>> Hors-jeu (1)
Non seulement j’aime les hommes jeunes, mais en plus l’expérience m’a moultement (et souvent assez douloureusement) démontré que ceux qui me plaisent sont plutôt hétérosexuels. Double raison à cela: statistique, forcément (un homo qui refuse la pratique du ghetto se condamne à ne fréquenter en majorité que des garçons hétéros) et esthétique aussi: ainsi que le prédisait Michel Foucault, la focalisation excessive sur une « identité homosexuelle » a conduit à un manque de plasticité de la manière de se montrer gay dans la communauté, et donc à certains codes, certains « looks » qui ne sont vraiment pas dans mes goûts — classiquement éphèbe/boy next door.
Pour ma vie, j’aimerai bien construire un trajet conforme à ce que Foucault disait des stoïciens: « d’avoir une belle vie et de laisser le souvenir d’une belle existence ». Las, force est bien d’avouer que c’est nettement plus sur le modèle ascétique que je survis depuis de (trop) longues années: pas de vie sexuelle, si ce ne sont quelques aventures/cohabitations sur divers modes, toutes terriblement brèves et désormais si lointaines qu’elles me semblent relever plus de la légende dorée que du vécu. Mon rapport aux garçons n’est donc fait que du simple jeu de l’admiration et, lorsque l’occasion s’en présente, du dialogue/complicité.
Ainsi, montant l’escalator qui menait au quai où je devais prendre le train pour St-Etienne samedi matin, tout de suite vis-je un éphèbe au physique agréable, les cheveux en pétard lui tombant sur les yeux, le visage éclairé par un nez fin et un regard clair, la taille étroite dissimulée sous l’élégance d’une veste longue à la Matrix, les doigts couverts par quelques longues bagues « goth ». Nos regards se croisant plusieurs fois, nous engageons la conversation et, comme je le supposais, il s’agit bien d’un joueur qui se rend à la convention de JdR où j’ai été invité à tenir stand.
Quelle idée, d’ailleurs, que d’accepter d’encore « perdre » un week-end sur un salon? Cette fois, en dehors du vague espoir de vendre quelques bouquins des Moutons électriques, ma motivation est de voir l’ami Bellagamba, également invité — et les autres copains stéphanois. Et puis je me suis dit que l’observation de la faune d’un tel événement pourrait être intéressante — sans jugement de valeur: en fait, sans partager du tout leur passion pour le jeu, je trouve très sympathique la passion des joueurs. Quant à la pratique du déguisement, je ne la trouve pas sans charmes: ne s’agit-il pas, dans un cadre dont les codes l’admettent, d’acquérir une liberté esthétique, de réinventer une image de soi selon des normes plus souples et plus créatives que le prêt-à-porter quotidien?
Bien sûr, m’attriste un peu la schizophrénie de cette attitude: de même que notre société « permissive » ne permet en fait de s’affirmer gay que dans les limites d’un ghetto caricatural, tous ces jeunes gens ne s’habillent-ils ainsi et ne vivent-ils leur passion du jeu que dans un cadre très limité. Ce petit jeune au nez en trompette met-il son chapeau haut-de-forme dans la rue? Peut-être. Mais à coup sûr ce mince ado ne sort-il pas avec un diadème sur le front. Non plus que ce mignon rouquin en uniforme de Starfleet et oreilles pointues de Vulcain. Et je ne cite ici que trois garçons dont la plastique m’a séduit — afin de ne pas m’apitoyer sur le phénomène aussi triste qu’habituel des otakus. Dans notre démocratie excluante et normative, « l’obsession du normal engendre des monstres » (J.C. Monod, La Police des conduites): la société distribue les singularités dans des hiérarchies instituées.