J’ai lu en deux jours (dont une journée de repos quasi complet, si, ça m’arrive aussi) l’immense volume intitulé Yvan Delporte réacteur en chef, qui vient juste de sortir chez Dupuis. Un hommage remarquable à un artiste inclassable: dire qu’il fut le rédac’chef de l’âge d’or de Spirou et un scénariste de bédé ne recouvre pas tout le champ de son humour, de sa fantaisie, de son originalité… Je me souviens qu’il y a quelques années, essayant de mettre une collection sur pied, j’avais rêvé d’avoir l’occasion de rencontrer Delporte. Ça ne s’est jamais fait et je le regrette sincèrement. Depuis que je suis tout môme, ce mec était un légende, pour moi. Des gens qui témoignent dans cet astucieux montage d’interviews, entrelacées pour reconstituer toute une narration autour d’Yvan Delporte, il y en a un que j’ai rencontré brièvement: René Hausmann, que je vis un jour au détour d’une allée d’Angoulème, tout seul à une table minuscule, pas un chat ne s’intéressait à lui. Je fonçai, quoique redoutablement intimidé. Saisissant son pinceau, il le trempa dans un peu de gouache rouge, hop hop, quelques mouvements souples et un beau petit renard était déjà apparu, terminé par deux taches noires.
« Rencontré », c’est beaucoup dire: je ne suis pas certain d’avoir dit grand-chose, pétrifié que j’étais par mon admiration. Donc, il parle un peu dans cet album, monsieur Hausmann. On y trouve aussi des propos fielleux de Thierry Martens, qui se révèle aussi réac et peu sympathique que dans les portraits que l’on brosse de lui depuis des années — il fut le successeur de Delporte à la direction de Spirou. Enfin, peu à peu, se dégage une image nuancée et attachante de Delporte l’homme, de Delporte l’humoriste, de Delporte le type vraiment pas comme les autres. Et vers la fin j’ai songé un peu à Patrice Duvic, mais il faut dire que, ne me remettant pas vraiment de sa mort, je me surprend souvent à lire dans d’autres fins de vieux artistes quelque chose de la figure de Patrice. Enfin bref: bel ouvrage. Vraiment. Et assez rare, je le soupçonne — faut bien le chercher, au milieu des démoralisants flots d’inanités dessinées qui submergent plus que jamais les rayons BD.
Suite à cette lecture, je me suis enfin décidé à lire, aussi, le Peyo d’Hugues Dayez, acheté depuis des lustres. Beau portrait et parcours bien brossé, ce livre est le prototype de ce que nous commençons à publier aux Moutons électriques comme monographies BD, dans un format sensiblement semblable. J’adore Peyo, et les belles rééd en cours de ses « Johan et Pirlouit » me l’ont remis dans l’oeil. Une vie tout de même assez triste, ce pauvre homme s’étant fait dévorer par les affreux dessins animés américains adaptés de ses Schtroumpfs, y ayant perdu la santé puis la vie, à seulement 64 ans. C’est d’autant plus désolant que l’on constate à chaque capture d’écran de ces DA combien ils étaient laids, atrocement mal dessinés.
Et puis dans la foulée, de monsieur Dayez également, j’ai lu Tintin et les héritiers. Mais ce fut une lecture encore plus désolante, ma foi, à force de sombres histoires de pouvoir et de fric, d’ambitions imbéciles, de stratégies mercantiles — retracées d’une plume remarquablement juste et honnête, ceci dit: Dayez a un vrai talent pour ce type de travaux. Après j’ai relu Les Bijoux de la Castafiore, c’est plus drôle.
Sur le Peyo et le Delporte flotte l’ombre immense du très très très grand André Franquin. J’ignorais qu’il avait participé à « Johan et Pirlouit », tiens.