#1394

Il ne doit pas s’agir d’un talent commun. Comment le nommer? Capacité à l’effondrement des probabilités? Pouvoir d’impromptu? C’est en tout cas un super-pouvoir de Laurent K.

La première fois, je me trouvais avec mon oncle dans le métro, nous rentrions chez lui un soir. Monte à une station un gaillard en cape noire et chapeau à large bord. À la complète stupeur de Jean, je me penche vers cet étonnant Judex et lui tape la bise: je venais de reconnaître mon pote Laurent K.

La deuxième fois, j’avais organisé chez moi une micro-convention, il y avait un monde fou: outre les habitués du Rhônes-Alpe, fort nombreux à cette époque, Dumay et Johan Heliot étaient aussi venu. On sonne à la porte: Laurent K., qui passait à Lyon par hasard.

Troisième fois hier soir: je traversais la gare de la Part-Dieu en chemin me rendre à un concert de Tunng (absolument merveilleux, d’ailleurs). Qui vois-je descendre les marches d’un quai? Laurent K. bien entendu, ici entre deux trains et se demandant où se trouve l’accueil de la gare. Je fus donc à point nommé pour le guider.

Sacré Monsieur Kloetzer.

#1393

Assis place de la Croix-Rousse au soleil, comme un petit vieux. Fragile délice d’un rayon hivernal, sous un ciel juste voilé d’une légère gaze. Si j’étais chat, j’en ronronnerai. Je regarde les gens passer — oui, bon, surtout les garçons. Il y a quelques années, les jeunes gens avaient tous les cheveux terriblement ras. Maintenant, le petit bourgeois, le fils à papa, a le bon goût de porter les cheveux longs ou mi-longs, mèches sur le visage, et impeccablement fringués. Lisses, propres. Derrière moi le manège fait tourner sa grêle mélopée. Les pas crissent sur la terre rouge. À la devanture d’un marchand de journaux, la photo de Carla Bruni a été taguée d’une jolie tache juste au niveau du pif, un nez de clown.

Il y a dans Lyon trois ou quatre endroits où j’aimerai vraiment bien habiter, mais il faut reconnaître que je ne vis dans aucun d’entre eux, je suis installé dans l’un des pires, ou, tout au moins, un des plus vilains. Seule la présence estudiantine apportée par l’école de dessin, de graphisme et d’animation en face, Émile-Cohl, y apporte un mouvement, une jeunesse agréable. Las: ces dernières promotions, le look artiste est repassé au barbu-chevelu un peu crade.

#1392

Lu hier soir Everything is Illuminated, de Jonathan Safran Foer. Je n’avais pas trop aimé son best-seller sur le 11 septembre, trop gentillet pour mon goût, et j’ai retrouvé dans ce premier roman une nette tendance à un manque (gênant selon moi) d’ancrage réaliste des réactions de ses personnages. Ce court texte est plaisant, marrant même, déjanté comme un film de Kusturika, mais me laisse tout de même une impression de futilité, d’inutile.

C’est très subjectif, vraiment, car dans le même temps j’ai entamé le deuxième roman d’Edmund Crispin, donc un autre polar british léger et caustique, typique de l’âge d’or du roman policier britannique. Mais l’humour anglais me fait rire! Et finalement, la manière dont Crispin se moquait de ses contemporains me semble nettement plus pertinente que les gentils délires ukrainiens de Foer. Les scènes de train chez Crispin, par exemple, quel bonheur!

Curieuse période de la littérature anglaise, ces années 30-40 du polar. Les auteurs inventent une forme de puzzle, drôle et volontiers impertinent, fréquemment immoral (tout au long du premier Crispin, l’enquêteur se demande s’il vaut bien la peine de livrer à la justice l’assassin, puisqu’après tout la victime était une abominable peste ; Crispin n’ose tout de même pas conspirer pour que le coupable ne soit pas trouvé, comme le firent au moins une fois les personnages d’Anthony Berkeley), ou bien plutôt fable moraliste (ce que ne comprit pas l’Église d’Angleterre, qui demanda au révérend Ronald Knox de cesser d’écrire ses comédies policières). En plus, en tant que directeur littéraire de la « Bibliothèque rouge », j’adore constater que les personnages de cette époque se croisent sans vergogne d’un livre à l’autre: le Gervase Fen de Crispin cite son copain Gideon Fell (de Carr) ; les héros de Dorothy Sayers et d’Anthony Berkeley se rendent visite d’un roman à l’autre… Ce « moment littéraire » ne dura qu’un dizaine d’années, mais fut prodigieusement prolifique et prospère, et ne cesse de me procurer depuis quelques années de réjouissantes lectures.

#1390

Je remarque que, dans mes rêves, je suis presque toujours avec un compagnon — contrairement à ce qui se passe dans ma vie réel. Inutile d’aller consulter un psy pour me faire facturer une analyse, de toute évidence. Toujours est-il que ce matin, j’étais en compagnie de mon ex-coloc. Mais aussi de ma petite chatte, Jabule, qui occupe visiblement une place grandissante dans mon quotidien. Nous revenions de je ne sais quel pays étranger, et voyagions à bord d’une nef si immense qu’une partie en était occupée par une morceau de campagne. Nous étions logé dans une vaste chambre, avec lits superposés trônant au milieu de la pièce. Jabule jouait sur l’épais édredon blanc puis sautait sur le plancher et, passant la porte en métal, allait faire quelques pas timides sur la terre battue de l’extérieur. Je découvrais d’ailleurs avec plaisir que mon vieil ami chti, Philippe, avait planté sa tente auprès du poulailler du navire. Regagnant notre cabine, je m’inquiétais tout de même: nous avions été séparés de notre majordome à la douane (un grand tapis roulant sur lequel il fallait grimper), et nous ne l’avions plus revu, lui d’habitude si ponctuel. Qu’allions-nous bien pouvoir faire si notre fidèle butler avait raté le départ?