Séjour en Provence, dans cette immense maison que j’aime tant de mes amis Mireille et Gianji. Des livres partout — je dors même sous une couverture dont le feutre était autrefois destiné au séchage des feuilles dans une papeterie. Un peu partout sur les murs, sont accrochés des dessins, aquarelles, lithos de Réno (Irène Hassenberg, 1884-1953), l’artiste d’origine polonaise sur laquelle nous rédigeons un article.
Afin d’en rédiger la première version, je brasse avec précaution des documents au papier jauni et cassant : télégramme du consul de France en 1918 permettant l’embarquement de Réno à Mourmansk pour regagner Paris, catalogues d’exposition, lettres de Pierre Mac Orlan en vue de la préface d’un portfolio, courrier du président du Salon d’Automne daté de 1940, expliquant que la censure allemande a décidé de l’exclusion des artistes juifs, enveloppe usée d’un photographe d’art contenant les coupures de presse d’entre 1929 et 1945, correspondance avec le bureau des déportés sur le décès à Auchswitz de sa sœur Bronia, carnets contenant des morceaux de son journal, résumé biographique certainement dactylographié par l’artiste vers 1931, couverture d’un catalogue des Trois Quartiers dans les fifties, confirmation d’un rendez-vous à l’Élysée en juillet 1918, notes sur Max Ernst et Picasso, lettres de recommandation de deux conservateurs en vue de l’achat par l’État de 12 aquarelles, vieilles photographies… Une fascinante archéologie, les quelques dernières traces d’une femme libre et aventureuse. Depuis les premiers jours où j’ai découvert ses dessins chez mes amis, je me disais qu’il fallait absolument trouver l’occasion de la faire un peu redécouvrir, et nous avons bon espoir que cela puisse prochainement se faire dans les pages du Cahier dessiné.
Les soirées vidéo se partagent entre Alexandre Astier et Jane Austen. Au-dehors gronde par rafales le mistral, qui secoue la maison et fait comme une houle nocturne, une impression de bord de mer. Au matin, la ruelle en contrebas, déjà emplie d’eau, présente le spectacle d’un naufrage : flotte sur le liquide glauque quelques poutres noircies. Un bateau pirate aurait-il coulé nuitamment dans les rues de Lambesc ?