Zut, encore raté: je n’ai pas l’impression qu’une porte vers un monde meilleur se soit ouverte le 11.11.11 à 11h11. À cette heure précise, je me suis contenté de réveiller mon jeune ami Axel pour qu’il ne soit pas en retard pour son déjeuner. Pas très ésotérique, comme révélation. Alors tant pis, continuons avec notre vie loin d’être parfaite. En ce moment je lis surtout des Dorothy Sayers, l’épatante autrice du non moins épatant Lord Peter. Il faudra un jour que l’on m’explique, d’ailleurs, pourquoi la collection « Grands détectives » de 10/18 a réédité tant d’auteurs médiocres et de deuxième ou troisième zone du Golden Age du polar anglais, genre l’incohérente Gladys Mitchell, la poussiéreuse Patricia Wentworth ou le routinier Michael Innes, tandis que les meilleurs représentants du genre demeuraient désespérément absents des librairies françaises — Dorothy L. Sayers presque oubliée, Anthony Berkeley oublié, Nicholas Blake ou Cyril Hare inconnus… Enfin bref, Sayers donc. Fini hier soir son roman le plus célébré par les fans anglais, The Nine Tailors. J’avais achoppé autrefois sur le début, sorte de cours sur l’art britannique de faire sonner les cloches d’église. Mais passé cet épisode fort étrange (et crucial pour le récit), tout le roman s’avère admirablement équilibré — entre de belles descriptions des paysages noyés d’eau du Fen Country (du coup j’ai aussi regardé un documentaire, de la série Country Tracks, sur the Fen), des enquêtes minutieuses, des moments de loufoquerie de Lord Peter ou de son entourage, des dialogues construits de façon très astucieuse et sonnant merveilleusement « vrai », des drames étonnants — et puis cette fin magistrale, le bref moment de folie de Lord Peter, l’apocalypse de l’inondation ; tout cela est puissant, subtil, intelligent, drôle, captivant : un grand moment des lettres anglaises.
Et puis, bien sûr, je note au fil de ces lectures des éléments qui me seront utiles pour la biographie d’Hercule Poirot. Ce matin, le lisais une préface de Paul Morand, excusez du peu, à l’une des traductions de Sayers (1934), et mon camarade Xavier sera certainement d’accord qu’il nous faudra citer un tel passage :
« La peur est, avec l’amour, la plus puissante des émotions humaines ; comme l’amour, elle est terrible et exquise, elle exalte, elle fait fuir, elle fait mourir. Elle surpasse l’amour en fécondité, car presque tous les dieux lui doivent la vie. Chaque fois que l’homme a tremblé, il a élevé un autel ; ses dieux et ses demi-dieux, il les a inventés pour s’assurer leur protection ; de nos jours encore il continue ; il a créé un demi-dieu moderne, puissant et juste comme Hercule, audacieux et invulnérable comme Achille : le Détective dont on célèbre le culte dans ces temples que l’on nomme les romans policiers.«