Au fait, j’ai lu Les Fils de l’air de Johan Heliot. C’est dans « Ukronies », chez Flammarion, comme le Mauméjean brièvement évoqué l’autre jour (La Reine des lumières). Je vais sans doute lire tous les volumes de la collection, pour le travail que je prépare avec Bellagamba au sujet des uchronies. Celle-ci part du postulat d’une fuite en ballon de Louis XVI et de sa famille, lors de la Révolution. Installé aux Etats-Unis que son ami la Fayette avait aidé à devenir indépendants, ce bon Louis devient ingénieur et entrepreneur, et bâtit une grande compagnie de dirigeables… Très steampunk, ça, les dirigeables. Icône majeure du genre. Pour le reste, il s’agit d’un excellent roman d’aventure, ça avance vite, et comme souvent chez Heliot, cela s’étend sur une période de temps assez longue — presque trop longue, rien n’est développé, j’aurais aimé que quantités de choses le soit. En même temps, un roman court, c’est plaisant, ça repose des pavés monstrueux que les littératures de genre version « pour adultes » nous infligent depuis l’invention du traitement de texte.
Autant chez Mauméjean-le-sec j’avais été parfois, sinon choqué, du moins un peu bousculé par un excès de violence, autant ici chez Heliot-le-doux l’on reste dans de la jeunesse classique, et puis en rêveur comme d’habitude l’auteur nous abandonne au moment où — non pas une, mais deux utopies s’ouvrent sur le continent américain. Ces deux auteurs ont souvent écrit ensemble — cinq romans, je crois — et les comparer est toujours intéressant. En fait, dans les deux cas ils demeurent fidèles à eux-mêmes, sans de concessions criantes au domaine « jeunesse ». Si ce n’est qu’on ne s’arrête pas pour réfléchir: leurs intrigues progressent vite. Peu d’enjeux, au bout du compte, bien sûr, mais le tout est agréable, vite lu, pas bête pour un sou. Je me demande juste ce que les ados peuvent appréhender au juste des distorsions historiques pratiquées: ont-ils bien les connaissances nécessaires? Mais en fait, peu importe: le lecteur adulte trouvera plus encore de résonances dans ces deux romans que le lecteur enfant, voilà tout. Si ce n’est, aussi, que je m’interroge chez Mauméjean sur l’absence complète d’évocation de l’homosexualité d’Alexandre. Et chez Heliot sur l’enthousiasme avec lequel il nous dépeint une sympathique et très paternaliste multinationale. Mais l’exercice « jeunesse » oblige a des raccourcis que ces mêmes auteurs ne prendraient pas en « adulte ». Sans doute en m’interrogeant ainsi essayai-je de trop trouver dans des romans simples, directs, de divertissement. Ils jouent avec des archétypes de l’imaginaire, pas avec des idéologies.
Hello André,
Très bon « papier » sur ton blog. Questionnement pertinent qui parle à l'auteur. Concernant l'homosexualité d'Alexandre, en tant qu'hélleniste, c'est vrai qu'elle me semble tellement naturelle que je n'y ai même pas songé. Par contre, j'ai souhaité parlé des Hijra, ces jeunes hommes qui renoncent très concrètement à leurs attributs, s'habillent ensuite en femme mais demeurent asexués. Hélas, après avoir été estimés durant des siècles en Inde, ils sont aujourd'hui victimes des préjugés homophobes occidentaux. C'est vers eux que je voulais attirer l'attention.
Amitiés,
Xavier
« Je me demande juste ce que les ados peuvent appréhender au juste des distorsions historiques pratiquées: ont-ils bien les connaissances nécessaires? »
Difficile de répondre à ça sans avoir lu lesdits romans.
Cependant, en tant que prof d'histoire-géo en collège, je crains que les adolescents n'aient souvent pas les connaissances nécessaires pour apprécier à leur juste valeur les expériences uchroniques du duo Mauméjean-Heliot.
Mais ces connaissances sont-elles indispensables ? Je n'en ai pas l'impression. Qu'elles apportent quelques clins d'oeil au lecteur « qui sait », sans doute… Mais si la narration du roman est assez bien menée, le lecteur « qui ne sait pas » appréciera quand même un bon récit d'aventure.
Néanmoins, on peut remarquer que les points de divergence choisis pour l'instant par Xavier et Johan (ainsi que par Pierre Bordage) correspondent à des thèmes pour lesquels il n'y a pas besoin d'avoir des connaissances particulièrement étendues :
– Alexandre et les royaumes hellénistiques, en 6ème -> Un thème apprécié des élèves (ils apprécient beaucoup le côté grande épopée guerrière).
– L'école obligatoire -> Thème survolé en Education civique en 6ème et en histoire en 4ème mais sur lequel les élèves se sentent directement concernés…
– La Révolution -> Thème complexe, très difficile à expliquer aux élèves car demandant d'échapper au tout événementiel. Mais ils retiennent quand même que Louis XVI a fini décapité…
Dans le même ordre d'idée, je te conseille le recueil « Divergences 01 » qui a ouvert la collection Ukronie.
Le roman de Johan Heliot, « la Légion écarlate », paru dans une collection de fantasy historique (Royaumes perdus, chez Mango), aurait sans doute pu être publié dans la collection de Flammarion car son aspect « fantasyste » est assez ténu. Heliot a réussi son mix entre Gladiator, Danse avec les loups, Apocalypse Now et Aguire… Pour l'instant c'est mon titre préféré de la collection dirigée par Xavier.
J'ai hâte de lire ton ouvrage sur les uchronies.
Erispoe
Salutations toussa,
Pour rebondir sur les propos du camarade erispoe, à ce niveau l'uchronie peut-être perçue comme de la « fantasy ».
Toutefois, si le bouquin donne à l'adolescent l'envie d'approfondir sa culture historique, en s'adressant à son prof par exemple (mais pas que), c'est toujours ça de gagné.
Par ailleurs, je suis assez d'accord avec l'avis sur les deux romans des compères Mauméjean/Heliot.
LL