#1403

C’est à la fois fasciné et avec une sorte de crainte que j’avance toujours dans la biographie d’Oscar Wilfe par Neil McKenna. « Crainte » au sens de… de suspense, ma foi, comme si pourtant je ne savais pas le résultat de cette existence. Mais toute cette bio tend vers le procès final, et les dangers s’accumulent sur ce fou d’Oscar. C’est beau, poignant. Et absolument passionnant!

Du coup, regardé « The Importance of Being Earnest », la version ciné avec Colin Firth et Rupert Everett. Incroyable: presque chaque réplique est « culte ». La bio explique que pressé par le temps et les dettes, Wilde écrivit très vite cette pièce, dernier chef-d »oeuvre, et utilisa peut-être pour cela des citations de lui-même, de ses réparties dans des soirées, notées par un ami.

#1402

Entre deux re-visionages des Woody Allen, j’ai regardé hier soir le Mary Shelley’s Frankenstein de Kenneth Branagh. Je ne l’avais jamais vu et me demandais depuis longtemps pourquoi tout le monde l’avait ainsi enfoncé, pourquoi il avait fait un tel flop. Maintenant je comprends: ce film est superbe.

J’imagine que les gens voulaient un deuxième daube comme le Bram Stoker’s Dracula de Coppola (qui co-produisit le Branagh), un bon gros film hollywoodien, avec un casting lamentable, une script-girl incompétente et des effets spéciaux pour épater le bas peuple. Yeah! Eh bien c’est sûr, là, c’est la déception: un film historique typiquement britannique, un casting formidable, de la grâce et de l’esthétique… Finalement, il est certain qu’on a là un film nettement plus proche d’une adaptation de Jane Austen ou des réalisations de James Ivory que d’un blockbuster d’horreur. Branagh, quoi. Un tel décalage fut forcément fatal au succès commercial. Reste une très belle oeuvre, pourtant.

#1401

Where no man (in a sane mind) has gone before. La nuit dernière, expédition à Craponne. Dans une Kangoo jaune, avec musique de Michel Sardou un moment en fond sonore. Brrr. Ah, et j’oubliais presque: au sein d’une sévère tempête de neige. Tout ça pour aller voir une pièce de Tchekhov, on n’a pas idée! Ils ont pas de salles, à Lyon, que le Conservatoire est obligé d’aller enterrer ses spectacles dans une fort lointaine banlieue?

Et puis c’est riant, Craponne. « Fastfood »: ah ben non, plus de pizzas avant 1h40. Nous échouâmes vers minuit, au retour, les estomacs hurlants, dans le parking obscur d’un MacDrive suburbain, la loupiotte éclairant juste assez le dehors pour que l’on distingue une rangée de poubelles vacillant sous la bourrasque nocturne.

La pièce, sinon, était bien chouette. On m’avait annoncé une mise en scène genre David Lynch, en fait c’était franchement les Robins des bois à Halloween. Très marrant, très grinçant, impeccable. Si seulement on n’avait pas subit la première partie, ç’aurait été encore mieux: le théâtre intello dans toute sa caricature, avec diction entre ânonnements et beuglements gratuits, dialogues en abstractions de querelles hétéros et dramaturgie prétentiarde.

#1400

Chaque début de mois c’est le même cirque: vais-je recevoir les cartons des Moutons électriques le lundi ou le mardi? Bon, là visiblement ce ne sera que demain… Tant mieux, comme ça Raphaël sera là pour m’aider à tout monter! Parce qu’il va y en avoir, et du pesant: à commencer par Fiction, tome 7 du nom. Une revue de poids!

Et puis il va y avoir, miam, L’équilibre des chants de Caroline
Stevermer, une délicieuse fantasy lorgnant à la fois du côté
d’Anthony Hope, de Jane Austen et du roman de campus à l’anglaise. J’adore cette autrice, vraiment. Pour moi elle demeure l’une des plus belles et réjouissantes plumes de la fantasy actuelle, ni plus ni moins. Ah, et aussi une surprise: un polar historique. Publié en coordination avec l’Office du Tourisme de Lyon! Le maître des gargouilles est une
novella située dans le vieux Lyon au XIVe siècle, alors qu’apparemment une véritable gargouille rôde et assassine… Ouvrage d’intérêt local, cette oeuvre de Nicolas Le Breton, qui présente en parallèle une visite organisée à la découverte des gargouilles et chimères de St-Georges, St-Jean et St-Nizier, ne sera distribuée qu’à Lyon, par nos propres soins (je ne vous raconte la tournée qu’on a fait de toutes les boutiques!).

#1399

Me suis réveillé ce matin avec en tête une chanson que je n’avais pourtant pas écouté depuis des années: « Heartbeats Accelerating », de Kate & Anna McGarrigle, des folkeuses canadiennes je crois. « Love love where can you be… »

Inévitablement, j’ai rêvé de ma marraine. Car je rêve souvent d’elle, curieusement. Je ne l’ai plus vue depuis des années, juste une carte à chaque Nouvel an. Elle s’est suicidée avant-hier. Elle avait plus de 70 ans. Mais pour moi, ma marraine représente un morceau important de mon enfance. Non pas que je l’ai jamais vue fréquemment: mais quelques séjours chez elle me marquèrent. Au retour du dernier, j’éclatai soudain de pleurs dans mon lit. J’avais eu la conviction que jamais je ne retournerai à Damiette. Peur enfantine? Ce fut pourtant vrai: jamais je n’y suis retourné en séjour. Prémonition? Voilà qui sonne diantrement comme de la superstition. Et pourtant: un autre jour, dans la voiture en quittant Nantiat, la maison de mon grand-père au limousin, j’éclatai aussi en pleurs énormes. Submergé par une crainte incompréhensible, la même que vis-à-vis de Damiette des années auparavant. Et il en alla de même: jamais je ne retournai à nos chères grandes demeures de Nantiat, vendues peu après.

Enfin, quoi qu’il en soit de ces « prémonitions », Damiette m’a marqué. Il s’agissait d’une longère, en Anjou. Enfant des villes, je n’avais jamais été dans une ferme, avant: quel miracle, il y avait là une petite basse-cour. Des poules et des canards, en vrai. La mère de ma marraine, avec laquelle elle vécut toute sa vie, était surnommée Mère-Poule. je n’ai même jamais su son vrai nom. Avec moi cette vieille femme revêche était toujours adorable ; vêtue de noir, affairée aux tâches ménagères et au jardin, les mains aussi rugueuses que son accent était rocailleux.

Toute mon enfance, je le sais maintenant, j’ai enchanté des lieux. Trois surtout: les maisons de mon grand-père à St-Brévin, en Bretagne ; les maisons et le parc de mon grand-père en Limousin ; et la petite ferme de ma marraine, en Anjou. Dans ma mémoire, dans mon imaginaire intime, très vite ces trois lieux ont pris des proportions merveilleuses. Vous savez, la thématique littéraire des « jardins secrets »: eh bien, je l’ai vécue.

Ainsi les terrains de Damiette lorsque j’étais petit avaient-ils une dimension d’immensité étonnante. À peine si j’osais pénétrer un peu dans le potager, tant il s’étendait, s’étendait… Imaginez un horizon exagéré comme dans les premiers plans du premier film de Superman, et vous aurez une petite idée de ma vision de la campagne angevine. Vision encore renforcée, quelques années plus tard, lors je marchai avec mon père jusqu’au bout du terrain et un peu au-delà: soudain, la campagne était coupée par un gigantesque canal, tout au fond d’une profonde tranchée. Comme le coup de hachoir d’un ogre, vlan, enfoncé en plein dans de douces collines vertes. Et mon père de m’expliquer qu’auparavant, on allait sans problème jusqu’au bosquet, tu vois, là-bas? Sur l’autre versant du monstrueux canal. Il ne s’agissait que de la première attaque sur une région qui se transforma peu à peu en une hideuse zone industrielle (commune des Ponts-de-Cé), mais celle-ci, par son caractère littéralement géant, transporta mon imagination: j’y vis la confirmation du fait que peu de temps avant, les terrains de Damiette s’étendaient sans limite.

Autres chocs esthétiques et culturels: les lianes épaisses et d’un vert acide des potirons, qui se tordaient autour de la barrière au début du potager, avec de grandes feuilles velues. Et maman de m’expliquer qu’on fait une délicieuse soupe avec les potirons, mais que comme papa n’aime pas ça elle n’en fait jamais. Inutile de dire que, de ce jour, la soupe de potiron devint pour moi un met merveilleux! (et j’adore toujours cela) Scène emplie d’une lumière dorée, le soleil déclinant d’un automne, dans mon souvenir.

La chienne. Lady, elle s’appelait. Ensuite, ma marraine nomma chacune de ses chiennes Lady. Il s’agissait d’une femelle berger allemand. Je n’avais jamais vécu avec des chiens, mon père n’aimant pas ces animaux (non plus). Habitué des chats, je découvris la rudesse, la force, la fidélité joueuse du canin. Avec un rien de dégoût (ça sent mauvais, un chien) et de crainte (elle courait si vite et était tellement musclée, Lady).

Le lit. Trop haut pour mes petites jambes, et si moelleux, je m’enfonçais dans l’édredon énorme. Ça grinçait un peu, ça tanguait comme un navire. Et le silence de la campagne, renforcé par les bruits de la basse-cour, les tictac d’horloges, les hoquets de l’antique Frigidaire près de la porte d’entrée (on arrivait de plain-pied dans la cuisine).

Et ma marraine: infirmière, profession m’emplissant d’un immense respect. De fierté, même: ma maman aussi, avait été infirmière. Chez les fous, en plus: imaginez un peu ce que mon imagination enfantine faisait des quelques anecdotes évoquées par les deux copines de boulot, sur l’asile de St-Gemmes! Des années plus tard, maman m’offrit un joli petit pot en verre brun: un bocal à pilules, du temps des premiers calmants (merci monsieur Laborit). Je le conserve précieusement. Ma marraine, donc. Jeannette. Juste un prénom. Et un nez pointu, sous des cheveux très noirs. Une fée, sans doute.

« Love love where can you be
Are you out looking for me
Love I am waiting
Heartbeats accelerating »