#1279

Garden-party familiale. Devant la longère qui était autrefois le pied-à-terre campagnard de mon grand-père pour les week-ends, s’alignent de grandes tables en bois et des bancs, empruntés à la mairie du village. Ma tante Solange et mon oncle Patrick fêtent leurs 40 ans de mariage. Ils organisent chaque année la Grande Réunion Annuelle de la famille, mais cette fois l’occasion a déplacé plus de monde encore, et un traiteur fournit le manger. Autour du portique, grouille une meute de petits zenfants, surveillée par deux baby-sitters. Sur la pelouse, sous les arbres, voici les cousins nombreux: le parisien Bertrand (que je n’avais plus vu depuis qu’il avait 4 ou 5 ans), l’autrichien Johann (de la branche aristo de la famille), la vieille cousine malouine Marie-Armelle (autre représentante de notre noblesse), l’avocat Philippe, l’informaticien Philippe, les africains Yves et Claire, mes cousines Hélène et Marie, et puis le photographe Jean, le cinéaste Jacques Richard, l’oncle perdu Pierre (fils illégitime tardivement retrouvé de cette légende locale, le paternel de mon oncle Patrick), l’excentrique Mamo (vieille dame scandaleuse qui a enchanté mon enfance et que je n’avais plus revu depuis une vingtaine d’années), mes victoriens de parents… Générations mêlées, cela papote des ancêtres, de la généalogie et des liens familiaux, de la CIA, de Bruxelles, des Assises Internationales du Roman de Lyon, de films fantastiques, de mangas, d’ordinateurs, de tueur à gages, de New York, de Nantes, de Chinon, de chorale, de jardinage, des enfants, des petits-enfants… Les nuées grises ne nous tombent pas sur la tête, les mômes cueillent suspendus à une branche basse leurs petits cadeaux, le vin de Chinon coule du cubi, le champagne pétille, les couverts tintent contre la vaisselle, on va, on vient, tout en haut du terrain les hautes tiges des soleils coupent l’horizon, tandis qu’en bordure de la forêt, la prairie nouvellement acquise est toute fleurie de bleu. Belle, douce journée.

#1278

Durant ces trois semaines, j’aurai fort peu mis le nez en dehors du jardin de mes parents. Aujourd’hui, tout de même, nous sommes allé à Blois, pour visiter la Maison de la Magie: cela m’intéressait en particulier pour le prestidigitateur Dickson, dont Arsène Lupin est censé avoir été un élève. Bibliothèque rouge, toujours. Eh bien! Déception de taille: médiocrité absolue. En fait de musée, ce sont juste une poignée de vitrines où les objets sont entassés sans aucun commentaire, aucune explication ; quelques (très belles) affiches idem ; quelques salles sur Robert-Houdin, et c’est fini. Muséographie minimale et pédagogie zéro. Le peu d’explications que l’on peut trouver est rédigé dans un mauvais français, plein de fautes d’orthographe et de mots utilisés à tort. Lamentable. Et rien sur Dickson. Le principal intérêt du lieu, ce sont les cinq dragons mécaniques qui, une fois par heure, sortent roter sur la façade.

#1277

1276e message sur ce blogue. C’est dingue, quand on y réfléchit.

Mes vacances s’achèvent. Quelles lectures durant cette épriode calme et studieuse? Tout d’abord « Sacred Games » de Vikram Chandra. J’avais adoré les deux premiers livers de cet auteur anglo-indien, j’avais d’ailleurs chroniqué « Red Earth and Pouring Rain » dans ma Cartographie du merveilleux. Sur ce conseil, Patrice Duvic avait lu et essayé de faire publier ce beau roman de réalisme magique – en vain. Un des tous derniers mouvement éditoriaux de Patrice aura été, l’an passé, d’essayer de placer le nouvezu Chandra, et il devait me le faire lire sur manuscrit. Cela ne s’est jamais fait et, enfin, le roman paraissant en petit format je l’ai acheté l’autre jour. Las, j’avoue qu’il m’est tombé des mains à peine au quart… Non pas que ce soit un mauvais roman, très loin de là. Mais je ne suis pas arrivé à me passionner pour ces flics indiens, tous corrompus, et pour ce gangster indien, naïf et sans scrupules. Finalement, tant d’immoralité, moi, ça ne me convient pas – suis-je réac pour autant? Je sais bien que la situation économique indienne fait que la police ne pourrait absolument pas fonctionner sans une certaine forme de corruption, le roman l’expose avec justesse et pas mal de tendresse, mais j’ai trouvé ça assez désagréable, tout comme la médiocrité de bon nombre des (nombreux) protagonistes. Autres facteurs agravant, pour moi: l’intrusion de multiples termes indiens sans traduction ni explication, qui, loin de permettre une immersion rapide dans cet univers, m’a semblé éjecter le lecteur hors de la fiction. La ligne narrative sur le gangster m’a semblé un peu barbante, et ensuite le roman passe du polar à l’espionnage, genre que je ne prise guère… Bref: avec un grand regret, j’ai abandonné « Sacred Games », ce roman de 947 pages sur lequel Vikram Chandra a travaillé durant sept années.

Je suis revenu à Kate Atkison: je venais de lire son polar, « Case Histories », paru il y a déjà pas mal d’années mais dans lequel je ne me suis plongé que début juillet. J’ai donc lu « One Good Turn », sa suite récemment parue. Bien entendu, j’apprécie chaque fois l’humour pince-sans-rire d’Atkinson, ainsi que son goût pour des petites vies torturées par un secret ou un traumatisme ancien. Mais ce qui est encore plus fort dans ces deux romans que dans les autres de la même autrice, c’est qu’ils prennent l’aspect de romans policiers à la Ian Rankin. Précisément, Rankin: l’hommage est clair, net. On retrouve dans les deux Atkinson quantité de motifs et de détails dont Rankin a déjà fait usage au fil des enquêtes de John Rebus, mais utilisés de manière différente, avec une subtilité admirable. Mieux, même: « One Good Turn » se passe à Edimbourg, la ville de Rankin! Kate Atkinson pousse donc le culot jusqu’à over-rankiner Rankin. En intégrant l’aspect polar au sein d’un roman polyphonique et psychologique fouillé, qui sait conjuguer le meilleur du thriller avec le meilleur du roman anglais contemporain.

Polars encore: Ruth Rendell. Je n’avais jamais lu cette autrice pourtant fameuse. J’ai commencé avec « From Doon With Death », un peu vieillot et un peu trop simple – mais il s’avère que c’est sont out premier. J’ai continué avec « The Babes in the Wood » et alors là, quel bonheur! Une intrigue complexe et fouillée, des psychologies bien brossées, un décor superbe d’Angleterre dans les inondations (sujet qui a rejoint l’actualité ces derniers jours, d’ailleurs). La classe: je lirai avec gourmandise d’autres Rendell, c’est certain.

Classique: « Brideshead Revisited » d’Evelyn Waugh. Déjà lu il y a pas mal d’années. Etant tombé sur un joli Penguin le rééditant sous élégante couverture, j’ai eu envie de relire ce grand classique anglais. On est là dans la Littérature avec un grand L, de la classe d’un Flaubert, d’un E.M. Foster, d’un Lampedusa. L’humour grinçant en plus. Oxford, les grandes demeures patriciennes, un garçon à la beauté aussi sublime que fêlée, les « roaring twenties » anglaises… Le charme focntionne toujours, ô combien.

Enfin, j’ai lu le dernier recueil d’essais littéraires de David Lodge, « The Year of Henry James », où je trouve qu’il en fait un peu trop sur la coïncidence de publication d’un autre roman sur James en même temps que le sien, mais malgré tout plein de remarques brillantes sur la création romanesque. Le chapitre sur Greene et ses influences m’a surtout intéressé par ce qu’il éveille en moi d’arguments contraires, de réfutations et de réflexions – ce sera très utile pour le gros essai auquel je travaille, sur la SF. Et puis, là, je débute avec un délice absolu « The Girl in the Glass » de Jeffrey Ford, que le maître m’a gentiment offert il y a peu.

#1276

« Writing a novel could be accurately described as a process of continual problem-solving or decision-making. Most of these deceisions are made at the level of the scene or paragraph or sentence: this action or thought rather than that, this word or phrase rather than that. But there are macro-decisions which govern the whole narrative, and there are limits to one’s freedom to revise or modify them once the work is well under way. I have already touched on one of these matters, the handling of time. Another, perhaps the most important, is the question of the point of view from which the story is to be presented, which concerns not only the perspective from which events are perceived, but also the style or vocie in which they are narrated. » (David Lodge)

Mission accomplie: j’ai achevé la rédaction de mon 2e roman. Dans les 500 000 signes. Comme d’habitude, au soulagement d’en avoir terminé avec une telle tâche, succèdent aussitôt les anxiétés: mon style est-il assez bon, l’intrigue est-elle intéressante, ne présente-t-elle pas de brèches de logique interne, la gestion des voix est-elle convaincante, le début n’est-il pas trop semblable au premier roman, la suite n’est-elle pas trop différente du premier roman, le fait que la plupart des chapitres sont plutôt de nature dramatique que performative ne va-t-il pas déplaire? etc etc. Je crois savoir juger mes propres essais, mais pour la fiction, en revanche… Enfin: j’entame ma première relecture complète.

#1275

Mes parents habitent dans un quartier qui se nomme La Villette, comme celui où je vis à Lyon, mais la ressemblance s’arrête là. Les rares fois où j’ai l’occasion de me rendre dans le village à côté de chez eux, je m’attends toujours à croiser le gros taxi rouge de Oui-Oui. Les petits pavillons s’alignent sur des pelouses d’un vert télétubesque, tout est pimpant, propre comme un sou neuf. Il faut dire que, les centrales nucléaires de Chinon se trouvant sur leur territoire, la commune a plus d’argent qu’elle n’arrive à en dépenser, et elle se suréquipe donc, avec débauche de fleurs dans les rues, trottoirs partout, etc. Tout est sur une petite échelle, celle d’une étonnante banlieue sans ville: nous sommes à Jouetville.