintenant je me sens prêt à revenir à la SF – sans cesser de lire de la fantasy, bien entendu, mais en réinvestissant mon vieil amour de la SF en général et de la « speculative fiction » en particulier.

Je précise « speculative fiction », parce que primo je viens d’essayer de lire le dernier Roland C. Wagner et me suis franchement barbé, c’est imaginatif et bien écrit mais tellement ringard, je ne peux plus lire de space op! Le Temps du voyage est pourtant très beau, mais je ne parviens plus à « suspendre mon disbelief » pour ce genre de fictions trop éloignées du monde. Et secundo, parce que j’ai commencé à bosser sur un essai sur « la modernité de la SF », où avec mon co-auteur Raphaël Colson nous allons défendre exclusivement le versant « intello » de la SF – celle que j’aime!

Dans ce style, l’orgasme c’est la lecture de « Cloud Atlas » de David Mitchell – quelle pyrotechnie! Je viens de voir qu’il était nominé au Nebula, c’est chouette car Mitchell est publié hors-genre. Paraît d’ailleurs que son premier, tarduit chez l’Olivier, a fait un flop: c’est déjà nettement moins chouette. Beau aussi, dans un autre style: Roma Eterna du grand Silverberg, somptueuse approche de l’uchronie.

Et puis lu hier soir le nouveau Lewis Trondheim, Désoeuvré. une réflexion sous forme de journal sur l’éventuelle perte de talent avec l’âge, l’apparente difficulté pour un bédéaste de rester « au top » lorsqu’il vieillit. J’ai souvent entendu cette remarque, et le cas d’un grand monsieur comme Franquin, frappe bien sûr. Lewis cite Charles Schultz comme contre-exemple: bof! Dans ses dernières années, l’auteur des Peanuts ne faisait plus que se répéter machinalement, et niveau dessin c’était l’horreur (j’avais vu des planches originales: afin de compenser ses tremblements, Schultz dessinait en immense, ainsi ses traits tremblotés ne se voyaient pas trop en tout petit). Pour moi, le contre-exemple flagrant est Will Eisner, plutôt! S’étant arrêté de dessiné durant presque un an, Lewis s’interroge sur l’inspiration et le renouvellement — en compagnie de Ptiluc, de Gotlib, de mails de Delporte et d’Harry Morgan, et de nombreuses conversations. C’est intelligent, drôle, touchant, pas nombriliste ni vain — de l’excellent Lewis, brillant comme on l’aime. Un essai en dessin, que voilà une belle idée.

#741

>> Hors jeu (3)

Ancien relai de poste fondé en 1856, cet hôtel « Touring Continental » est le projet de vie d’un charmant vieux monsieur, plus soucieux d’échanges humains que de gros sous. Ce qui nous avait semblé glauque le soir acquiert au jour le charme fragile d’un lieu singulier, un labyrinthe étrange dont la magie particulière entre à cet instant précis, ce matin cristallin, en résonnance avec le calme blanc, la légère excitation d’une ville transformée en cité nordique par le grésil floconneux et l’emprise neigeuse.

It cames from Ugo’s room:

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Luxe, calme et volupté:
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Le ciel se fond avec le sol, en un éclat atone, gris-blanc de la chaussée, gris-blanc des nuées.

La longue facade crêmeuse de l’ancienne Manufrance vibre face au phallus anthracite du planétarium — de cette vibration des choses immobiles dans la lumière saturée du mauvais temps ou du crépuscule. Nous sommes en fin de matinée et cependant c’est comme si le soleil se couchait. Les ombres longues, les tons feutrés, avec par-dessus les toits un couvercle bouché de neige. Puis soudain, tout s’éclaire, l’azur déchire les nuages, le macadam brille: l’heure du départ est aussi celle de l’éclaircie. À la gare, les rails sont de noires aiguilles filant au sol, tombées de l’horloge que la SNCF n’utilise visiblement plus.

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#740

>> Hors-jeu (2)

Bon, en même temps on peut être moins indulgent et considérer qu’un salon de ce genre n’est jamais qu’une réunion de gamins,d ‘inadaptés sociaux et de dérisoires grands enfants — ou du moins serait-ce le regard qu’y porterait un observateur normatif. Pour ma part, j’avoue toujours hésiter dans mon point de vue sur ce genre d’événements: être accablé par l’impression de futilité? Rire du ridicule? M’attendrir pour la passion? Une seule certitude en définitive: la moutarde du hot-dog est si forte qu’Ugo en a les oreilles qui saignent.

Si, une autre certitude: ce salon est, en ce qui concerne les trois écrivains présents (Anfosso, Bellagamba et Ruaud), un échec complet. Zéro vente, personne n’en a quoi que ce soit à faire de nos bouquins non ludiques, et… nous nous ennuyons ferme! Du coup, Ugo nous persuade d’aller au planétarium en face, mais même cette distraction s’avère bien décevante. Présentation plate et simpliste annonée par un animateur pas au point, puis projection d’un DA très vilain, en 3D grossière, et qui plutôt que de concerner directement le ciel se perd dans des fadaise ésotériques d’autant plus choquantes que nous devrions nous trouver dans un lieu de science. Le planétarium de St-Etienne confond astronomie et astrologie: désolation.

Après le salon de Bagnols-sur-Cèze d’il y a quinze jours, je me dis que décidément il ne faut pas que j’accepte de me déplacer pour ce genre de petits (non-) événements locaux — en tout cas, pas sans être rémunéré. Ne même pas parvenir à vendre un recueil de John Howe ou un Panorama dans un lieu empli d’un public qu’on pourrait croire sensibilisé à la fantasy à quelque chose de désolant… *sanglot nerveux*

Nous sommes, littéralement, hors-jeu. L’activité ludique a un aspect autiste, renfermement sur un eptit groupe autour d’un plateau, qui s’oppose à l’ouverture/curosité nécessaire sur uns alon rpésentant des stands. Le soir venus, nous nous carapatons donc pour aller passer des moments chaleureux avec des copains stéphanois. Ç’aura finalement été la véritable réussite de ce déplacement sur St-Etienne: les appartements immenses de Fab et d’Annie, les rues et les places transfigurées par la neige (St-E ou Vladivostock?), la nourriture rustique et solide du resto, les bols de cidre, les échanges, la malice du petit Alain, les fous-rires, toute cette amitié. Quant à notre hôtel, après un vrai moment d’inquiétude par rapport à son apparence vétuste [reportage photo une fois prochaine!], il s’avère en fait aussi confortable qu’il est excentrique.

Fauriel

#739

>> Hors-jeu (1)

Non seulement j’aime les hommes jeunes, mais en plus l’expérience m’a moultement (et souvent assez douloureusement) démontré que ceux qui me plaisent sont plutôt hétérosexuels. Double raison à cela: statistique, forcément (un homo qui refuse la pratique du ghetto se condamne à ne fréquenter en majorité que des garçons hétéros) et esthétique aussi: ainsi que le prédisait Michel Foucault, la focalisation excessive sur une « identité homosexuelle » a conduit à un manque de plasticité de la manière de se montrer gay dans la communauté, et donc à certains codes, certains « looks » qui ne sont vraiment pas dans mes goûts — classiquement éphèbe/boy next door.

Pour ma vie, j’aimerai bien construire un trajet conforme à ce que Foucault disait des stoïciens: « d’avoir une belle vie et de laisser le souvenir d’une belle existence ». Las, force est bien d’avouer que c’est nettement plus sur le modèle ascétique que je survis depuis de (trop) longues années: pas de vie sexuelle, si ce ne sont quelques aventures/cohabitations sur divers modes, toutes terriblement brèves et désormais si lointaines qu’elles me semblent relever plus de la légende dorée que du vécu. Mon rapport aux garçons n’est donc fait que du simple jeu de l’admiration et, lorsque l’occasion s’en présente, du dialogue/complicité.

Ainsi, montant l’escalator qui menait au quai où je devais prendre le train pour St-Etienne samedi matin, tout de suite vis-je un éphèbe au physique agréable, les cheveux en pétard lui tombant sur les yeux, le visage éclairé par un nez fin et un regard clair, la taille étroite dissimulée sous l’élégance d’une veste longue à la Matrix, les doigts couverts par quelques longues bagues « goth ». Nos regards se croisant plusieurs fois, nous engageons la conversation et, comme je le supposais, il s’agit bien d’un joueur qui se rend à la convention de JdR où j’ai été invité à tenir stand.

Quelle idée, d’ailleurs, que d’accepter d’encore « perdre » un week-end sur un salon? Cette fois, en dehors du vague espoir de vendre quelques bouquins des Moutons électriques, ma motivation est de voir l’ami Bellagamba, également invité — et les autres copains stéphanois. Et puis je me suis dit que l’observation de la faune d’un tel événement pourrait être intéressante — sans jugement de valeur: en fait, sans partager du tout leur passion pour le jeu, je trouve très sympathique la passion des joueurs. Quant à la pratique du déguisement, je ne la trouve pas sans charmes: ne s’agit-il pas, dans un cadre dont les codes l’admettent, d’acquérir une liberté esthétique, de réinventer une image de soi selon des normes plus souples et plus créatives que le prêt-à-porter quotidien?

Bien sûr, m’attriste un peu la schizophrénie de cette attitude: de même que notre société « permissive » ne permet en fait de s’affirmer gay que dans les limites d’un ghetto caricatural, tous ces jeunes gens ne s’habillent-ils ainsi et ne vivent-ils leur passion du jeu que dans un cadre très limité. Ce petit jeune au nez en trompette met-il son chapeau haut-de-forme dans la rue? Peut-être. Mais à coup sûr ce mince ado ne sort-il pas avec un diadème sur le front. Non plus que ce mignon rouquin en uniforme de Starfleet et oreilles pointues de Vulcain. Et je ne cite ici que trois garçons dont la plastique m’a séduit — afin de ne pas m’apitoyer sur le phénomène aussi triste qu’habituel des otakus. Dans notre démocratie excluante et normative, « l’obsession du normal engendre des monstres » (J.C. Monod, La Police des conduites): la société distribue les singularités dans des hiérarchies instituées.

train-neige