#1640

Pour le moment le ciel est un immense bol inversé de couleur plomb, avec une bordure blanche — je ne saurai dire de quel type de nuage il s’agit, n’ayant finalement pas encore lu le guide des nuages que j’ai piqué à Jean l’autre jour. Au coeur de cette masse, un vaste sourire bleu s’ouvre, béat et craquelé, qui éclaire la ville. Il fait bon, frais, et si seulement le rhume des foins ne me démangeait tant ce début de journée serait sans doute idéal.

Depuis mon premier voyage à New York, j’ai pris l’habitude de lire régulièrement le blogue de monsieur RJ Keefe, homme courtois, cultivé et doucement excentrique, un grand patricien new-yorkais que mon oncle m’avait fait rencontrer. Je découvre aussi son site, à l’organisation mystérieuse mais aux entrées d’une fascinante intelligence. Je viens d’y tomber sur cette phrase superbe de modestie et d’humour: « Avoiding achievement has left me with plenty of time for thinking ».

Quittant mon oncle l’autre matin, justement, je lui disais que je n’allais pas remonter à Paris d’ici septembre. Erreur: voici que j’apprends qu’il y a le 27 juin un triple concert benefit pour le bassiste Hugh Hopper, qui hélas est très malade. Il s’agit d’un vieil artiste formidable, ex bassiste en particulier de Soft Machine, qui ces derniers temps vivait à Paris. Je ne veux pas rater ces trois concerts de reprises de morceaux d’Hopper par trois groupes français avec lesquels il a bossé. Deux fois ai-je vu Hopper: une fois sur scène, et une fois dans la salle — au Triton, le club de jazz-rock des Lilas, où est organisée cette soirée. J’ai même eu un jour une lettre du monsieur, me remerciant pour la chronique que j’avais fait de son très bel album Loops. C’était sur le site musical lancé par mon ex coloc, site hélas abandonné et détruit, je le regrette fort, c’était une expérience très intéressante — et je n’ai plus la lettre de Hugh Hopper, qui était restée sur leur serveur, flûte.

Lu le Chronic’art de mai. C’est moi qui suis grognon ou l’expression « la science-fiction française vivote » est tout de même fort maladroite, limite insultante? Bon, on supposera qu’ils ont voulu bien faire. Et puis ils vont chroniquer Zombies ! dans leur prochain alors je ne vais pas cracher dans la soupe. Je ricane tout de même un brin de les voir redécouvrir Goblin, groupe italien de prog balourd. C’est rigolo, Chronic’art. Très sympathique et souvent très (trop?) vert, un peu naïf, mais le coeur du bon côté: des gens qui essayent de faire connaître Derek Jarman ou Jacques Spitz aux djeun’s d’aujourd’hui ne peuvent qu’avoir mon approbation.

#1638

Les droits sociaux vus par la Commission européenne: le travailleur est un lion en cage, auquel son patron-dompteur octroie finalement d’avoir au-dessus de son enclos un parapluie, et une gamelle à son nom. Très belle parabole sur la gueule réelle de l’Europe sociale… Je m’interroge: cynisme ou stupidité? Six dessins animés sont à trouver sur le site de la Commission. En voici un mignon exemple:

#1637

J’entends souvent dire « oh non, moi j’aime pas telle ville: elle est trop bourgeoise ». Commentaire qui à chaque fois me fais penser « Et alors? ». Une ville n’était-elle pas bourgeoise… par définition?

Alors Bordeaux, Nice or whatever, sont effectivement bourgeoises. And so what? Puisque ce sont des villes. Par conséquent, reprocher à une ville d’être « trop bourgeoise » c’est à peu près aussi pertinent que de reprocher aux femmes d’avoir des seins — remarquez, certaines n’en ont (presque) pas. C’est le cas de St Etienne, par exemple, si je peux me permettre de mélanger mes métaphores. Un très rare cas de ville essentiellement « prolo », je veux dire. Quant à Bruxelles, c’est une ville pas seulement bourgeoise, elle est également très « prolo », dans le bas de St Gilles ou le quartier des Marolles par exemple. Mais ce charme prolétaire, décati, pauvre et simple, ne s’apprécie-t-il justement pas à l’aune du fait que le haut de St Gilles est grand bourgeois, ou que les Marolles sont dominées par le baba au rhum surdimensionné du Palais de Justice?

Ah, Nice, en plus on entend tout le temps dire que les gens n’y sont pas sympathiques. Hum, certes, une ville qui vote à la droite extrême à chaque élection municipale doit comporter un pourcentage fort élevé de vieilles emperlousées et de gros à calvitie. Mais je connais pas mal de Nicois fort fréquentables, et même charmants, savez-vous? À quoi bon condamner une ville pour tel ou tel aspect? Une ville est multiple. J’aime Nice, malgré ses électeurs de droite. Et j’aime Bordeaux, malgré le droitiste-à-calvitie archétypal qui en est maire. D’ailleurs, ces deux villes si dissemblables ont pour moi en commun une qualité majeure: elles ne sont pas loin de la grande eau!

Et comme à chaque début d’été, je regrette la grande eau… Je n’aime guère la campagne, si ennuyeuse. La montagne non plus, c’est comme la campagne mais en plus vertical. Tandis que l’océan (ou la mer)… J’aime! Et les villes en bord de mer, alors là, j’adore. Il faudrait que j’aille habiter dans une ville en bord de mer, tiens.