Dans une rue de Paris…
Archives mensuelles : octobre 2006
#1103
#1102
Pas culturellement correct, épisode 32: la science-fiction et le merveilleux, c’est sale. Avant-hier soir, je me trouvais à un buffet après une conférence aux Chartreux, la grande cité scolaire catho où officie mon ex-coloc. Un vieux bonhomme auto-édité s’était glissé là, grosse barbe de Père Noël et même la veste rouge qui va avec. Il me demande si je suis prof aux Chartreux, je lui explique que non, je suis éditeur. Ah, comme moi, me dit-il (ah ah ah). Et de me demander, fatale erreur, ce que j’édite. Réaction à ma réponse: « ha ». L’oeil soudain éteint, l’attitude gênée.
#1101
Fin du voyage parisien: tôt levé une fois encore, afin de tenir ce blogue à jour (faut être fou), je quitte l’appartement de mon oncle pour une petite balade à pied, en attendant l’heure de mon rendez-vous avec Rafu. Le terme « flâner » n’existe pas en anglais, il paraît que c’est même un concept très français. Eh bien soit: flânons. J’apprécie également le terme « se baguenauder ». Désuet et amusant. Il faut bien avouer que j’ai un certain penchant pour le vocabulaire désuet, l’autre jour un ami me faisait remarquer que j’étais sans doute le seul à parler d’une gabegie.
Dans son expo, Cabu explique qu’il apprécie notamment la qualité d’anonymat, dans Paris. Je ne discerne pas très bien en quoi il s’agirait d’une qualité, il me semble plutôt qu’il s’agit d’un travers urbain assez triste. D’aucuns, à Paris, tentent de vaincre ce mal par l’excentricité de leur tenue: je croisai tout d’abord Lucky Luke — qui a pris de l’âge, depuis le temps qu’on racontre ses aventures en bédé, mais c’était bien lui: Stetson blanc, foulard rouge, etc. Puis une femme-de-fer qui ferait passer même Marion Mazauric pour une douce créature — cheveux gris en brosse, grande taille, visage pointu, cuir et métal, veste cintrée, hautes bottes, accessoires inquiétants. Enfin, sans doute plus banalement, c’est Hercule Poirot que je croisai — tout y est, de la petite bedaine à la calvitie, la fleur à la boutonnière, l’élégance un peu ancienne, et la moustache of course! sans doute suis-je encore dans l’atmosphère de l’essai que je sors bientôt aux Moutons électriques (co-écrit avec Xavier Mauméjean), mais la ressemblance me frappe.
Passage par le quartier de l’Horloge: je me souviens l’avoir vu construire, dans ma jeunesse parisienne. Je réalise n’y être jamais allé depuis, en fait. D’utopie architecturale, tout ce béton de la fin des seventies est déjà passé à une lourdeur un peu angoissante, un enfermement souillé par le Co2. Je viens de passer devant une petite librairie de bédé, « Super-héros », en voici encore une autre: « Fantasmagories ». Fou le nombre de librairies de bédé qu’ilo peut y avoir à Paris. Il est vrai que c’est le dernier refuge des bonnes ventes de livres.
Attendant Rafu, je m’assied sur le rebord métallique de la fontaine du Centre Pompidou. Quelques jeunes gens visiblement heureux sortent devant l’IRCAM. Des touristes passent et repassent. Photo, photo, photo. Un groupe de jeunes blonds me demandent de les photographier. Beaubourg ensuite: peu enthousiastes, malgré quelques bonnes surprises (les peintures d’Yves Klein au feu, les débuts multicolores de Rauschenberg). Sommes-nous réactionnaires? Nous devons bien reconnaître demeurer très attachés à la narration — d’où notre goût, en ces lieux, plutôt pour la photographie. Superbe expo des collections de la Caisse des Dépôts, à ce titre. Temps de regagner Lugdunum, où dès le soir je poursuis les « mondanités », avec une intéressante conférence d’un ponte culturel local, étonnant d’équilibre entre la provocation et le politiquement correct. La médiation culturelle est visiblement affaire de diplomate.
#1100
De retour rue des canettes, Sam me propose de rencontrer le directeur de Buchet-Chastel, avec lequel je m’entretiens donc d’une proposition de collection. L’homme est compétent, il sait de quoi je lui parle et le dialogue semble fructueux. Enfin ai-je l’impression d’avancer un peu dans ce projet.
Afin de continuer dans l’impromptu inhabituel, je passe ensuite chez Nicaise, où Michel-Ange m’accueille avec la gentillesse d’un vieil ami. posant mes affaires derrirèe son bureau, je fais le tour de cette extraordinaire librairie: dans ses reliures modernes se cachent du Matisse ou du Cocteau, par exemple, tandis qu’au mur sont accrochées les pages d’un ouvrage de Cendrars illustré d’aquarelles originales de Sonia Delaunay… Aucun prix d’affiché, bien entendu: nous somems chez les très riches et les grands collectionneurs. A la petite table centrale, deux hommes feuillettent avec précaution de grasses feuilles tirées de beaux coffrets. A l’étage, les vitrines exposent des herbiers très esthétiques et assez poétiques de Marinette Cueco, tirés d’un récent ouvrage de ces fous de PaNaMa – dont un tirage de tête est ici proposé. Le plancher grince sous mes pas, j’admire ces planches de kraft chargées de compositions végétales épurées. En bas, je m’assied un instant à la table, échange ma carte de visite avec celle d’un galeriste et éditeur d’art de Bogota – la Colombie et la richesse, vous imaginez aisément les néfastes associations qui viennent aussitôt en tête!
Au sortir de la librairie, une amie éditrice se charge rapidemment de me remettre la tête à l’endroit: je suis bien moi-même et non une version alternative. Elle me refuse un livre. Trop ceci et pas assez cela — ce livre est maudit, en tout cas on me donne toujours le même type de réponse. Durant la nuit, nouvelle insomnie: les rouages mentaux enfiévrés, je cogite à la manière dont pousser plus encore les particularités de cet ouvrage, le rendre vraiment excentrique; j’ébauche aussi dans ma tête le plan du deuxième Ariel; et je rumine sur les prochains changements à apporter à Fiction… Le lendemain, le levé sera un peu laborieux. C’est la tête embrumée que je blogue, avant de filer chercher à la gare de Lyon mon petit camarade Rafu. Resto russe, Palais de Tokyo et Musée d’art moderne de la ville de Paris, un tour dans le jardin du musée du quai Branly, avant que d’aller tenir réunion de travail chez Mnémos. Le soir venu, nouvelles mondanités mais très retenues, presque intimes: un petit cocktail chez Klincksieck en l’honneur des auteurs récents de la collection « 50 questions » – dont nous faisons partie. L’occasion de rencontrer mon éditrice, avec laquelle je n’avais travaillé que par mail, et d’échanger quelques considérations avec le boss des Belles Lettres, déjà rencontré une fois lors de l’accord des distribution des Moutons électriques. Petits fours et vin rouge, au milieu des dos rouges passés des Budé. De l’autre côté de la vitrine, la nuit efface le mur de la Sorbonne et assourdi le trafic automobile.


