#1625

A relire, avec un grand bonheur et un certain frisson, le deuxième tome de la série de Susan Cooper (autrefois traduit sous le titre L’Enfant contre la nuit), roman ployant sous la neige, je me souviens soudain qu’étant ado, je trouvais absurde que Noël soit le 25 décembre: enfin quoi, la neige, en région parisienne où j’habitais, tombait uniquement en février! Il fallait déplacer cette fête, pour qu’on ait un Noël blanc.

De manière générale, le monde me décevait, comme je grandissais. Ainsi, la clairière un peu mystérieuse que j’avais chaque fois du mal à retrouver, loin dans la forêt, était brusquement devenue cette chose prosaïque et haïssable entre toute: un terrain de sport. Et la maison abandonnée, contre laquelle se dressait une colline qui formait, entre sa pente et le côté de la façade, un idéal terrain d’aventure, était chaque jour plus vandalisée — au point que les autorités durent se résoudre à l’abattre, alors qu’elles avaient prévu de la conserver et de la rénover.

Le monde n’est pas marrant.

#1624

Lu un essai acheté à New York la dernière fois: The Lost Art of Walking de Geoff Nicholson. Un essai sur le « pédestrianisme », c’est-à-dire l’amour de la marche à pied. Je me sens concerné par le sujet — sans partager tout à fait le scepticisme de l’auteur quant à la notion situationiste de « psycho-géographie ». Et je me retrouve, bien entendu, dans ce que décrit Nicholson des sensations de la marche, des impulsions d’une promenade, des manières de se balader en ville… Aide de plus le fait que je connaisse un peu Los Angeles, Brooklyn et Manhattan, et fort bien Londres. Des passages du bouquin sont un peu chiants, de simples listes, et le style n’a rien d’emballant, alors que j’avais connu Nicholson excellent styliste dans Bleeding London. Hélas, les meilleurs romanciers ne font pas toujours les meilleurs essayistes, beaucoup ne comprenant pas que le style s’applique aussi à ce domaine. Enfin, le livre (l’objet) est beau, et son thème (sujet) m’intéresse fort.

Cependant, j’ai ensuite eu envie de relire du Jacques Réda, histoire de me remettre en contact avec ce qui est, à ma connaissance, le plus grand styliste de la promenade. Relu donc Le Citadin, et c’est renversant, comme d’habitude. Cette langue! Cette intuition! Cette finesse… Quand je lis Réda je suis à la fois transporté — et un peu déprimé: comment écrire, derrière un monsieur pareil? Non, je n’arrive pas même à en sélectionner une simple citation, tellement chaque phrase me semble parfaite, inséparable du reste de la page. Réda, c’est le sentiment du marcheur en retranscription idéale.

Lu ensuite, sujet Harry Potter oblige, le dernier Neil Gaiman: The Graveyard Book. Étonnamment macabre pour la jeunesse, mais très beau, finement imaginé, exactement le style « classique instantané » de la fantasy jeunesse que j’attendais. Et là je relis le premier tome du cycle de Susan Cooper, Over Sea Under Stone, avec un bonheur intense qui n’est tout juste mitigé que par le regret qu’aucun éditeur français n’ait jamais eu l’idée de faire traduire un tel best-seller, c’est dingue. En tout cas, le style, la poésie, la psychologie, la justesse du moindre mouvement, de la moindre situation, c’est époustouflant.

#1623

Tiens, je viens de réaliser que ce blogue a en fait un lien assez direct avec la librairie Fantasy Centre. Je venais d’y traîner mon oncle Jean, et sur le chemin du retour, lors d’une halte dans le jardin de la petite église juste à côté, Jean commença à m’expliquer ce qu’était un blogue — un univers qu’il venait de découvrir. Je me souviens de l’herbe d’un vert intense, humide, des buissons au large feuillage sombre, des écureuils gris filant entre les arbres bas, des merles noir grattant le sol. Il faisait beau, frais, le soleil découpait des tranches d’ombre et de lumière vive sur la pelouse. Je me suis dit qu’en rentrant j’allais créer un de ces « blog ». C’était il y a 1620 messages d’ici.

#1622

Un pincement au coeur: « ERIK ARTHUR of London’s Fantasy Centre bookshop broke the bad news: ‘Be the first to know that Ted [Ball] and Erik have decided that once our lease expires in June, we shall not renew it and Fantasy Centre will close down after nearly forty years of trading.’« 

Lorsque j’allais souvent à londres, j’avais l’habitude de me rendre à Fantasy Centre, et la promenade pour me rendre jusqu’à Holloway Road depuis mon hôtel près de St Pancras demeure l’une des plus agréables choses que j’ai découvertes au fil de mes années de dérives londoniennes. Et puis, comme j’avais discuté avec eux lors de la publication du Yellow Submarine sur Londres, les deux libraires (lisant le français, comme tout vieux gentleman anglais bien éduqué) me reconnaissaient, m’offraient un mug de thé. Cela avait le charme d’un rituel, et augmentait d’autant le plaisir de farfouiller dans cette petite boutique de bouquiniste. J’y repensais justement hier, en faisant du rangement et en déplaçant les deux jolies petites reliures de l’intégrale de Saki des années 30 que j’avais un jour acheté là.