Hop, deuxième petit extrait du work in progress Dracula…
« Généralement peu porté sur la vie mondaine et la fréquentation assidue des respirants, Dracula a souvent adopté au cours de sa longue existence un profil relativement discret. En cela, il demeure le grand archétype du vampire ténébreux, seigneur slave ombrageux retiré dans des préoccupations bien éloignées de celles des vivants à sang chaud. D’autres nosferatus n’ont pas une telle répugnance et, loin de se séparer de la société humaine, ils en hantent les plus hautes sphères. Ainsi de Lotta, une ancienne chapelière, qui sous les identités variables de Chloé Watermeade, Chloé Winterdon ou Célestine du Bois se fit entretenir durant plus de cent cinquante années par les fils de la bourgeoisie et de l’aristocratie londonienne — des jeunes gens qui ne furent jamais destinés à devenir vieux, puisqu’ils fournissaient non seulement sa garde-robe mais aussi son garde-manger. Non moins prédateur mais nettement plus racé, lord Ruthven, comte de Marsden, profite longtemps de sa haute condition sociale pour écumer les soirées mondaines à la recherche de jeunes femmes qu’il conduit à la dépravation avant de s’en repaître. C’est tout d’abord par lady Caroline Lamb (1785-1828) que le monde est prévenu du caractère abominablement amoral de lord Ruthven : alors qu’elle vient juste d’épouser le deuxième vicomte Melbourne, en 1812, Caroline Lamb, fille du troisième comte de Bessborough, sort successivement avec plusieurs dandys de cruelle réputation. Ruthven est-il déjà un vampire au moment où il fréquente lady Lamb ? Et la détérioration rapide de l’état mental de la jeune femme fut-elle en rapport avec la nature non-humaine de son amant ? Toujours est-il qu’en 1816 paru de manière anonyme le roman Glenarvon, qui bénéficie d’un bref mais intense succès de scandale. On sait bien vite que l’auteure n’en est autre que lady Lamb, et l’on suppute par conséquent que certains de personnages se trouvent calqués sur lord Byron (1788-1824), avec lequel elle vient de rompre, et lord Ruthven, qu’elle a assidûment fréquenté et qu’elle renomme là Clarence de Ruthven, lord Glenarvon. On dit que c’est d’avoir accidentellement rencontré la procession funéraire de Byron qui finit de détruire l’esprit de cette pauvre femme. Mais ce n’est pas tout : une autre relation de lord Byron, son ancien médecin et compagnon de voyage John William Polidori (1795-1821), ayant lui aussi connu le fatal lord Ruthven, entreprend d’en rédiger un témoignage. Déjà, lors de la fameuse réunion de la villa Diodati qui vit le poète Shelley, sa jeune épouse Mary, le docteur Polidori et lord Byron échanger des histoires d’épouvante sous un ciel plombé d’orages , déjà donc, lord Byron avait envisagé d’écrire une nouvelle sur lord Ruthven . En 1819 paru The Vampyre de John William Polidori, rédigé d’après ses souvenirs mêlés des deux lords — Byron à la réputation démoniaque et Ruthven aux activités réellement inhumaines. Caprice de l’histoire, cette nouvelle est d’abord attribuée à… lord Byron, qui s’empresse de rejeter une telle paternité. On ignore s’il s’agissait d’une erreur véritable, ou si Polidori avait ainsi essayé de profiter de la célébrité de son ancien mentor pour obtenir publication. Toujours est-il que John William Polidori n’eût pas une vie de tout repos : s’il prit vite en aversion lord Byron, lord Byron fut vite lassé par son compagnon de voyage, à qui il reprocha très vite son immaturité. Indépendamment du tempérament hautement capricieux de lord Byron, ce grief n’était sans doute pas totalement infondé, puisque Polidori se suicidera à 25 ans (en 1821), en buvant du cyanure. Criblé de dettes de jeu, il souffrait visiblement d’une profonde dépression. Mais tout de même, quel sombre tableau : lady Lamb internée pour folie, Polidori suicidé (quoique des historiens aient avancé l’hypothèse d’un assassinat), lord Byron succombant soudain à des fièvres… En fort peu d’années, lord Ruthven se trouve assez commodément débarrassé des mortels qui l’avaient dénoncé comme vampire. De là à voir dans cette suite de tragédies l’empreinte du comte de Marsden ? Nous n’oserons allez si loin. Cependant, avant de quitter le sujet du docteur Polidori, on notera avec intérêt un autre fait curieux : une de ses sœurs, Frances Polidori, épousa un certain Gabriele Rossetti. De leur union devait naître, en 1828, le futur poète et peintre Dante Gabriele Rossetti… et l’on verra plus loin que lui aussi eut à rencontrer le phénomène vampirique. Les histoires de vampire sont souvent des histoires de famille ! Quant à lord Ruthven, s’il pensait en avoir fini avec sa mauvaise réputation, il se trompait : si grand fut le succès du roman de Polidori en France, qu’une imitation fut rédigée en 1820 (Lord Rutwen ou les Vampires, de Cyprien Bérard), elle-même adaptée pour le théâtre la même année par Charles Nodier, à son tour réadaptée pour l’anglais par James Robinson Planché (The Vampyre, or the Bride of the Isles). »
et couv du Frankenstein également en cours, toujours par Sébastien Hayez:
Superbe, la couv du « Frankenstein » !