Revu l’autre soir le film Tout ce que vous avez toujours voulu savoir… de Woody Allen, où est notamment parodié un vieux jeu télévisé (séquence « What’s your perversion? »). Eh bien, voici que je découvre sur le blog de l’ami Seb Hayez pile une séquence du véritable jeu, « What’s My Line? », avec Salvador Dali comme invité.
Archives mensuelles : mars 2008
#1415
Hop, deuxième petit extrait du work in progress Dracula…
« Généralement peu porté sur la vie mondaine et la fréquentation assidue des respirants, Dracula a souvent adopté au cours de sa longue existence un profil relativement discret. En cela, il demeure le grand archétype du vampire ténébreux, seigneur slave ombrageux retiré dans des préoccupations bien éloignées de celles des vivants à sang chaud. D’autres nosferatus n’ont pas une telle répugnance et, loin de se séparer de la société humaine, ils en hantent les plus hautes sphères. Ainsi de Lotta, une ancienne chapelière, qui sous les identités variables de Chloé Watermeade, Chloé Winterdon ou Célestine du Bois se fit entretenir durant plus de cent cinquante années par les fils de la bourgeoisie et de l’aristocratie londonienne — des jeunes gens qui ne furent jamais destinés à devenir vieux, puisqu’ils fournissaient non seulement sa garde-robe mais aussi son garde-manger. Non moins prédateur mais nettement plus racé, lord Ruthven, comte de Marsden, profite longtemps de sa haute condition sociale pour écumer les soirées mondaines à la recherche de jeunes femmes qu’il conduit à la dépravation avant de s’en repaître. C’est tout d’abord par lady Caroline Lamb (1785-1828) que le monde est prévenu du caractère abominablement amoral de lord Ruthven : alors qu’elle vient juste d’épouser le deuxième vicomte Melbourne, en 1812, Caroline Lamb, fille du troisième comte de Bessborough, sort successivement avec plusieurs dandys de cruelle réputation. Ruthven est-il déjà un vampire au moment où il fréquente lady Lamb ? Et la détérioration rapide de l’état mental de la jeune femme fut-elle en rapport avec la nature non-humaine de son amant ? Toujours est-il qu’en 1816 paru de manière anonyme le roman Glenarvon, qui bénéficie d’un bref mais intense succès de scandale. On sait bien vite que l’auteure n’en est autre que lady Lamb, et l’on suppute par conséquent que certains de personnages se trouvent calqués sur lord Byron (1788-1824), avec lequel elle vient de rompre, et lord Ruthven, qu’elle a assidûment fréquenté et qu’elle renomme là Clarence de Ruthven, lord Glenarvon. On dit que c’est d’avoir accidentellement rencontré la procession funéraire de Byron qui finit de détruire l’esprit de cette pauvre femme. Mais ce n’est pas tout : une autre relation de lord Byron, son ancien médecin et compagnon de voyage John William Polidori (1795-1821), ayant lui aussi connu le fatal lord Ruthven, entreprend d’en rédiger un témoignage. Déjà, lors de la fameuse réunion de la villa Diodati qui vit le poète Shelley, sa jeune épouse Mary, le docteur Polidori et lord Byron échanger des histoires d’épouvante sous un ciel plombé d’orages , déjà donc, lord Byron avait envisagé d’écrire une nouvelle sur lord Ruthven . En 1819 paru The Vampyre de John William Polidori, rédigé d’après ses souvenirs mêlés des deux lords — Byron à la réputation démoniaque et Ruthven aux activités réellement inhumaines. Caprice de l’histoire, cette nouvelle est d’abord attribuée à… lord Byron, qui s’empresse de rejeter une telle paternité. On ignore s’il s’agissait d’une erreur véritable, ou si Polidori avait ainsi essayé de profiter de la célébrité de son ancien mentor pour obtenir publication. Toujours est-il que John William Polidori n’eût pas une vie de tout repos : s’il prit vite en aversion lord Byron, lord Byron fut vite lassé par son compagnon de voyage, à qui il reprocha très vite son immaturité. Indépendamment du tempérament hautement capricieux de lord Byron, ce grief n’était sans doute pas totalement infondé, puisque Polidori se suicidera à 25 ans (en 1821), en buvant du cyanure. Criblé de dettes de jeu, il souffrait visiblement d’une profonde dépression. Mais tout de même, quel sombre tableau : lady Lamb internée pour folie, Polidori suicidé (quoique des historiens aient avancé l’hypothèse d’un assassinat), lord Byron succombant soudain à des fièvres… En fort peu d’années, lord Ruthven se trouve assez commodément débarrassé des mortels qui l’avaient dénoncé comme vampire. De là à voir dans cette suite de tragédies l’empreinte du comte de Marsden ? Nous n’oserons allez si loin. Cependant, avant de quitter le sujet du docteur Polidori, on notera avec intérêt un autre fait curieux : une de ses sœurs, Frances Polidori, épousa un certain Gabriele Rossetti. De leur union devait naître, en 1828, le futur poète et peintre Dante Gabriele Rossetti… et l’on verra plus loin que lui aussi eut à rencontrer le phénomène vampirique. Les histoires de vampire sont souvent des histoires de famille ! Quant à lord Ruthven, s’il pensait en avoir fini avec sa mauvaise réputation, il se trompait : si grand fut le succès du roman de Polidori en France, qu’une imitation fut rédigée en 1820 (Lord Rutwen ou les Vampires, de Cyprien Bérard), elle-même adaptée pour le théâtre la même année par Charles Nodier, à son tour réadaptée pour l’anglais par James Robinson Planché (The Vampyre, or the Bride of the Isles). »
et couv du Frankenstein également en cours, toujours par Sébastien Hayez:
#1414
Suis à fond dans la rédaction du Bibliothèque rouge sur Dracula, que je fais avec mon amie et fidèle collaboratrice Isabelle Ballester. Tiens, un petit extrait du contexte historique, juste pour le plaisir… Pur « work in progress ».
« Plus tard, lorsque les critiques et les historiens évoqueront les années 1890, ce sera sous les appellations d’ « années romantiques », de « Yellow Nineties » (le jaune étant ici la couleur des romans « légers » publiés en France et fort enviés en Angleterre), d’ère des Décadents. L’époque des Préraphaélites, de John « Dorian » Gray à la jeunesse tumultueuse mais qui finira pourtant prêtre, du comte Stenbock qui portait autour de son cou un serpent vivant, des célébrations satanistes d’Aleister Crowley, de tant de jeunes poètes que la débauche et la consomption précipitèrent trop tôt dans la tombe (Lionel Johnson, Ernest Dowson, Aubrey Beardsley), des scandales sexuels, des fleurs couleur d’absinthe portées aux boutonnières de adulateurs d’Oscar Wilde — et du procès de ce dernier. Ces Yellow Nineties n’étaient pas pour autant peuplées d’hommes pervers, mais en cette fin du victorianisme c’est toutes les coutures trop serrées d’une société qui commençaient à craquer, faisant de nombreux hommes des « créatures sidérées pour leurs propres notions du péché, infectés par une croyance puritaine en le diabolique du plaisir et le plaisir du diabolique, qui tremblaient extatiquement sur l’autel des femmes sans pitié, échangeaient en murmurant leur délice des fatuités du marquis de Sade, étaient sans vergogne ou bruyamment provocateurs sur leur amour des autres hommes, et pouvaient parler comme le fit Wilde de leurs affaires avec des garçons d’écurie et des maîtres-chanteurs sous l’expression de ‘banquer avec les panthères’. »
Les Nineties furent aussi une période plutôt prospère, commercialement affairée, où c’est l’auto-satisfaction même de la classe moyenne qui conduisit à l’affirmation outrée des Décadents. Étonnants contrastes : les soldats de Sa Majesté sont encore en tunique rouge, les quartiers de Chelsea et de Kensington conservent encore un certain aspect rural, mais en même temps l’art de la publicité par affiches s’affirme et invente les moyens de capter l’attention de ceux que l’on nommeront bien plus tard des consommateurs ; peintes ou en papier, les murs s’en couvrent soudain, partout. Et dans les gares, des trains soufflent leur vapeur, avant de s’élancer lourdement pour relier Londres, plus grande métropole du monde, à toutes les provinces de l’archipel britannique — et au-delà. Sous terre grondent d’autres chemins de fer, ceux du métropolitain (la Northern Line sera la première a être électrifiée, en 1890), tandis que de toute part commencent à s’étendre les banlieues résidentielles.
Les Nineties, c’est encore la journaliste américaine Nellie Bly (1867-1922) qui parvient à battre l’ancien record en faisant le tour du monde en soixante-douze jours, six heures et onze minutes ; c’est la parution du Tess d’Urberville de Thomas Hardy, roman jugés par beaucoup comme immoral car témoignant d’un fort destin de femme ; c’est Gauguin à Tahiti, Mary Kingsley en Afrique de l’Ouest, William Gladstone qui forme son quatrième gouvernement, l’ouverture du poste de contrôle de l’immigration à Ellis Island, l’affaire du canal de Panama, les débuts de l’Art nouveau (hôtel Tassel à Bruxelle, par Victor Horta, en 1893), l’inauguration de Tower Bridge…
Les Nineties, ce sera aussi l’espoir entretenu par certains d’enfin pouvoir vivre sans se cacher, de briser les carcans. Un temps, il semble même que les Anglais se mettent à dicter des leçons de libertinage aux Français : Pierre Louÿs se rend souvent à Londres et publie en français une lettre compromettante de Wilde à lord Alfred Douglas, en la faisant passer pour un poème afin de lui éviter un chantage ; André Gide goûte au fruit défendu grâce aux mêmes Oscar et Bosie, en Égypte. Mais c’est sans compter la force de la tradition, le poids de la « Décence Publique » et de la morale bourgeoise.
Le procès d’Oscar Wilde, auquel ce dernier aurait fort bien pu échapper (il eut plusieurs fois l’occasion de quitter le territoire anglais pour ne pas être emprisonné), ne sera pas seulement l’action d’un lord Queensberry discrédité et à demi-fou : dans les coulisses du pouvoir, où nombre d’hommes, à commencer par le premier ministre, sont eux aussi amateurs de garçons, ont préfèrera que soit condamné au silence le volubile et moqueur chantre des amours grecs. Le procès de Wilde, ce n’est pas simplement celui d’un homme public trop provocateur, c’est aussi la brutale fermeture d’une porte qu’il avait contribué à entrouvrir. Après lui, la folie décadente et esthète passera de mode, les écrivains redeviendront de solides gaillards en complet de tweed et faisant de la bicyclette, tels Shaw et Wells, des « raconteurs d’histoire » tels que Rider Haggard et Kipling, des humoristes bonhommes comme Jerome ou des poètes de la campagne comme Masefield. John Lane sera obligé de cesser la publication du Yellow Book, Arthur Symons perdra la raison, Richard Le Galienne fuira en Amérique, lord Alfred Douglas finira sa vie de procès en procès, sa poésie éclipsée par sa mauvaise réputation. Oh, les rebelles reviendront vite : aucune société ne parviendra jamais à les faire taire bien longtemps. Mais pour un temps, celui que l’on qualifiera d’édouardien, ce ne sera plus à la poursuite des jolies garçons que l’on se rendra en Italie. Un guide Baedeker à la main, les Miss Bartlett et les Miss Honeychurch iront de pension anglaise en pension anglaise, dans la contemplation polie des beaux monuments et pour les pique-niques du Révérend Cuthbert Eager. »
Couverture de Sébastien Hayez.
#1413
Rédiger un blog n’est point exercice toujours aisé: apparemment, le simple fait de s’exprimer ainsi fait que l’on froisse les uns, que l’on froisse les autres… et amuse-t-on au moins certains? Une chose semble sûre: l’humour et l’ironie sont choses qui ne sont pas forcément très bien reçues. Pourtant, se taire n’est bien entendu pas une solution, non plus qu’une redoutable auto-censure qui viserait à rendre inoffensifs tous propos tenus ici.
Une mienne amie me parlait ce matin de la « morosité ambiante ». Oui, j’ai l’impression diffuse mais sérieuse que ce qui manque actuellement, dans notre société, c’est un peu plus de légèreté. Moins de stress (je sais, ce n’est pas chose facile dans une civilisation de la « quotidienneté affairée »), plus de sourires — et ne pas tant sacraliser l’écriture, allons donc. Un blog selon moi n’a pas de gravité, aucune pesanteur, et même si l’on découvre régulièrement sur les blogs de jolis morceaux littéraires, ce support ô combien virtuel ne « compte » pas à mes yeux comme publication, comme inscription durable: de mon point de vue, dans ma propre pratique, il ne s’agit jamais que d’humeurs et impressions fugitives, n’est-ce pas? du temps qui passe et qu’il faut s’efforcer de ne pas prendre avec trop de gravité. Tenez, lisez donc mes jeunes amis Fifi et Axel: légèreté et talent.
(écrit avec en tête le ton, la voix, de Sacha Guitry)
#1412
« Ses cheveux blonds roulaient en boucles négligées sur ses épaules, qui s’élevaient blanches et pures comme une étoffe de lis au-dessus de sa tunique pourpre. Cependant, son cou portait l’empreinte du sang, la cicatrice triangulaire d’un fer de lance. » (Charles Nodier, Smarra)
Tout en rédigeant la biographie de Dracula — et en commençant à voir des vampires partout, par conséquent — je poursuis ma recherche documentaire pour celle du monstre de Frankenstein. J’ai donc lu Ariel, la vie de Shelley par André Maurios, puis dans la foulée L’Homme qui voulait tuer Shelley de Giuseppe Conte, récemment traduit chez Phébus. Outre que le titre original était bien plus beau, La Case delle Onde, je suis tout de même déçu par quelque chose. Oh, ce roman italien est très beau, son style fort agréable et poétique, et il recèle quelques informations « occultes » intéressantes ainsi que de jolis portraits. Mais, comment dire? Sa structure m’est apparue comme trop transparente. En effet, ce roman sur les derniers temps de la vie du poète Percy Bysshe Shelley, à la Casa Magni, suit tout bonnement, page à page… la bio de Maurois! Comme si l’auteur n’avait rien lu d ‘autre qu’Ariel pour suivre cette période. Il y a ajouté le narrateur italien, ancien marin de Bonaparte, et un espion anglais, décalqué sur la paranoïa de lord Castlereagh. C’est astucieux, bien fait… mais lorsque l’on connaît les sources, et surtout, lorsque l’on vient juste de lire Maurois, tout cela semble finalement un peu mince.

