Lu un essai sur « la droite littéraire après 1945 », Le Soufre et le moisi de François Dufay. Titre culotté pour une étude que je ne peux lire qu’en ricanant régulièrement et parfois en grimaçant, sur la manière dont deux vieux collabos des plus odieux, Paul Morand et Jacques Chardonne, furent soutenus par les jeunes gens de la littérature parisienne d’après-guerre. J’ai pas mal lu Morand, que j’admire stylistiquement et dont les voyages sont fascinants, son regard et son sens de la description sont étourdissants ; en revanche ses histoires polissonnes et futiles ne m’inspirent qu’un complet ennui, quant à Chardonne, rien que d’entendre évoquer des récits sur les couples bourgeois, que ça a l’air ennuyeux. Mais au moment où nombre de ministres sont issus tout net de l’extrême-droite, il est très intéressant, instructif et affreusement fascinant, de voir comment roulait la machine littéraire droitière dans les années 50-60 — tous ces auteurs dont Bernard Pivot il n’y a pas si longtemps faisait les vénérables invités de ses émissions, quand ils étaient devenus à leur tour des vieillards aigris.
Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#1836
Il y a quelques temps, j’avais évoqué sur cette page un mien projet littéraire qui n’avait jamais trouvé preneur, le cycle de nouvelles d’uchronie Bodichiev. Eh bien, en définitive je me suis décidé à me jeter à l’eau: je vais le sortir ni plus ni moins qu’en auto-édition, selon le principe des « vanity press ». Ce sera donc un beau format relié… à la britannique, disons (cartonné avec toile grise, sous jaquette couleur, comme les hardcovers publiés à tirage limité par les Moutons électriques). Qu’est-ce donc, alors ? Eh bien, durant quelques années j’ai écrit des nouvelles d’uchronie, au prétexte policier et à la tonalité plutôt « roman gris » (Simenon, Freeling, Wahlöö, etc.). La première de ces nouvelles fut publiée dans la fameuse antho Escales sur l’horizon… mais je n’ai pas trouvé ensuite d’éditeur susceptible de publier un tel recueil, me faisant répondre chaque fois que c’était trop SF et pas assez polar, ou bien trop polar ou pas assez SF, et qu’en tout cas des nouvelles, vous n’y pensez pas mon bon monsieur, c’est invendable ! Une nouvelle fut tout de même publiée outre-Atlantique dans la revue québécoise Solaris, d’autres furent acceptées pour des anthologies… qui ne virent pas le jour, et ce fut tout. Fatigué de tant de déconvenues, et après quelques années de réflexion, je me suis finalement décidé sur pression amicale à proposer les dix textes véritablement achevés de cette fiction (on verra bien si un deuxième volume peut un jour se concrétiser). Dix nouvelles assorties d’une préface du héros, de deux petites annexes sur le contexte de cette uchronie, et de quatorze photos « d’époque ».
L’univers de ces nouvelles et novellaes, ce sont les souvenirs d’un détective privé, installé à Londres, la capitale occidentale de l’immense Empire de Toutes les Russies, celui sur lequel le soleil ne se couche vraiment jamais. Conspirations, station spatiale, liane tueuse, contrôle météo, dirigeables, France soviétique, Angleterre bouddhiste, voleurs génétiquement modifiés, trafics transfrontaliers, héritage perdu, tueur en série et Californie utopiste… Dans ce monde uchronique, tout est subtilement semblable et dramatiquement différent. De Londres à Saint-Francisbourg, en passant par Amsterdam, Bordeaux, les Basses-Alpes ou le Dorset, Jan Marcus Bodichiev mène l’enquête, au long de dix récits choisis parmi les plus singuliers de sa carrière.
Mes petits camarades Julien et Raphaël ayant accepté de bon cœur que je propose un tel volume à la vente sur le site des Moutons électriques, la souscription est donc lancée. Parution début avril, et je croise les doigts pour son accueil : c’est une expérience… Le tirage sera signé par mes soins, bien entendu, et strictement réservé à la vente par correspondance (aucune distribution en librairies).
#1835
« Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument ; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées ; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés ; les paquebots aventureux flairant l’horizon ; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux ; et le vol glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claquements de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste. »
(Marinetti, Manifeste du futurisme, 1909)
#1834
Oh, les jours se suivent sans se ressembler — je dois même être un peu schizo, à force. Genre, une journée à boucler des maquettes, une autre à brasser contrats, tableaux et paperasseries diverses, puis une à écrire de la fantasy (un roman jeunesse pour Plon et un livre-jeu avec Colin pour Hachette), puis une autre à travailler avec un auteur sur son bouquin à propos du polar provençal, une journée à lire/annoter la moitié d’icelui, une journée à m’enfouir dans les replis de la compta avec le gérant et le nouveau comptable des Moutons… (éprouvante, cette dernière) Et puis niveau lectures, fini tout le cycle des « Futurs mystères de Paris » de l’ami Wagner, un long morceau de jubilation, et là j’oscille entre un pavé d’architecture de chez Phaedon acheté il y a un bail et un thriller d’Ayerdhal acheté ma foi aussi y’a un bail. Pour ce dernier, étant tombé dans un entretien d’Ayerdhal (un long inédit à sortir dans Voix du futur) sur le moment où il dit que Transparences était plus ou moins né d’une scène de Wagner, une unique image qui avait donné naissance à tout le roman, je me suis dit qu’il était grand temps que je lise ledit roman. D’autant que l’auteur vient d’en rendre la suite. Pas déçu du voyage: je n’en suis pas encore loin, mais cette prose… Un style, un ton, tout en mouvements fluides, ça file, c’est superbe, avec un début de pure poésie en prose, épaté je suis.
#1833
Vu hier soir un étonnant documentaire, datant de 1967: The London Nobody Knows, de Norman Cohen, avec James Mason en présentateur flegmatique et un rien cynique. Je venais de trouver cette référence dans un bouquin sur Londres, il y avait eu un livre, qu’il faut que je me procure, puis ce doc très arty sur l’envers sombre du Londres des swinging sixties. Il y a des théâtres en ruine, les lieux des crimes de Jack l’Éventreur encore intacts à l’époque (ça m’a fait une impression fort étrange de voir cela « en vrai », en couleur), des vendeurs de rue, des scènes de marchés, des comédiens mendiants, des clochards, des lieux peu connus… Le tout enveloppé dans une mise en scène parfois réaliste, parfois surréaliste, parfois drôle, parfois dure. Londres années 60, pour de bon, sous mes yeux — fascinant. Un voyage dans le temps. Seul regret: la brièveté du film.
