Noté le vendredi 12 septembre (suite)
« I envy you going to Oxford… One sees the shadows of things in silver mirrors » (Oscar Wilde)
Un peu plus & je ratais ce qui fut peut-être la plus belle découverte de mon séjour. Il faut dire qu’avec un tel intitulé, « musée d’art & d’archéologie », je ne m’attendais guère à rencontrer à l’Ashmolean assez d’oeuvres artistiques qui puissent être à mes goûts — sachant que je ne m’intéresse guère qu’à l’art moderne. Mais enfin j’accompagnais Mireille & Gianji dans ce qui s’avéra une visite aussi délicieuse qu’enthousiasmante.
Première surprise, un bout de couloir consacré à l’exposition périodique d’une vaste collection de reproductions d’époque, signées, par tous les grands & petits noms du Monde de l’Art, le grand mouvement d’art nouveau & d’impressionnisme qui bouleversa l’art russe au début du XXe siècle. La quasi totalité des chefs d’oeuvres de cette école se trouvant dans des musées russes (fort logiquement), je n’avais encore jamais eu l’occasion d’en admirer des exemples — tandis qu’un article récemment rédigé sur l’illustrateur féerique Ivan Bilibine m’avait familiarisé avec le sujet. Quelle ne fut donc pas ma joie de découvrir, au détour d’un corridor aux murs bleutés, toutes ces sérigraphies & lithographies signées par Somov, Bossanyi, Benoi, Jacovleff ou Serov…
Le principe de l’Ashmolean semble être de présenter des collections nombreuses, très riches mais relativement réduites: un petit nombre d’oeuvres intéressantes pour chaque période. Je n’eus pas le temps de monter à la salle des préraphaélites, mais en revanche celle des Impressionnistes (& pré- & post-) me ravit, avec en particulier un important legs de la famille Pissaro (quelques Camille Pissaro de ses périodes londoniennes, étonnamment coloré comme ce « Bedford Park », de 1897, ou pointilliste). Et puis un beau paysage de Daumier tout en longueur, un Boudin, « Le Quai du louvre » de Louis Valtat (1892), « Les Sables d’Olonne » de Marquet, une vue de Notre-Dame par Jongkind de 1864, ou un splendide Bonnington (une esquisse pour un plus grand tableau: décidément c’est ici comme chez Turner — plus c’est inachevé plus c’est beau!).
Mais le ravissement complet, ce fut la salle moderne, large & bien éclairée, qui se nomme la Sands Gallery. Du nom de son généreux donateur, il s’agit d’un ensemble qui, outre par exemple un Picasso & un Kandinski tous deux surprenants car figuratifs (& ô combien réussis!), se concentre essentiellement sur la peinture anglaise. Joie, bonheur: de toute évidence, on ne voit que rarement en France les peintures anglaises. Alors qu’il y a dans ce pays une belle richesse en ce domaine, avec à travers tout le XXe siècle diverses écoles attachantes & puis un atout à mes yeux incomparable: la Grande-Bretagne demeure quasiment le seul pays où, de nos jours, la peinture a encore droit de cité en tant qu’art pertinent! Alors que partout ailleurs les dérives conceptuelles & fumistes de l’art contemporain ont relégué la peinture dans le passé, en Albion toujours, l’art pictural fructifie encore. À preuve Julian Freud (représenté à la Sands Gallery par une toile).
Sur ces murs oranges, bleus ou verts se montrent donc un Stanley Spencer, de nombreux représentants du Camden Town Group (Harold Gilman, Spencer Gore, Robert Bevan, Malcom Drummond) & surtout: quantité de Sickert! Cet artiste récemment accusé par une autrice de polar en manque de succès d’avoir en fait été le véritable Jack l’éventreur, fut en tout cas le plus grand des impressionnistes authentiquement anglais, en plus d’avoir su drainer autour de lui les énergies picturales de son époque (le groupe de Camden Town déjà cité).
En sortant de l’éblouissement de cette salle, pour parachever le bonheur, un immense Philip Wilson Steer (encore un impressionniste anglais, ignoré chez nous) & un Sargent. N’en jetez plus!