#1633

Il y a quelques années, j’avais lu L’Insurrection qui vient du « Comité invisible ». J’avais trouvé cela intellectuellement provoquant, mais n’avais pas été convaincu: naïvetés qui me semblaient criantes, positions qui me semblaient dangereuses (je ne crois pas en la « révolution »: mettez Besançenot au pouvoir et on aura une dictature), fascination un peu puérile pour l’action violente, attachement à des notions dépassées liées au productivisme…

Mais aujourd’hui et depuis novembre 2008, Julien Coupat est en prison, sans procès, sans jugement, sans la moindre preuve, accusé d’avoir été la tête pensante du « Comité invisible » et donc des sabotages du trafic TGV (qui se débrouille très bien tout seul, pourtant, pour être erratique, au point que la SNCF a tellement intériorisé le retard comme normale qu’on nous affiche maintenant en gare un absurde « Train à l’heure », comme si cela ne devait pas être l’évidence absolue). Et cela, c’est intolérable. Depuis qu’a été élu à la présidence de la République un ancien ministre de l’Intérieur, la France est devenue, doucement, sournoisement, un État policier. Et l’adoption de l’Hadopi, encore une mesure sans contrôle ni justice, nous incline encore un peu plus loin vers le règne de l’arbitraire.

Tout cela pour introduire un extrait de la lettre d’information du magazine Matricule des Anges

On a appris hier la mise en garde à vue de deux couples d’éditeurs que l’on connaît bien. L’arrestation a été menée par la police judiciaire de Marseille et les forces de l’anti-terrorisme. Il est vrai que François Bouchardeau qui dirigeait jusqu’à son récent dépôt de bilan HB éditions (avec sa femme arrêtée aussi) est un éditeur dangereux : il publie du roman, de la nouvelle. De même Samuel Autexier qui avec sa sœur ont dirigé un temps une collection chez Agone et publient la revue /Marginales/. Ces quatre-là ont commis un crime très grave, susceptible de porter atteinte à la sûreté du pays : ils ont manifesté à Forcalquier (haut lieu du terrorisme) au sein du comité de sabotage de l’anti-terrorisme pour soutenir Julien Coupat (ancien directeur de la revue /Tiqqun/) détenu depuis novembre 2008 et présumé responsable d’avoir jeté des traverses sur une voie de TGV. (Lisez ici l’appel à la manifestation du 5 mai et voyez combien elle était une menace pour la société) Aussi grotesque que soit cette arrestation (à laquelle fit suite celle d’un membre de la Ligue des Droits de l’Homme de Forcalquier), elle n’en demeure pas moins inquiétante. L’éditeur Éric Hazan avait eu droit lui aussi à un tel traitement de faveur pour avoir… publié un livre que les pandores soupçonnent d’avoir été écrit par Julien Coupat. On riait de voir les musclés de l’anti-terrorisme s’effrayer du nombre de livres saisis chez Julien Coupat. Aujourd’hui, il semblerait que pour les forces de l’ordre, une bibliothèque soit à elle seule une preuve accablante de l’appartenance de son propriétaire à un réseau terroriste. La moindre des choses que nous pouvions faire était de vous tenir informés. Dans quel pays vivons-nous où les auteurs et les éditeurs sont assimilés à des terroristes dès lors que les idées qu’ils professent ne conviennent pas à quelques-uns ? Dans quel pays vivons-nous où le moindre délit (ici : avoir photographié un élément de la maison secondaire du directeur central du renseignement intérieur Bernard Squarcini) vaut une garde à vue pouvant atteindre les 96 heures ? Dans quel pays vivrions-nous si nous ne réagissions pas à ça ?

http://www.lekti-ecriture.com/bloc-notes/
http://www.soutien11novembre.org/
http://www.millebabords.org/spip.php?article11356
Un communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme :
http://www.millebabords.org/spip.php?article11361
http://www.wikio.fr/news/Francois+Bouchardeau
L’appel à la manifestation du 5 mai :
http://nantes.indymedia.org/article/17104

#1632

Hum, je crois bien n’avoir pas montré ici le superbe graphisme de la jaquette de Glissements, que m’a fait Sébastien Hayez pour la petite antho à tirage limité que j’ai réuni pour le cinquième anniversaire des Moutons électriques (le mois prochain). Alors voici, en entier (dépliée).

#1631

Enfin en train de rédiger mon « Bibliothèque rouge » autour de Harry Potter. Et j’en passe par des chemins auxquels je ne m’attendais pas de prime abord — même s’ils me viennent naturellement: J. H. Rosny aîné, le dessinateur américain Barry Winsor-Smith, le prix Nobel de médecine John Eccles, Gaston Bachelard, Terry Pratchett et Neil Gaiman dans (presque) la même foulée…

#1630

Deux jours à Paris. Lundi, une journée de cours à donner à Montreuil (formation continue pour libraires). Mardi, parlé 3h dans un micro de France Culture, de séries télé britanniques. Benoît Lagane prépare pour cet été une émission en douze parties sur les séries, avec Éric Vérat (un ancien du « Guide du téléfan »), où mes réponses seront saucisonnées au fil des émissions. Le lieu d’enregistrement était agréable: la cafèt’ de Radio France, au dernier étage — horizon de toits en zinc et de terrasses blanches, avec la vieille demoiselle de Gustave Eiffel qui se hausse du col pas très loin, de l’autre côté de l’eau. Elle est brouillée par le temps maussade si parisien. Le centre des bâtiments de la Maison de la Radio est fantômatique: gainé de draperies blanches, pour travaux. « Pour une fois nous avons quelque chose à vous cacher », proclame un astucieux slogan en immenses lettres noires.

Ensuite, j’avais dans l’idée d’aller voir l’expo Eiffel, justement, à l’Hôtel de Ville. mais alors qu’elle est censée être non-stop elle est fermée, et une longue queue patiente. Je n’en ai pas envie: tant pis, encore pas d’expos cette fois-ci, il commence enfin à faire un peu beau, je vais marcher. Dérive entre l’Hôtel de Ville et la Gare de Lyon, lentement, en zigzaguant, le nez en l’air. Églises Saint-Gervais (d’une belle austérité) et Saint-Paul-Saint-Louis (superbe baroque pseudo-italien). Étrange comme dès lors que l’on entre dans une de ces églises, le silence vous enveloppe complètement, à deux pas du brouhaha urbain. Comme le dirait Terry Pratchett, ce sont des lieux où le silence émet une sorte de bruit, une bourdonnement de silence.