Reçu ce midi. Dire que j’en attendais la réception avec impatience serait un euphémisme. Car il s’agit tout à la fois du point culminant de deux passions conjuguées pour Sherlock Holmes, d’une nouvelle et brillante étape de mon amitié et de mon écriture avec Xavier Mauméjean, d’un projet très longuement mûri et travaillé à toutes ses étapes, d’une envie taraudante de publier un grrrros livre, et enfin (?) du vingtième titre de la collection que je co-dirige avec tant d’amour avec Xavier, toujours lui — un aboutissement. Alors je suis franchement moulu (280 Kg de bouquins à bouger — le volume fait plus de 500 pages et plus d’un kilo —, des colis et des enveloppes à n’en plus finir), mais eh! quel bonheur.
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#1985
Lectures? Une bio de Claude Monet (Monet, une vie dans le paysage de Marianne Alphant, superbe, mais dieu que c’est écrit petiiiit, je me crève les yeux) et le roman Zoo City de Lauren Beukes (de la fantasy urbaine en Afrique du Sud, d’ambiance très cyberpunk). Et niveau bédé le deuxième tome de l’intégrale des Docteur Poche de Wasterlain, pour la délicieuse planète des chats. Délice de la narration et délice du dessin — dommage que ce récit n’ait pas été plus développé, en fait. En revanche, déception pour la préface de l’ouvrage, d’ordinaire les beaux volumes de chez Dupuis Patrimoine ont des introductions passionnantes, cette fois c’est d’une platitude terrible.
Niveau boulot, après avoir maquetté Frank Miller, urbaine tragédie (par Jean-Marc Lainé) avec Julien en trois jours, je peine plus et en solo sur Mythe & super-héros (par Alex Nikolavitch), un peu plus difficile. Mais j’aime le travail de mise en pages, et ces deux bouquins sont vraiment chouettes, à la fois érudits et légers, très bien écrits, intelligents, avec des pointes d’humour, bref c’est un plaisir.
#1984
En fin d’année, j’ai déposé des dossiers de bourse d’aide à l’écriture, auprès du CNL et de la Région. Parmi les éléments demandés figuraient des éléments biographiques. Curieux exercice que celui-là: résumer sa vie. En peu de lignes, en événements clefs. Bio ou autobio, l’écriture d’une existence est encore plus une réécriture que ne l’est déjà la mémoire personnelle. Comment organiser ce qui au fil de la vraie vie n’est qu’aléatoire, occasions saisies ou manquées, enchaînements sans logique, humeurs, labeurs, habitudes, mauvais plans et petits bonheurs… Juste sur une feuille, quelques faits saillants d’ordre éditorial ou scriptural, histoire d’espérer toucher quelques sous pour écrire avec un peu plus de sérénité.
#1983
Très curieux: une lumière mauve baigne le paysage derrière ma vitre, virant peu à peu au violet comme la nuit tombe. Et descend avec cette dernière un voile de brouillard, qui gomme le haut des toits. Seule cette fichue grue est encore nette. Ce qui tout à l’heure baignait dans une lumière dorée, riante, a pris un aspect maladif.
Pas trop la forme en ce moment, du mal à bosser. Blues de saison, je suppose. Heureusement, Jean-Jacques Régnier était là le week-end dernier pour boucler avec moi le douzième Fiction (peut-être notre sommaire le plus « fort », des nouvelles très belles), et Julien Bétan sera là à partir de demain pour que l’on mette en pages Frank Miller, urbaine tragédie de Jean-Marc Lainé. Ensuite, j’aurai à faire la maquette de Mythe & super-héros d’Alex Nikolavitch (ce sont les deux Miroir-BD à sortir en avril). On sortira une troisième monographie sur les comic books juste derrière, sur Grant Morrison (par Yann Graf), mais c’est Rafu qui s’en charge et la maquettera. Sinon, discussions sur Yellow Submarine: Nicolas Lozzi boucle le n°135 sur le Japon (à sortir fin août), on va préparer pour l’an prochain un n°136 sur l’image de l’Afrique noire dans la SF, puis la revue changera de nouveau de rédac-chef.
#1982
Hier, la douceur du temps et un certain vague-à-l’âme m’ont poussé dehors. Avec comme alibi de devoir livrer quelques bouquins à une copine libraire. Un ciel gris roulait en vagues maussades au-dessus des toits, promettant une pluie qui n’arriva pas. Comment pratiquer la dérive dans une ville que je connais si bien? Eh bien, en tâchant d’emprunter des artères différentes de mes habitudes, et chaque fois qu’au bout d’une rue apparaît un carrefour connu, bifurquer aussitôt. Essayer de se perdre tout en gardant en tête une destination, l’exercice n’est pas aisé mais intéressant.
Le quartier de la Guillotière est à la fois l’un des plus banals et des plus curieux de la ville — car l’on y passe des rues traditionnelles, bordées de petits magasins (toute la longueur de la Grande rue de la Guillotière) au quartier des étudiants, et au retour, une rue ouest-africaine (rue Sébastien Gryphe ; j’y croise un jeune noir qui lance un large sourire à deux copains passant en voiture. La vitre s’abaisse, le passager lance « Policière, cours! » et le sourire de disparaîre d’un coup, le garçon part au galop — tandis que les deux de la voiture éclatent de rire. Lorsque je me retourne un peu plus tard, le garçon court toujours, à l’autre extrémité de l’artère), le quartier chinois, le quartier arabe, le quartier turc. Ce cosmopolitisme m’amuse, la vie des rues est diverse, bigarrée, populaire au plein sens du mot. Pittoresque.
De temps à autre, le réseau des petites boutiques cède la place à un commerce alternativo-bobo (librairie anarchiste, vendeur de terreau bio et d’articles en chanvre, café équitable et artisanat ethnique ou l’inverse). De temps à autre, les façades anciennes laissent la place à un laid bâtiment de cette architecture commerciale sans âme ni talent qui pousse partout, de préférence avec un assureur ou un banquier à ses pieds. Au sein d’une alignée de fenêtres basses s’ouvre une allée pavée, je glisse un regard, le mot « dépôt » m’attire — c’est un grand dépôt-vente au sein d’un ancien relais de la poste à cheval (il en subsiste plusieurs dans les environs). Mon amour du chinage me conduit dans les allées de canapés avachis et de fringues froissées, de bibelots d’une laideur qu’on croirait universelle, de vieux vinyls et de chaises en formica.
Non loin, un autre bric-à-brac. Un vieux monsieur sermone une voleuse, deux vieilles dames déposent leur cabat, j’achète une belle chemise blanche à 3 euros et trois « Bibliothèque verte » (des Michel). En sortant, le plus laid des canapés trône, non pas au sein des occasions du secours catholique, mais en vitrine d’un magasin. Sièges en cuir blanc clouté de gros diamants, coussins noirs décorés en or de zigzags égyptiens — idéal pour le salon d’un dignitaire copte. Je file jusqu’à ma boutique favorite, celle dont les senteurs et les couleurs me font toujours naître un large sourire: Bahadourian, la grande surface exotique. Niveau alimentation, c’est le Harrods ou le Fortnum & Mason de Lyon, bien caché derrière une façade sans prétention. Le nom de la place en dit cependant long sur sa renommée: place Bahadourian, tout simplement. Les autorités ont visiblement voulu éviter le fiasco du nom officiel de la toute proche place Gabriel-Péri, qu’aucun Lyonnais n’appelle jamais autrement que place du pont. À l’intérieur, l’épicerie fine de tout l’Orient – et un peu d’ailleurs, même, comme le prouve cette tisane de baobab. Où voulez-vous trouver sinon du mi-figue mi-raisin ou du coucher de soleil (ce sont des confitures), des gros cornichons doux, des piments en bocaux, des sauces algériennes, marocaines ou tunisiennes à presser comme du ketchup, un étalage de harissa proclamant « le bled près de chez vous », des amoncellement multicolores et odorants de sacs d’épices et de graines de toutes sortes, des mètres linéaires de thés, des vitrines emplies de plein de différentes olives?
