Juin 1996 toujours, en mode « road movie » : une pause sur la route de la côte, quelque part dans la nature sauvage entre San Francisco et Los Angeles…
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#2485
Un cliché assurément plus récent : juin 1996, San Francisco, photo prise dans le métro par mon excellent camarade Patrick M., alors que j’épluchais un bottin pour trouver quelques adresses supplémentaires de librairies. L’un des plus beaux voyages que j’ai jamais fait, ce long séjour sur la Baie. Et mon tout premier journal tenu. Nous logions chez Bruno B. à Berkeley, une vingtaine de jours sous le soleil, sous la brume, par les collines, par les rues, avec même une escapade de deux jours à Los Angeles. Des gargotes tex-mex, des tas de gargotes tex-mex. Et des librairies, des tas de librairies — dont pour la première, le soir de notre arrivée, une lecture-dédicace de Bradley Denton.
#2484
L’Astoria, salle de concert londonienne mythique, nous l’ignorions mais nous étions bien peu de temps avant qu’elle ne soit rasée. De longues années durant, ensuite, le carrefour de Tottenham Court Road, si longtemps dominé par ces deux Mecque musicales qu’étaient l’Astoria et le Virgin Megastore, sera réduit à un trou immense, un chantier dont on ne voyait pas la fin — à ma connaissance, il n’est toujours pas achevé au moment où j’écris ces lignes. Tombé sous les coups de butoir de l’aseptisation commerciale, comme le sera bientôt également Denmark Street, non loin. L’Astoria en ces derniers feux qui nous offrit deux soirées de progressive rock : un bout de reformation de Renaissance (ah, la voix d’Annie Haslam) en première partie de Caravan, puis le lendemain les Spock’s Beard (vulgarité américaine, hélas). Bien des années auparavant, j’avais aussi connu les derniers feux du non moins mythique Marquee, pour un concert d’IQ avec Geoff Mann en première partie (chanteur de Twelfth Night, il devait mourir d’un cancer quelques mois plus tard — souvenir ému d’une « Love Song » reprise en cœur par toute la salle).
#2483
Également 1977 ou 78, une photo prise à notre insu dans la bibliothèque du centre culturel de Cergy, à côté de la préfecture. Elle me paraissait immense, cette bibliothèque, à l’époque, et le centre culturel tout couvert de carreaux verts ou blancs figurait une fulgurante modernité architecturale. Je trouvai cette photo bien des années plus tard, dans un bulletin municipale, alors que mes parents étaient revenu vivre à Cergy, mais cette fois dans sa portion nord, le quartier Saint-Christophe, alors que dans ma jeunesse nous vivions dans le sud, le quartier Préfecture. On me voit ici en compagnie de mes copains de l’époque, Trong-Loc N’Guyen et Emmanuel Delannoy. Je découvrais la SF, alors, mais aussi la BD dans sa dimension adulte : les Rubriques-à-Brac de Gotlib que j’ai entre les mains, mais aussi bien d’autres chocs esthétiques et intellectuels qui me marquèrent : les albums de Bilal & Christin, les Valérian de Mézières & Christin, les Nicole Claveloux, les Gébé, les chroniques HLM de Caza, les Tardi, la revue Charlie Mensuel… Nous étions dans les Seventies, la SF était « speculative fiction » ou « nouvelle SF politique » et la BD était gauchiste, remuante, revendicatrice…
#2482
Deux photos, l’une jaunie, l’autre rosie et pâlie, qui surgissent du lointain passé — la fin des années 1970. Deux photos qui n’ont guère de sens que pour moi mais que je peux tenter d’expliciter un peu. Le contexte technologique : la commercialisation en 1977 d’un appareil photo, le One-Step de chez Polaroïd, qui permettait le développement presque instantané d’une photo. Une fois pris le cliché, il fallait extraire l’espèce de petit sac, le secouer pour étaler l’émulsion, le secouer encore, attendre une minute ou deux, ouvrir le sachet… et voilà ! Une photo carrée, mal teintée, qui se mettait à pâlir très vite… mais une photo « instantanée », miracle de la science. Il faut dire qu’elles vieillissaient bien mal, ces émulsions industrielles à bas prix, comme le prouve l’autre cliché, pourtant pris pour sa part avec un appareil classique, et d’aspect désormais plus piteux encore. Le contexte géographique : Cergy-Pontoise ville nouvelle, fleuron d’une urbanité neuve rêvée par l’ère Pompidou, une version revisitée seventies de la ville à la campagne, dans le nord de la région parisienne. La petite maison de mes parents, dans le quartier des Touleuses, possédait un microscopique jardin. Sur la première photo, l’on aperçoit à ras de terrasse la table de jardin et quelques arbustes. Sur la seconde, la haie de troènes qui clôturait cet espace réduit, avec la rue derrière et un petit immeuble au-delà, en frontière du bois. C’est dans cet immeuble qu’habitait alors le premier garçon qui me révéla, clairement, que je préférai le sexe masculin. Il avait neigé : nous étions donc en février, il neigeait à Cergy souvent au mois de février, semble-t-il me souvenir. Le froid humide, la pointe d’excitation, le décor transformé, la lumière blanche. Quel âge avais-je ? Quatorze ans, quinze peut-être.
