#442

J’apprends qu’une nouvelle de Paul Harland a été traduite par Patrick Marcel, pour une publication de la convention de Flémalle (prochain congrés francophone de SF & de fantasy, prés de Liége fin août).

Vraiment rien à voir: c’est non sans fierté que l’on peut annonçer la mise en ligne de la version totalement repensée/relookée/reconstruite du site de la Gang, le groupe (informel mais solide) & plus ou moins lyonnais (hélas de moins en moins) d’écrivains de SF/fantasy dont auquel à propos de quoi je fais partie… Cette « maison gourmande depuis 1998 » arbore désormais un superbe portail — je peux le dire avec d’autant moins de modestie que si j’y figure, le site lui-même est l’oeuvre de mon camarade Gizmo. En revanche, notons que le weblog de mon camarade Olivier, les « Eaux troubles », est désormais abandonné.

#441

Ténèbres: j’apprends à l’instant que mon ami néerlandais Paul Harland (de son vrai nom Paul Smit) est mort il y a deux semaines. Il avait 43 ans. Paul se battait depuis des années contre le cancer.

Écrivain de SF, il avait déjà publié un recueil en langue anglaise (chez Roelof Goudriaan, qui vient de m’apporter cette mauvaise nouvelle), et venait de sortir son beau roman, The Hand That Takes. Il y avait déjà plusieurs mois que nous n’avions pas correspondu — mais je venais enfin de finir de lire son roman, lu « on » & « off » sur un bon laps de temps, je l’avais réellement aimé (de la SF post-cyberpunk avec une thématique gay, genre Mary Rosenblum ou Melissa Scott pour ceux qui connaissent) & venais donc juste de lui écrire. Zut. Je me sens terriblement triste… 🙁

J’avais publié Paul deux fois: la première dans un vieux numéro de Yellow Submarine (pour sa nouvelle « Le Jardin d’hiver », que j’espèrais toujours pouvoir un jour rééditer quelque part); la seconde dans YS aussi, dossier Fantasy (« Ciel de femme ciel »).

#440

Avec cette coupure de connexion, d’ailleurs toujours pas réglée (j’utilise une connexion téléphonique en lieu & place de l’adsl), je n’ai évidemment pas tenu à jour sur ces pages la liste de mes lectures…

Pourtant, je me suis rué (comme tout un chacun?) sur le cinquième Harry Potter de miss Rowling. Et en suis ressortit avec le même contentement qu’avant, car certains snobs auront beau dire (n’est-ce pas madame Byatt?), c’est là de l’excellente littérature pour la jeunesse, rédigée avec une astuce inaltérable & un sens du rythme qui, en dépit d’un nombre de pages encore croissant, m’a semblé nettement mieux « tendu » que sur le volume 4. C’est frais, léger, pas bête pour un sous — j’apprécie en particulier l’image qu’elle donne des gouvernants, ô combien d’actualité après les mensonges grossiers de l’administration Bush & le « suicide » d’un scientifique anglais…

Lu également « Amaryllis Night and Day » de Russell Hoban -un auteur qui me fascine depuis longtemps. Et qui ici a délivré un roman presque parfait, à mon regard: en fait, je rêverai d’avoir écrit une telle oeuvre…

En 38 chapitres généralement très courts, la rencontre de Peter Diggs, peintre américain vivant à Londres, et d’Amaryllis, jeune femme un peu… étrange.

La première fois que Peter rencontre Amaryllis, c’est dans un rêve. Tous deux attendent à un arrêt de bus, dans une rue sombre au décor vaguement expressionniste, peut-être peint sur toile. Nous sommes un soir d’été, juste avant que la lumière ne disparaisse, à ce moment particulier durant lequel au bleu sombre du ciel répond le jaune brillant des lampadaires déjà allumés. Sur l’arrêt un panneau annonce BALSAMIC — quoique les lieux n’aient rien de particulièrement vinaigrés, ajoute l’auteur. Lorsque le bus arrive, il ne s’agit pas d’un véhicule ordinaire: ses parois sont des feuilles de papier de riz jaune, rouge, orange, collées ensemble sur des montant en bambou. Le bus est une silhouette haute, gracile, apparemment fragile, pleine de bougies qui l’éclairent de l’intérieur telle une grande lanterne japonaise. Pas de numéro, juste une destination: FINSEY-OBAY.

La jeune femme commence à monter dans le bus et fait un « oui » silencieux en direction de Peter, l’enjoignant de monter lui aussi. Effrayé il ne sait trop pourquoi, le jeune homme a un mouvement de recul – et se réveille.

Mais ce ne sera pas leur unique rencontre, car contre toute attente Peter va rencontrer la jeune femme dans la vie réelle, quelques jours plus tard. Entré au Science Museum afin d’aller admirer l’exposition de « bouteilles de Klein » (des formes mathématiquement presque impossible, équivalent tri-dimensionnel du ruban de Moebius — qu’un souffleur de verre nommé Alan Bennett est parvenu à créer en vrai), Peter y rencontre la jeune femme: Amaryllis, qui « savait » pouvoir el trouver là. Car elle l’a choisit: le croisant un jour par hasard sur un quai du métro, elle a sentit que cet homme saurait la comprendre, saurait communiquer avec elle jusque dans ses rêves. Car tel est le pouvoir d’Amaryllis: attirer les autres dans ses songes.

Et grand est son besoin de Peter: chaque soir elle ne rêve plus que du bus en bambou et papier de riz, et meurt de peur à l’idée de parvenir à sa destination mystérieuse, Finsey-Obay.

Timide, Amaryllis refuse de donner son nom et s’en va en affirmant qu’ils allaient se retrouver.

Les nuits qui suivent, Peter tentent de rêver d’elle – en vain: il rêve, non, il « glim » (un terme écossais, qu’il est préférable d’utiliser dans les rêves car le vrai mot, « dream », provoque automatiquement l’éveil du rêveur); donc, il glim d’abord d’un hôtel entièrement en cuivre (le Brass Hotel), puis d’une vieille femme habillée de noir qui se prend pour un chat (un vieux rêve à lui), mais pas moyen de trouver Amaryllis dans ces songes-là.

C’est Amaryllis qui reprend contact avec lui, bien entendu, en lui proposant qu’ils s’endorment en même temps — le moyen: que Peter regarde un ruban de Moebius avant de ‘s’endormir. Peter éprouve une sensation de large, puis de long, et glisse dans le glim d’Amaryllis. Il s ‘agit encore du bus, pourtant, et tous deux y montent ensemble — suivis par un étudiant de Peter, qu’il fait chuter afin d’être tranquille (dans ce rêve Amaryllis n’a pas de culotte!). Ils montent l’escalier du bus, le montent encore, apparemment sans fin, lorsque le bus commence à ralentir. Redescendant vite, Peter et Amaryllis constatent que cet arrêt est au Brass Hotel. Ils y feront l’amour, avant que Peter ne se réveille.

Au récit un peu étrange de cette relation à travers rêves, Peter (qui est le narrateur et l’écrivain de ce roman/journal), s’ajoutent des bribes de souvenirs récents de Peter: il sort d’une histoire d’amour déjà bien compliquées, avec une petite goth prénommée Lenore. Déjà une jeune femme tourmentée, ayant du mal à être heureuse. Lenore était étudiante en art, à l’école où peter donne quelques cours. Tout comme l’étudiant qu’il a poussé dans l’esacleir du bus — et qui le lendemain, dans la réalité, s’amène couvert de pansements! Les glims influencent-ils le « unglim »? Amaryllis avoue que oui, et elle connaît effectivement plusieurs des étudiants de Peter, ayant été inscrite dans cette école un peu avant que le jeune peintre vienne y enseigner.

Rêves, souvenirs, coïncidences se poursuivent… Amaryllis demande à Peter de faire un glim — dont le décor s’avère en fait trait pour trait le tableau « gas » d’Edward Hopper. Une sorte d’Amérique fantasmée, qui dans leur glim se poursuit au-delà de la station d’essence vers un motel miteux (rêve de Peter, apparemment?) et une boutique de souvenirs (curieusement présente dans leurs deux souvenirs)… D’autres motifs tissent ces basculements entre rêve et réalité, en particulier la culture picturale de Peter, et une certaine fascination pour les structures qui se réitèrent elles-mêmes: labyrinthe végétal, bouteilles de Klein…

De tous les romans d’Hoban que j’ai lu, celui-ci, le plus récent je crois, est assurément le plus lumineux: on y retrouve le style limpide et l’humour tordu de l’auteur, mais avec une légèreté inaccoutumée chez cet écrivain d’ordinaire plutôt sombre, et qui préfère en général des fins plus ou moins dramatiques. Cette fois apaisé, semble-t-il, il offre un court roman absolument fascinant par son étrangeté (encore que l’essayiste Harry Morgan parlerait sans doute plutôt de « roman subliminal »), d’un merveilleux onirique traversé d’images tour à tour sombres ou lumineuses, de références cultivées (les peintres surtout — Amaryllis traite d’ailleurs, à juste titre, Peter de « culture snob ») et de petites touches ironiques. A la fois très visuel (avec trois ou quatre dessins, d’ailleurs) mais aussi très sonore (pour Peter les rails du métro crient « wheats-yew wheats-yew! », par exemple), très urbain (Londres!), d’une belle tension dramatique, un roman qui m’a infiniment séduit.

Russell Hoban demeure pour moi une sorte de mystère: jamais publié en collections spécialisées, toujours auteur de fantasy (à l’exception de Riddley Walker, son roman de SF de 1980 que la critique américaine Elizabeth Hand déclarait encore « one of the greatest works of science-fiction of the past century » dans le numéro de juin dernier de F&SF), il est comme une sorte de Jonathan Carroll qui serait obstinément ignoré par la critique SF/fantasy — mais qui trace sa route en toute originalité, en totale intégrité.

#438

Cela peut sembler dérisoire, mais le fait est que je viens d’écrire pour la première fois de ma vie un article à propos d’un peintre — et que j’en conçois un certain bonheur. Tant il est vrai que ma dernière passion en date (depuis deux ans? Quelque chose comme cela) concerne l’art en général & la peinture en particulier (la majeure partie de mon budget « livres » étant allé durant cette période à la constitution d’une belle bibliothèque d’art).

J’avais déjà approché les arts graphiques dans le cadre de mes « Petits maîtres de la fantasy » (dans la revue Faeries), en rédigeant des essais sur Tove Jansson, Marten Toonder ou Ernest Shepard, mais chacun de ces artistes était également (plus ou moins selon les cas) écrivain, ce qui validait sa présence dans cette rubrique. Pourtant, me démangeait de plus en plus l’envie de me lancer dans des articles sur de purs illustrateurs. Et à lire des papiers sur les peintres, par exemple dans les magazines L’Oeil & Connaissance des Arts qu’Olivier achète chaque mois, l’envie me tenaillait également d’approcher la peinture comme sujet — la question demeurant: comment relier ces envies à mon sujet, la fantasy (la littérature du merveilleux)? C’est en voyant dans un récent catalogue d’exposition (Russes, du Musée de Montmartre) des reproductions d’Ivan Bilibine que je me suis décidé. Bien entendu: voilà un artiste trop peu connu (peu publié dans les pays anglo-saxons il se trouve donc toujours oublié par les commentateurs de la fantasy, qui sont généralement anglais ou américains), mais cependant en plein dans la thématique du merveilleux.

Et de rédiger un article sur Bilibine. Un joli défi (peu de renseignements disponibles) & un vrai petit plaisir d’écriture. La nette impression d’ainsi établir un pont (personnel) entre deux de mes domaines de prédilections: la fantasy et la peinture.

Et puis peinture toujours: je suis retourné faire un tour au Musée des Beaux-arts. Me suis de nouveau extasié devant cette fenêtre de Vuillard (lumineuse & quasiment inachevée); devant les deux Marquet (ces gris translucides & ces cieux brouillés, étonnante impression de lumière nordique); et devant les nombreux Dufy (dont je goûte de plus en plus le trait vibrionnant & les couleurs décalées). Découvert, aussi, les portraits d’Eugène Carrière — obscurs & comme emplis de spectres.

Une heure tout au plus, mais quelle heure: une plongée dans la beauté. En ressortant je vibrais, plein d’une sorte de bonheur pulsant, douillètement. Et me retournant vers la façade majestueuse du musée (dont le rythme régulier domine la place des Terreaux bien plus que le castel étroit de l’hôtel de ville), j’eus la vision de ce que Dufy en aurait fait: voir la réalité à travers le style, la palette, le trait d’un peintre ou d’un illustrateur, c’est là un exercice de ludique observation/subjectivisation du réel qui souvent m’enchante.