#1445

Firenze / 7 (où le capitaine en finit avec Florence, tout de même)

Dans une ville aussi intensivement touristique, il est étonnant, me semble-t-il, qu’en définitive si peu soit fait pour le touriste.

Ainsi, plusieurs musées ne sont ouverts que le matin (en raison de la chaleur?), et souvent ne sont-ils pas bien indiqués, ou alors seulement dans la langue de Dante ; peu d’éclairages, accrochages antiques, sonneries intempestives ; quant au principe de « boutique de musée », il est franchement négligé. Impossible par exemple de pénétrer dans celle de la Galerie des Offices depuis l’extérieur.

Le musée zoologique et anatomique, datant du XVIIIe siècle et que j’avais envie de voir, n’a rien d’aisé à dénicher. Situé au dernier étage des vieux bâtiments de la fac de zoologie, sur la rive gauche, il ne possède comme entrée que le porche d’un parking, et comme indication que quelques bouts de papier à demi effacés sous une feuille de plastique jaunie. Du coup, je m’attendais à des salles obscures pleines d’animaux empaillés poussiéreux. Mais tout de même pas: cliniquement éclairées et parfaitement entretenues, un nombre formidable de vitrines, des mètres et des mètres linéaires de bestioles mortes, c’est fascinant, toute la Création semble avoir échoué ici sous le couteau d’un taxidermiste toscan. Et certaines des dites bestioles datent de la fin du XVIIIe ou jusqu’au début du XXe. Depuis les plus minuscules invertébrés jusqu’aux baleines les plus énormes, et tout le défilé des oryctéropes, tarsiers, échidnés, lémures, okapi, tatous, pangolins et autres oloturies.

Sans parler, au tout début de cette prodigieuse enfilade de salles basses aux murs d’un vert hospitalier, des maquettes de protozoaires et celles de mollusques. À la fin, introduit par un squelette humain nettement plus grand que nature, sont les moulages anatomiques: toute une atroce boucherie du XVIIe, le corps humain en étalage d’un rouge-brun, découpé en tranches, rondelles et écorchés multiples. Un rêve de savant fou (ou de Mauméjean, peut-être), à la limite de l’écoeurement — juste de l’autre côté de la limite, en fait.

Noms en latin, commentaires en italien, muséographie figée à l’entre-deux-guerres: une visite formidablement désuète et intellectuellement très stimulante.

(finis)

#1444

C’est dramatique: le gouvernement semble vouloir attaquer la loi Lang pour le prix unique du livre!

L’article du Monde est malheureusement fort maladroitement rédigé, bourré d’erreurs et d’anomalies. Le sous-entendu selon lequel le prix des livres serait libre après deux ans est une totale imbécilité (cela ne concerne que les ouvrages en stock depuis plus de deux ans dans la librairie et jamais réapprovisionnés depuis). Et l’article de relayer des mensonges des gens d’Amazon.fr, qui se sont fait d’ailleurs une habitude de mentir tout le temps (non respect de leur condamnation de la fin d’année dernière concernant l’interdiction de pratiquer le port gratuit, non livraison des ouvrages des petits distributeurs, informations fausses, etc).

« Restent les consommateurs. En entraînant une baisse du prix des livres, cette mesure devrait permettre aux clients d’acheter plus de livres. « Nos clients trouvent que les livres sont chers », explique Xavier Garambois, directeur général d’Amazon France, qui juge « très positive » l’initiative des deux députés. « Cela stimulerait le marché du livre, qui est moins dynamique en France qu’en Grande-Bretagne et où les nouveautés sont moins chères », poursuit-il. »

Tout cela est un tissu de mensonges. Primo, une telle mesure n’entraînerait absolument aucune baisse du prix pour le consommateur (c’est là une chimère qu’agitent toujours les ultra-libéraux): seule grandirait la marge bénéficiaire des grands points de vente. De plus, il est rigoureusement faux de prétendre que les livres sont moins chers en GB qu’en France — car bien au contraire, ils sont plus chers! Il suffit d’avoir observé l’évolution du marché du livre en GB depuis que les grandes chaînes américaines (propriétés de Border’s) ont brisé l’entente locale pour un prix unique. Les prix ont explosé, les livres de poche n’existent carrément plus (plus rentables!), les éditeurs sont étranglés par les exigences de marge de Border’s, les petits éditeurs n’y sont plus en vente du tout. Ce qu’oublie aussi de dire Amazon.fr, c’est que chez leur collègue britannique, il est possible de commander (et de recevoir) toute la production — ce n’est pas du tout le cas chez Amazon.fr, qui pratique un boycotte sournois et hypocrite des petites productions, en ne se fournissant que chez un petit grossiste parisien (!) au lieu de commander directement chez les distributeurs concernés, et en prétendant ensuite aux clients que l’ouvrage « n’est pas disponible » ou en demandant plusieurs semaines de livraison, pour des livres parfaitement disponibles partout. Amazon.fr est un ennemi de fait de l’indépendance éditoriale et de la liberté de publier, ils ne visent qu’à la réduction du marché pour un profit maximum et un souci minimum d’exécution.

En effet, le calcul est simple à faire: ce que veulent les ennemis du prix unique, c’est proposer d’alléchantes remises à leurs clients. Mais pour cela, ils ne désirent pas rogner sur leur marge: ils exigent donc des éditeurs une remise plus importante. Et comme les éditeurs ne peuvent augmenter une telle remise sans y perdre leur chemise (la diffusion-distribution coûte déjà à l’éditeur dans les 65% du prix de vente public, duquel il faut encore déduire la taxe, les coûts d’impression et les droits d’auteur: que croyez-vous qu’il reste après ça?), ils n’ont qu’une seule possibilité de manoeuvre: augmenter le prix de vente pour gonfler leur CA. Et qui trinque donc, au final? Le lecteur, qui se retrouve avec des livres certes remisés par les grandes chaînes mais en fait beaucoup plus chers à la base.

L’initiative de ces deux députés (dont on gagera qu’ils ne lisent guère, contrairement à monsieur Attali) est supérieurement néfaste et la remise en cause de cette loi mettrait gravement à mal toute la chaîne du livre — car le livre n’est pas un « produit » comme un autre, et nécessite un équilibre égalitaire des conditions de mise en vente pour fonctionner. Il ne s’agit pas de protéger des intérêts mesquins, mais bien au contraire de garantir aux auteurs et aux lecteurs à la fois des revenus corrects (avec notamment la mise en place, enfin, de la SOFIA, organisme équivalent à la SACEM qui verse aux auteurs et éditeurs les droits perçus auprès des bibliothèques de prêt) et des livres pas trop chers. Détruire la loi Lang, c’est du perdant-perdant: tout le monde aurait à en pâtir grandement, qu’il soit éditeur, libraire, auteur ou lecteur. Personne n’y a intérêt! Seuls des idéologues aveugles peuvent rêver de détruire un tel secteur culturel et économique.

Imaginez un marché du livre sans format de poche! Non seulement cela serait dramatique pour les éditeurs grand format, pour lesquels la revente des droits pour le poche est un revenu non négligeable, mais cela signifierait l’abandon du travail patrimonial typique du poche (fonds de catalogue entretenu spécifiquement)… et une flambée des prix de vente! Ce qui est exactement ce qui s’est déroulé en Angleterre. Le règne du gros et grand livre cher et de la nouveauté immédiate.

#1443

Arrivant dans les couloirs lisses et gris qui mènent à la ligne 14, j’ai croisé le Père Noël. Vraiment le Père Noël: gros, barbe et cheveux blancs aussi abondant que bien peignés, et tout vêtu de rouge pétant. Un bagage à ses pieds, le Père Noël comptait sa main dans le creux de sa main épaisse: il n’y avait certainement pas assez pour s’acheter un billet pour le Pôle nord — si tant est que le métropolitain y conduise car, nonobstant le frimas parisien, tout de même, le pôle est encore loin de ce nord-là.

#1442


Firenze / 6 (où le capitaine se découvre un goût pour le baroque)

Bellissimo, il Duomo! Écrasant de beauté, en fait. Littéralement. Impressionnant édifice, tout couvert de marbre, une présence sublimement graphique qui domine les rues alentours tel un paquebot figé en pleine terre. Il a aussi quelque chose d’un Arlequin, en tout cas d’un personnage de merveilleux: tout ces dominos, les uns au-dessus des autres! Comme un costume près à cliqueter et tintinnabuler au moindre mouvement. Splendide parure — et ce n’est que cela: à l’intérieur, la cathédrale Santa Maria dei Fiori n’est jamais que l’équivalent Renaissance du hall de gare. On y va pour admirer les peintures, je suppose. Peu sensible que je suis aux tableaux de la Renaissance (ceci est un doux euphémisme), et comme de toute manière ceux-ci sont plongés dans une perpétuelle pénombre, je préférai San Gaetano, une petite église qui pour ne pas être commentée par les guides, offre, lorsque l’on pousse le grand rideau doré de sa porte, la vision étonnante d’un intérieur purement baroque: tout en caissons et décrochements anguleux, et entièrement noire, sous une voûte blanche, avec seulement quelques discrètes dorures aux environs de l’autel.

(à suivre, encore)