Lumbago… Bien sûr, tout le monde me dit que la conférence que j’ai manqué était brillante. Frustration! Enfin, en tout cas j’adore mon médecin. Vous en connaissez beaucoup, vous, qui après la consultation se met à vous décrire le musée du Quai Branly, ses qualités et ses défauts, puis à vous faire les louanges de la collection d’art moderne du Petit Palais?
Le médecin lettré, quelle calamité !
Tous les six mois, je dois faire une visite de contrôle chez un dermatologue. Il y a quelques années, j’ai eu un gros accident de santé, le genre qui sent un peu le sapin, et une fois que le chirurgien m’a corrigé le problème, il m’a dit que je devrais à vie me faire suivre par un dermato. Et il m’a donné les coordonnées d’un de ses collègues.
Lequel s’est avéré être un bibliophile forcené…
Vous ne pouvez pas imaginer l’épreuve que ça peut représenter. Vous venez vérifier que la machine fonctionne, et l’auguste praticien vous entreprend d’entrée sur la dernière vente aux enchères. Il glose interminablement sur des auteurs oubliés, sur les collections de tel ou tel illustre inconnu, sur la fluctuation des prix sur le marché du livre rare, sur la disparition des bons relieurs… Il s’enthousiasme sur tel volume à vendre, dans l’achat duquel la moitié de votre salaire annuel serait engloutie, et qu’il hésite à acquérir juste parce qu’il y en a un autre qui le tente aussi, et que prendre les deux serait quand même un petit peu cher. Vous êtes à poil, sur sa table d’examen : lui, en blouse blanche et gants latex, se fend d’un vrai cours magistral en sillonnant son cabinet comme un prof son estrade, en jetant juste un vague coup d’œil anecdotique sur le patient, entre deux gloses savantes sur Garamond et le cours de Jacques Callot. Les premières fois, ça surprend. Vous arrivez avec la trouille au ventre qu’il vous redécouvre une saloperie dont le nom compliqué se termine par le suffixe-ome, et la désinvolture avec laquelle il examine votre cas étant proportionnelle à son enthousiasme bibliophile, vous vous demandez vraiment si vous ne vous êtes pas trompé de crémerie.
Mais c’est une sommité médicale, alors on se résigne.
Ah, j’oubliais. Ca dure une grosse demi-heure – trois quarts d’heure si la dernière vente l’a intéressé – et ça coûte 52 euros la revue de la Gazette Drouot.
PS : Un jour où je serai en forme, je vous raconterai aussi la consultation chez l’urologue amateur d’histoire, qui se met à fouiller dans la bibliothèque planquée sous son bureau, entre le toucher rectal et le débitmètre…
PPS : Sinon, j’avais entendu une interview de Toni Morrison sur France Culture, et c’est vrai que la dame, en plus d’avoir une voix vraiment charismatique, est très intéressante ! 😉
Bon rétablissement : ça fait mal, un lumbago.