#1099

En fait de tournée des musées, ce fut une journée de mondanités. Je prévoyais de me changer les idées, avec ce petit séjour parisien, mais jamais je n’aurai envisagé des activités aussi… inattendues. La matinée avait commencé de manière ordinaire, avec un réveil très tardif, mon coloc du moment m’appelant pour m’annoncer qu’il n’avait rien cassé, un peu de blogue, et une flânerie dans le Quartier latin. Je devais déjeuner avec mon ami Sam, qui bosse chez Buchet-Chastel. A l’heure dite, je le trouvais campé au milieu de l’étroite rue des canettes. Il m’annonça son intention de me présenter Michel-Ange. I beg your pardon?

Michel-Ange travaille chez Nicaise, librairie de bibliophilie moderne. Comme nous arrivions à l’angle de la rue, il fermait boutique et nous proposa immédiatement que nous mangions ensemble. Montant à l’étage d’une pizzéria, nous discutâmes aussitôt comme si nous nous connaissions de longue date, par le charme de notre amitié pour Sam. A peine étais-je assis dans l’angle de la pièce, contre une fenêtre diffusant une agréable fraîcheur, qu’on me saluait par mon nom: Sébastien, le camarade éditeur qui avait passé le week-end chez moi à Lyon, venait lui aussi déjeuner là. Amusante impression d’être un autre: discussion amicale avec un étranger tandis qu’un ami à quelques tables de là discute avec quelqu’un d’autre. Et cette étonnante incarnation dans la peau d’une version alternative de moi-même se poursuivit après le repas, lorsque Sam m’annonça que nous devions nous rendre chez François Avril.

Avec un calme étonnant, j’aprouvais cette idée pourtant objectivement stupéfiante de rencontrer l’un des artistes que j’admire le plus, en son propre atelier. Je me souviens encore de la fois où, en séjour chez des amis à Amsterdam, j’entrais dans une librairie de bédé et découvrais que s’y tenait une grand expo d’Avril: le bonheur! Mais pour l’heure, la réalité me conduisait dans le 9e arrondissement, à descendre la rue Rochechouart jusqu’à un grand porche grillagé. Le code tapé, nous montâmes au premier, Sam sonna à une porte au bord de laquelle une boîte à lettres porte « Avril » dans la caligraphie habituelle de l’artiste. Terriblement self-conscious, j’entre à la suite de Sam dans le grand atelier lumineux, une pièce aux murs beiges éclairée par deux hautes fenêtres. François Avril est charmant, sa photo dans le tome 7 du Cahier dessiné ne lui rend pas justice: il s’étonne d’ailleurs d’y paraître si sombre et revêche. Avec une gentillesse désarmante, il nous explique avoir installé plusieurs tables de travail dans la pièce, aujourd’hui, car il ne va pas tarder à recevoir d’autres dessinateurs: en compagnie de Juillard, Mattotti, Loustal et Moebius, ils se ménagent des après-midi de marathon dessiné, où chacun planche sur le même thème imposé. Avril s’étonne de cette aubaine, s’enthousiasme pour ces rencontres, nous montre fièrement le grand dessin en couleur que Moebius a exécuté la fois précédente et lui a offert. Grand artiste lui-même, Avril parle pourtant avec une modestie de débutant et l’entrain d’un passionné. Si je n’en reviens pas de me trouver là, lui-même semble vivre sa situation avec une candeur toute simple. Et de nous expliquer où habitent chacun de ses confrères du jour, de nous faire admirer ses dernières acquisitions de collectionneur: une immense planche originale de « Krazy Kat » d’Herriman, des strips non moins originaux de Milton Caniff et d’Alex Raymond… On sonne à la porte, entre André Juillard puis, oh my God, Lorenzo Mattotti. Je me trouve dans la même pièce qu’Avril et Mattotti? Je papote avec eux? Nous prenons congé, tout de même, avant l’arrivée du clan Giraud qui tarde: enough for a day. Sam me reproche gentiment ce départ, mais je ne nous voyais pas « taper l’incruste » plus longtemps. J’ai discuté avec Avril, je suis sur un petit nuage. Etonnant comme j’ai peu vu de ses oeuvres, du coup: l’homme est (beaucoup) trop modeste.

#1098

Après une nuit encore lacérée par les lames de l’insomnie, je passe, la tête encore embrumée, laisser mes clefs à la librairie pour Rafu, des fois que. Installé dans un TGV un peu en retard, j’ouvre l’Huma du jour et découvre presque aussitôt que Beaubourg est fermé pour cause de grève: et zut, je me rendais justement à Paris dès ce lundi parce que le Centre Pompidou est l’un des rares musées parisiens qui ne soit pas fermé le lundi…

Désoeuvré, je remonte lentement les quais. Sur une petite place, des travaux ont jeté à bas le mobilier urbain. Sur le socle renversé d’un poteau, un grand papillon frémit délicatement au soleil.

A l’Hôtel de Ville, l’expo sur Doillon n’a pas encore débutée, je me rends donc à celle sur Cabu. Je n’ai jamais vraiment prisé ce dessinateur, admirant l’aisance de son trait mais fort peu son humour souvent lourd et réactionnaire. Belle expo tout de même, quoique le film l’accompagnant soit d’une jolie niaiserie. Le hasard fera que je passe, un peu plus tard, devant le siègle de Charlie Hebdo.

Devant le Centre Pompidou, les touristes errent, en désarroi. Devant moi, un garçon tiré par deux molosses s’arrête devant une palissade de tôles ondulées vertes et blanches, enserrant le terrain vague formé dans un angle par la disparition d’un immeuble. Des aboiements s’élèvent de l’autre côté du mur de fer, le garçon échange quelques paroles par-dessus les jappements, se présente ensuite à la porte du terrain vague, commence à triturer une lourde chaîne. Un autre garçon émerge derrière la grille: il est complètement nu, même sa tête est rasé. Il laisse entrer son copain, le mur de fer se referme.

Je m’étais promis de prendre du temps pour avancer un synopsis de roman. La machine à idées fontionnant à plein lorsque je marche, et puisque j’en ai tout le loisir, je m’installe dans un Starbucks boulevard de Sébastopol, pour gratter un peu en sirotant un de leurs délicieux chai tea latte.

Poursuivant ma dérive de sucette historique en sucette historique et de place en bouche de métro par Guimard, après un passage à la librairie Galignani j’aborde l’Opéra, où je n’ai rendez-vous qu’en fin de journée. Nouvelle pause Starbucks, quelques pages. Repartant pour République, histoire de dire bonjour à une copine qui bosse à la librairie l’Arbre à Lettres (33 Bd du Temple), j’effectue dans un pub un nouvel arrêt écriture, de quoi reposer mes voûtes plantaires qui protestent, et de boire une demi-pinte de Strongbow. Au proche horizon, la tour St Jacques emmaillottée de blanc mime une navettte spatiale sur le pas de tir. Les garçons que je croise sont souvent beaux, les bancs franchement trop rares. En fin de journée, la lumière se fait caressante, éveille des ors à l’angle des toits. Le soleil déclinant attendri la ville — on respire du rose, écrirait Réda.

#1097

Quelques jours assez chargés, avant de partir me promener à Paris jusqu’à jeudi. Interventions vendredi et samedi en librairies, avec un succès que l’on décrira pudiquement comme « mitigé ». Le plus étonnant fut de se rendre dans un centre commercial à Ecully: c’était… loin! Et l’autobus passe par La Duchère, zone de grands immeubles ô combien typiques du pire des banlieues.

Depuis ce bus, la barre des immeubles forme à un moment comme une véritable falaise, devant laquelle s’érige fièrement un unique gratte-ciel — que ses architectures bien avisés ont dôté de protubérances régulières et d’une somptueuse couleur anthracite unie. Impressionnant: c’est Ortanc! De nos jours, Saroumane habite à La Duchère. Comment peut-on seulement planifier de telles choses? A voir le mal-être criant d’un tel paysage, tout le cynisme monstrueux des décideurs saute littéralement au visage.

#1096

La journée des faits divers: hier matin, voulant sortir de chez moi, je découvre que la rue est bloquée par les pompiers de chaque côté de l’entrée du porche de la cour où j’habite, car ils recherchent la source d’une fuite de gaz.

Le soir, je rentre chez moi et apprends qu’un immeuble c’est effondré dans le quartier, vers 14h — celui à côté de chez mes amis Laurence et Raphaël, qui ont été provisoirement relogés dans un hôtel, le temps que les experts vérifient que leur immeuble n’a pas été ébranlé. Ils viennent ce soir dîner ici, devant attendre lundi pour regagner leur logement.

#1095

Ce que je préfère, en lecture, c’est encore lorsque je dévore un bouquin, que je ne peux plus le lâcher… Attitude primaire? Eh bien, peut-être pas, car ce genre de lectures-boulimies peut chez moi s’effectuer dans des genres fort différents. Et là, ma dernière en date se situe bien loin des best-sellers — il s’agit du Roman de la peinture moderne de Jacques Gagliardi, chez Hazan, un énorme pavé d’histoire de l’art. Mais alors, quelle maestria! Un style vivant, brillant, une culture qui ne se cantonne pas comme d’habitude aux beaux-arts franco-français mais embrasse une large palette de nationalités, et un panorama historique qui court de Goya à Koons… Epatant. Vraiment: je dévore.

Ah sinon, très content: de très belles réactions au Fiction tome 4, déjà (posté aux abonnés et collaborateurs, mais en librairies seulement le 27). Il serait bien que ce livre-revue s’installe vraiment, solidement, dans le paysage éditorial, isn’t it?