Archives de l’auteur : A.-F. Ruaud
#1338
Mes achats à New York ne furent pas très nombreux, car je ne voulais pas trop me charger, mais les quelques ouvrages que j’acquis furent très orientés « Bibliothèque rouge » et autres projets d’essais. Il y a en effet dans les librairies américaines un rayon que j’apprécie particulièrement: « Cultural studies » ou « Popular studies », qu’ils appellent ça. En clair: des ouvrages sur la culture de masse. Et ladite culture de masse étant mon sujet de prédilection, je trouvai avec joie sur les tablettes de nouveautés un Girl Sleuth – Nancy Drew and the Women Who Created Her. Ecrite par une essayiste au patronyme malencontreux (en français) de Melanie Rehak, il s’agit d’une étude/biographie des créateurs/trices de la jeune détective connue en France sous le nom d’Alice (autrefois en Bibliothèque verte). Et comme tant Nancy Drew que ses « collègues » les Hardy Boys sont vraiment cultes aux USA, venait aussi de sortir un beau livre illustré sur ce sujet. J’ai lu le Rehak tous les soirs et l’ai terminé dans l’avion: fascinant et très intelligent. De l’excellent matériau pour le BR sur les « jeunes détectives » que j’écrirai un jour. Sur les mêmes tablettes trônait également un ouvrage sur les mythes de Frankenstein: y’a bon! Et enfin, une énorme bio de Charles M. Schultz, le créateur des Peanuts.
Je dirai par contre que je ne suis pas impressionné par un livre québécois que j’avais échangé avec son auteur contre un BR. Scènes de crimes est, par le vieux spécialiste Norbert Spehner, un panorama/guide de lecture du roman policier contemporain. Las: l’écriture en est incroyablement médiocre. C’est du (mauvais) fanzine: tout en « je », premier degré, aucune analyse, aucun recul, c’est écrit comme l’on discuterait au coin d’un bar ou d’une mailing-list. Et les invectives pleuvent sur le sous-genre « cosy », par exemple, sans construction d’argument. Pourtant, cher ami, il en va du « cosy » comme de toute littérature: 90% ne vaut rien, mais donc 10% est très intéressant. Enfin bref: je m’étonne que les critères éditoriaux québécois permettent de publier un tel livre. Alors qu’un peu de retravail stylistique et un poil d’exigence intellectuelle aurait aisément permis à ce guide de dépasser le stade du fatras de notes persos.
#1337
Pour continuer dans la lancée de ce séjour à Manhattan, deux liens:
Tout d’abord, et surtout, les photos de mon oncle Jean: il en a mis quelques-unes (trop peu!) en ligne sur son photoblog, Empreintes, entre le 1er et le 4.
Et puis, trouvé par Jean justement, un beau film expérimental sur la gare de Grand Central.
#1336
NYC 13
Retour glacial, dans les courants d’air d’aéroports et dans le froid de bus de transit. Je reviens avec un bon gros rhume.
J’ai encore New York dans le regard: l’autre soir, Jean me disait qu’en fermant les yeux, il continuait à voir des façades. Cela me le fait aussi. New York a une présence si forte, si physiquement imposante! Presque trop, d’ailleurs, dans le quartier de Wall Street, où la « culture de la congestion » chère à Rem Kolhaas a entassé de manière beaucoup trop serrée les tours sur le vieux plan de ruelles tortueuses. Au coeur du système boursier, on ne respire plus. Dans Midtown, en revanche, l’ampleur des rues et la largeur des trottoirs, est bien adaptée aux murailles de verre fumé qui s’érigent de tout côtés. Ma petite heure passée simplement assis sur un banc de la 3e avenue, devant une banque, après le départ de Jean, demeurera sans doute un des instants cruciaux de… comment dire? D’absorption visuelle.
Me réveillant d’une courte sieste, hier, je découvris que j’avais encore la tête à New York: dans le chaud soleil rasant de l’hiver, semblable à la lumière vue de l’autre côté de l’Atlantique, j’avais soudain l’impression que le motif décorant le fauteuil devant moi était un dessin de gratte-ciel, et que si je levais la tête pour regarder au dehors, j’allais retrouver les façades new-yorkaises, mon appartement comme une bulle de silence importée au sein du tumulte grondant de Manhattan. Je demeurai un instant à savourer ce décalage étrange.
Je ne sais si je retournerai un jour à New York, mais j’ai engrangé assez d’images for a lifetime. Un grand film documentaire. Sauf que, pour moi, New York conservera ainsi ses teintes d’automne (dans mon oeil: plutôt en lumière dure comme sur des photos de Daylon, plutôt qu’en lumière tendre comme sur des photos de Jean).
#1335
NYC 12
Autour de Port Authority, les nombreux travaux et terrains vagues permettent une éclosion d’affiches comme on n’en voit guère ailleurs dans la ville. L’une d’entre elle, d’un bleu profond, m’attire l’œil: Linda Carter va donner un spectacle, apparemment un récital comique. « America’s Only Television Wonder Woman » proclame un sous-titre. Le lendemain, je lis dans un des nombreux journaux gratuits que Linda Carter serait une « 70’s Survivor ».
Une chose qui m’étonne un peu, c’est la présence médiatique de la vieillesse. Beaucoup de présentateurs ont les cheveux gris ou blancs, et David Letterman est tellement voûté qu’on croirait que ce sont ses bretelles qui lui tirent sur la nuque. Dans le salad-bar asiatique à côté de l’hôtel, Azure, des boîtes de céréales m’attirent le regard: un couple mixte y sourit de toutes ses dents. Lui, noir, a la bonne cinquantaine. Elle, blanche jusqu’aux cheveux, semble avoir la soixantaine. Jamais en France on ne verrait ainsi des personnes d’âge mûr promouvoir des produits. Est-ce ici un signe de l’évolution de la pyramide des richesses, et/ou que le culte de la jeunesse serait en recul sensible?
Étrange assemblée au café Starbucks de la librairie du CitiCorps Building: un petit groupe de femmes d’âge mûr ont pris possession de trois tables, dans l’angle des vitres au-dessus de la chaussée. Une dame petite et boudinnée, les cheveux blancs frisés serrés, tient son auditoire en haleine — et en français. On croirait voir Gloria Lasso et son fan-club. Une célébrité mineure? En tout cas, c’est d’un cours de français qu’il s’agit, comprends-je au bout d’un moment. Elle solliloque, impérieuse, égotiste, parle beaucoup de mouvements de caméra, d’Hollywood, de mode, évoque aussi de son opération des boyaux (le terme est d’elle). Français impeccable et rapide, accent américain peu prononcé feutrant juste un peu ses mots, vocabulaire nettement vieillot (« c’est pour faire la causette », explique-t-elle). Lorsqu’un malheureux client fait mine de vouloir s’asseoir à la troisième table, inutilisée par le groupe, elles montrent les dents. Un homme les rejoint, visiblement lui aussi un retraité cherchant à se cultiver en français.
Le nouveau Joni Mitchell est paru: je l’ai même vu en vente à la caisse d’un petit Starbucks. « Shine ». Je vais l’acheter, c’est certain.
