Périodiquement, je suis « saisi » par l’une ou l’autre de mes fascinations culturelles, ce que je surnomme mes « pantoufles », des obsessions pour telle ou telle figure de la culture populaire: Spirou, Doctor Who… ou Sherlock Holmes, pour le moment. Après le comic-book de Warren Ellis déjà évoqué il y a quelques jours, j’ai lu les deux tomes des Holmes publiés chez Futuropolis. Scénario très astucieux, pratiquant quelques torsions intéressantes dans la mythe: le jeune Wiggins formé par Sherlock pour devenir son successeur, Mycroft détruisant des documents de son frère disparu à Reichenbach… Car Holmes est devenu un mythe si puissant et si connu, que désormais la principale manière de faire usage de ce personnage est de pratiquer des torsions, des déformations, voir de complètes uchronies, par rapport au « canon » écrit par Doyle.
Ainsi par exemple du beau téléfilm anglais que je viens de voir, Holmes – A Case of Evil. qualité angliase désormais habituelle: photo superbe, décors impeccables, acteurs de première classe. Notamment Vincent d’Onofrio dans le rôle de Moriarty et Richard Grant dans celui de Mycroft, et un jeune homme aux beaux yeux verts nommé James d’Arcy (!) dans le rôle d’un Sherlock Holmes juvénile et impulsif. Le tut est complètement – et délibérémment – anachronique: l’intrigue débute le 2 octobre 1886, mais Holmes est dans la vingtaine ; il habite au 221 Baker Street (sans le « b », puisque l’on a découvert ces dernières années que cette lettre ne désignait pas une porte sur rue, mais le deuxième étage d’un logis) mais aps trace de Mrs Hudson ; Watson est un jeune médecin légiste de la morgue, inventeur à ses heures ; et le non moins jeune Moriarty est visiblement un métis. Eh bien, en dépit d’un jeunisme qui aurait put être clinquant ou ridicule, le tout marche à merveille. Car les auteurs ont bien compris le mode de fonctionnement de ce mythe et de cette époque dans l’imaginaire. Et en réinventant Holmes (dont un Mycroft svelte mais handicapé), ils se permettent même quelques jolis clins d’oeil: ainsi de la (jeune, bien sûr) Mrs de Winter, qui se révèle se nommer en réalité Rebecca Doyle – double hommage à Conan Doyle et à Daphne du Maurier! Le combat final à l’épée dans la tour de Big Ben est tout simplement délicieux, et lorsqu’une certaine Aunt Agatha offre à Sherlock une casquette deerstalker, vraiment, comment ne pas sourire de la finesse des allusions, dans un récit pourtant fort sombre par ailleurs? On aura rarement aussi bien trahit Holmes! Dire que pendant ce temps, en France, on n’a droit qu’à de lamentables massacres de Vidocq, Belphégor ou Lupin…
Ceci dit, j’ai aussi revu deux Sherlock Holmes tardifs de Granada, avec un Jeremy Brett qui en faisait des tonnes, gesticulant et ricanant: bon sang, mais il jouait atrocement mal! Ce qui est d’autant plus dommage que Watson et Mycroft étaient excellents, eux. Et les intrigues sont plus que tordues, elles sont tout bonnement trahies, alors que c’était censé être une série fidèle à l’original. Revu aussi un Basil Rathbone, et c’est plus mauvais encore: tout le monde est très visiblement américain, Holmes boit de grands verres de bourbon en draguant des gonzesses, les appartements sont hollywoodiens dans leur démesure, jusqu’à la « lady in green » qui habite un penthouse en haut de ce qui ressemble fort à un gratte-ciel new-yorkais… Et ne parlons pas du Watson, complètement idiot et sénile! Les Rathbone sont une réinvention douloureusement américanoïde, le mythe holmésien déformé par l’imaginaire d’Hollywood, loin, trop loin de Londres…