C’est dramatique: le gouvernement semble vouloir attaquer la loi Lang pour le prix unique du livre!
L’article du Monde est malheureusement fort maladroitement rédigé, bourré d’erreurs et d’anomalies. Le sous-entendu selon lequel le prix des livres serait libre après deux ans est une totale imbécilité (cela ne concerne que les ouvrages en stock depuis plus de deux ans dans la librairie et jamais réapprovisionnés depuis). Et l’article de relayer des mensonges des gens d’Amazon.fr, qui se sont fait d’ailleurs une habitude de mentir tout le temps (non respect de leur condamnation de la fin d’année dernière concernant l’interdiction de pratiquer le port gratuit, non livraison des ouvrages des petits distributeurs, informations fausses, etc).
« Restent les consommateurs. En entraînant une baisse du prix des livres, cette mesure devrait permettre aux clients d’acheter plus de livres. « Nos clients trouvent que les livres sont chers », explique Xavier Garambois, directeur général d’Amazon France, qui juge « très positive » l’initiative des deux députés. « Cela stimulerait le marché du livre, qui est moins dynamique en France qu’en Grande-Bretagne et où les nouveautés sont moins chères », poursuit-il. »
Tout cela est un tissu de mensonges. Primo, une telle mesure n’entraînerait absolument aucune baisse du prix pour le consommateur (c’est là une chimère qu’agitent toujours les ultra-libéraux): seule grandirait la marge bénéficiaire des grands points de vente. De plus, il est rigoureusement faux de prétendre que les livres sont moins chers en GB qu’en France — car bien au contraire, ils sont plus chers! Il suffit d’avoir observé l’évolution du marché du livre en GB depuis que les grandes chaînes américaines (propriétés de Border’s) ont brisé l’entente locale pour un prix unique. Les prix ont explosé, les livres de poche n’existent carrément plus (plus rentables!), les éditeurs sont étranglés par les exigences de marge de Border’s, les petits éditeurs n’y sont plus en vente du tout. Ce qu’oublie aussi de dire Amazon.fr, c’est que chez leur collègue britannique, il est possible de commander (et de recevoir) toute la production — ce n’est pas du tout le cas chez Amazon.fr, qui pratique un boycotte sournois et hypocrite des petites productions, en ne se fournissant que chez un petit grossiste parisien (!) au lieu de commander directement chez les distributeurs concernés, et en prétendant ensuite aux clients que l’ouvrage « n’est pas disponible » ou en demandant plusieurs semaines de livraison, pour des livres parfaitement disponibles partout. Amazon.fr est un ennemi de fait de l’indépendance éditoriale et de la liberté de publier, ils ne visent qu’à la réduction du marché pour un profit maximum et un souci minimum d’exécution.
En effet, le calcul est simple à faire: ce que veulent les ennemis du prix unique, c’est proposer d’alléchantes remises à leurs clients. Mais pour cela, ils ne désirent pas rogner sur leur marge: ils exigent donc des éditeurs une remise plus importante. Et comme les éditeurs ne peuvent augmenter une telle remise sans y perdre leur chemise (la diffusion-distribution coûte déjà à l’éditeur dans les 65% du prix de vente public, duquel il faut encore déduire la taxe, les coûts d’impression et les droits d’auteur: que croyez-vous qu’il reste après ça?), ils n’ont qu’une seule possibilité de manoeuvre: augmenter le prix de vente pour gonfler leur CA. Et qui trinque donc, au final? Le lecteur, qui se retrouve avec des livres certes remisés par les grandes chaînes mais en fait beaucoup plus chers à la base.
L’initiative de ces deux députés (dont on gagera qu’ils ne lisent guère, contrairement à monsieur Attali) est supérieurement néfaste et la remise en cause de cette loi mettrait gravement à mal toute la chaîne du livre — car le livre n’est pas un « produit » comme un autre, et nécessite un équilibre égalitaire des conditions de mise en vente pour fonctionner. Il ne s’agit pas de protéger des intérêts mesquins, mais bien au contraire de garantir aux auteurs et aux lecteurs à la fois des revenus corrects (avec notamment la mise en place, enfin, de la SOFIA, organisme équivalent à la SACEM qui verse aux auteurs et éditeurs les droits perçus auprès des bibliothèques de prêt) et des livres pas trop chers. Détruire la loi Lang, c’est du perdant-perdant: tout le monde aurait à en pâtir grandement, qu’il soit éditeur, libraire, auteur ou lecteur. Personne n’y a intérêt! Seuls des idéologues aveugles peuvent rêver de détruire un tel secteur culturel et économique.
Imaginez un marché du livre sans format de poche! Non seulement cela serait dramatique pour les éditeurs grand format, pour lesquels la revente des droits pour le poche est un revenu non négligeable, mais cela signifierait l’abandon du travail patrimonial typique du poche (fonds de catalogue entretenu spécifiquement)… et une flambée des prix de vente! Ce qui est exactement ce qui s’est déroulé en Angleterre. Le règne du gros et grand livre cher et de la nouveauté immédiate.
Je sais que tu as raison sur la question, en tant qu’ancien libraire et surtout éditeur aujourd’hui… décidément la bande à Sarko a décidé de faire du dégât partout ?
Cela aura aussi un retentissement au Québec, où les livres français sont déjà 30% plus chers (en moyenne) à cause du port et du stockage sur place. Le livre deviendra un objet rare et cher, difficile d’accès… un gros coup à la culture en tous cas, ou une chance pour les éditeurs locaux ?
c’est un fait que vendre au Québec, pour un petit éditeur français, n’est absolument pas rentable.
mais de là à ce que cela ne le devienne également en France!!
Une petite rectification (ou précision comme on veut) : ce n’est pas le gouvernement mais deux députés UMP qui sont à l’origine d’un amendement à la Loi de Modernisation de l’Economie qui viserait à réduire le délai pour autoriser les rabais supérieurs à 5% qui passerait de deux ans à un an. Cet amendement a été rejeté en commission mais maintenu pour examen en séance par les deux députés.
D’autres part la Cour de cassation a estimé le 6 mai que la gratuité des frais de port, pratiquée par les libraires en ligne comme Amazon ou Alapage, n’était pas illégale et ne constituait pas une concurrence déloyale par rapport aux librairies traditionnelle.