NYC 12
Autour de Port Authority, les nombreux travaux et terrains vagues permettent une éclosion d’affiches comme on n’en voit guère ailleurs dans la ville. L’une d’entre elle, d’un bleu profond, m’attire l’œil: Linda Carter va donner un spectacle, apparemment un récital comique. « America’s Only Television Wonder Woman » proclame un sous-titre. Le lendemain, je lis dans un des nombreux journaux gratuits que Linda Carter serait une « 70’s Survivor ».
Une chose qui m’étonne un peu, c’est la présence médiatique de la vieillesse. Beaucoup de présentateurs ont les cheveux gris ou blancs, et David Letterman est tellement voûté qu’on croirait que ce sont ses bretelles qui lui tirent sur la nuque. Dans le salad-bar asiatique à côté de l’hôtel, Azure, des boîtes de céréales m’attirent le regard: un couple mixte y sourit de toutes ses dents. Lui, noir, a la bonne cinquantaine. Elle, blanche jusqu’aux cheveux, semble avoir la soixantaine. Jamais en France on ne verrait ainsi des personnes d’âge mûr promouvoir des produits. Est-ce ici un signe de l’évolution de la pyramide des richesses, et/ou que le culte de la jeunesse serait en recul sensible?
Étrange assemblée au café Starbucks de la librairie du CitiCorps Building: un petit groupe de femmes d’âge mûr ont pris possession de trois tables, dans l’angle des vitres au-dessus de la chaussée. Une dame petite et boudinnée, les cheveux blancs frisés serrés, tient son auditoire en haleine — et en français. On croirait voir Gloria Lasso et son fan-club. Une célébrité mineure? En tout cas, c’est d’un cours de français qu’il s’agit, comprends-je au bout d’un moment. Elle solliloque, impérieuse, égotiste, parle beaucoup de mouvements de caméra, d’Hollywood, de mode, évoque aussi de son opération des boyaux (le terme est d’elle). Français impeccable et rapide, accent américain peu prononcé feutrant juste un peu ses mots, vocabulaire nettement vieillot (« c’est pour faire la causette », explique-t-elle). Lorsqu’un malheureux client fait mine de vouloir s’asseoir à la troisième table, inutilisée par le groupe, elles montrent les dents. Un homme les rejoint, visiblement lui aussi un retraité cherchant à se cultiver en français.
Le nouveau Joni Mitchell est paru: je l’ai même vu en vente à la caisse d’un petit Starbucks. « Shine ». Je vais l’acheter, c’est certain.