#1331

NYC 6

« You’re lying to me. Fuck, I can hear it in your voice, Christine. » (Greenwich Village, un jeune homme de type latino, penché sur un téléphone public)

Il y a quelques mois, j’avais travaillé avec des amis sur un assez long article d’histoire de l’art consacré à Reno, une peintre d’origine polonaise active surtout dans les années 1920-30. Ce qui établit la (brève) notoriété de Reno, ce furent les toiles et dessins réalisés lors de son séjour new-yorkais de 1924-26. En traversant le pont de Brooklyn, ce midi, je me faisais la réflexion qu’il ne restait pas grand-chose de ce New York-là. Il demeure de-ci de-là des publicités murales peintes, mais je n’y ai pas trouvé la marque « Murad » de tabac turc, très fréquente chez Reno. Et je n’ai vu que deux entrepôts anciens, en brique, côté Brooklyn, du type qui couvrait les rives du port de Brooklyn du temps où monsieur Hassenberg, le père de Reno, s’était installé sur cette rive. Pour le reste, le quartier de Brooklyn Heights possède un cachet chic et cosy, tout de rues ombragées par le feuillage léger des acacias, de façades en bois et de brownstones au perron comme moulé dans du chocolat.

Traverser le pont, c’est avancer sur un plancher de bois agréablement souple sous le pas, avec l’impression que le maillage des câbles enserrent les piétons dans une nasse, à moins que nous ne soyons chacun une note sur la portée d’un Brooklyn boogie couvert par le rugissement des engins atomobiles, de chaque côté. La pointe de Manhattan présente la muraille serrée des grattes-ciel de Wall Street, comme une dentition de joyaux sombres et brillants, que domine tout de même la blanche stature du Woolworth Building, aux allures de très digne vieille dame. Sur l’autre bord du panorama, le paysage se fait moins dense, plus classiquement urbain, avec ici et là les pointes aigues de l’Empire State, du Chrysler, du CityCorp et l’étroite barre noire d’une des Trump. La ville brille sous le soleil hivernal, longue et acérée.