Vu hier l’expo Quartet du MAC Lyon (musée d’art contemporain). Oui Daylon, y’a d’la culture en province, comme tu t’en étonnais l’autre jour. Et même une sacrée culture: cinq grands dessinateurs internationaux de la sphère bédé. Blanquet, Masse, Shelton, Swarte, Ware. De manière intéressante, on entre par Joost Swarte et on sort par Chris Ware: d’un psycho-rigide à un autre. Car ils sont bien fous dans leur tête, ces deux-là: sans jamais aire usage de l’outil informatique, ils tirent des traits d’une telle perfection, d’une telle netteté! Et de dessiner jusqu’aux polices de caractère. Chez Swarte, c’en est même un peu frustrant: on ne distingue guère la différence entre ses originaux et les reproduction, tellement il est précis, et tant ses dessins sont nettoyés, pas un trait de crayon bleu, rien ne subsiste que sa ligne claire. Chez Ware tout de même, le crayon bleu abonde. Ce qui n’en rend que plus magistral encore ses compositions, hallucinantes d’ordre.
Entre ces deux créateurs, trois chaos: les fantasmes dégoulinants et foisonnants de Blanquet (un autre malade mental, mais plus ordinaire finalement: obsessions sexuelles, je ne suis pas très impressionné), les grattages minuscules de Masse (ses planches sont seulement en A4!), les rigolades baba de Shelton. Ce dernier se trouve d’ailleurs un peu trop en décalage: son œuvre n’est que bédé, des planches et des planches, tandis que chez les autres, une dimension pluridisciplinaire est chaque fois dévoilée. Les sculptures de Masse, par exemple, sont étonnantes. Comme des traits de bédé, mais en trois dimension, en ferraille épaisse. Il arrive pourtant à donner à ce matériau la souplesse expressive du trait dessiné, en particulier dans ce bolide fonçant à travers un salon. Chez Swarte, bien sûr, il y a prolifération de production pour la presse, pour des affiches, mais le plus surprenant est de découvrir qu’il conçut un (superbe) immeuble, une salle de concert. Chez Blanquet, sans doute le plus underground du quintet, on est nettement plus proche de l’art contemporain au sens habituel de ce terme: tableaux, fresques murales, installation au sein de laquelle on circule sur des rails, photos retouchées. Un manque au niveau de Ware: sont absentes les pourtant nombreuses couvertures de livres dont il fait le design.
Le contraste est assez frappant entre cette expo, et celle de l’étage au-dessus du même musée: « N’importe quoi », ont-ils nommé cela, comme on pied de nez à l’opinion exprimée ordinairement sur les fatras aux limite de l’imposture de l’art conceptuel français. Et c’est bien n’importe quoi — mais souvent avec humour, comme ces deux chaussures gauche, ou la bombe de peinture sous globe qui a taché son propre support. J’éprouve tout de même du mal à extraire du sens de tout cela, et les œuvres picturales, au mur, me semblent d’une effroyable médiocrité. Impression de créations brouillonnes, de gags sans portée (quoique fort astucieux en ce qui concerne Fabio: des faux « Que sais-je? » aux titres dérisoires), de manque de vision. Les dessins du premier étage me paraissent bien plus contemporains — au sens d’inscription dans le réel, dans le quotidien, dans la machine commerciale et dans l’espace esthétique. Au premier étage, les créateurs agissent ; au deuxième, ils posent.
Vu hier. Assez juste dasn ta conclusion, même si j’ai trouver que le « n’importe quoi » ne cassait pas 3 pattes à un canard.
Etonné par les détails de Blanquet, Swarte admirable, tous comme Ware (malade mental). les sculptures de Masse sont excellentes (le bolide est métaphysique).
As-tu vu l’expo au 3e étage, une jeune peintre talentueuse entre tachisme et scène de BD-dessin pour enfant. très beau coloris, assez malsain et pourtant très ludique et enfantin.