#460

Noté le lundi 8 septembre 2003

L’idée étant de faire découvrir quelques aspects de « mon » Londres à Mireille & Gianji, ce séjour fait la part belle aux retours sur des cheminements connus… Ainsi ce matin, la balade depuis l’hôtel en passant à travers le quartier de Finsbury (Percy Circus, où résida Lénine) — Clerckenwell Green (lieu de réunion des « gauchistes » de ce quartier d’artisans de précision, autrefois) — St John’s (rare tranche de médiéval en cette ville victorienne) — le marché de Smithfield — l’hôpital St Bart…

En vertu d’un principe typique de la civilisation automobile, les rues purement piétonnes n’apparaissent pas (ou peu: un vague pointillé généralement indiscernable) sur les plans de ville… Ce qui est d’autant plus fâcheux en ce qui concerne Clerckenwell, quartier passablement labyrinthique où je me perd régulièrement.

Des travaux partout: gravas, excavation, démolitions, échafaudages, couturent le visage de Londres. St Paul elle-même disparaît sous un immense voile blanc. Déception au Tate Modern: le Turbine Hall est… fermé pour travaux! Quelle horreur! Et nouveau choc un peu plus loin: le Golden Hinde, le petit clipper usuellement accosté près de la cathédrale de Southwark, n’est plus là!

Déjeuner au Dean Swift’s, un petit pub que j’aime bien, à l’arrière du quartier de Butler’s Wharf. Rien de tel qu’un pub, précisément, pour vivre l’Angleterre typique jusqu’au point du cliché: une « fisherman’s pie » au son des Waterboys.

Le choc du séjour: une tour colossale a poussé en plein coeur de la ville! Et même mieux: en plein coeur de la City. Une sorte d’oeuf étiré, démesurément haut, large, vaste, qui me semble flotter au sein du « skyline » londonien comme un mirage, une illusion persistante. En si peu de temps? Alors que ce bâtiment était encore fortement controversé il y a peu? L’apercevant soudain en traversant le Millenium Bridge je crois un instant divaguer: je ne l’avais vu que sous forme de montages photo. Gianji & moi décidons qu’il faut absolument que nous parvenions à en atteindre le pied. Ce qui sera fait après quelques hésitations dans la City — et surprise supplémentaire: de près, le géant n’apparaît plus si grand, sa surface au sol n’est même spécialement impressionnante. Sa forme, si, tout de même: oublié le scandale novateur de l’immeuble de la Lloyds, désormais bien pâlichon aux côtés de cet étrange ovoïde, une sorte de vaisseau spatial « fifties » qui se serait posé à l’angle de St.Mary Axe & Bury Street. Swiss Re Project est son nom. Et par quel effet d’optique un tel building parvient-il à sembler toujours plus immense à mesure que l’on s’en éloigne? Certainement une propriété de ses rayures en torsade. Qu’importe: le choc.

#459

From SwissRe to Christchurch

Dimanche 7 septembre 2003

La sentence tombe des hauts-parleurs alors que nous attendons déjà dans cet aquarium qui sert de salle de transit à la gare de Lille-Europe: la circulation vers Londres a été interrompue. Angoisse & irritation se le disputent en moi — oh certes Lille est une très belle ville que j’aurais plaisir à visiter de nouveau, mais il ne s’agissait pas du but de ce voyage.

Un voyage débuté le matin-même depuis Lyon, en compagnie des Aixois Mireille & Gianji, devant nous conduire d’abord à Londres puis à Oxford. Enfin, l’attente ne sera cependant pas bien grande & l’Eurostar se décide enfin à démarrer. Quarante minutes de retard, tout de même, à l’arrivée — l’attente initiale ayant été encore aggravée de l’autre côté par un arrêt à Ashford puis une marche au pas tout du long. Je croyais pourtant avoir entendu nos chers journalistes, toujours si bien informés, annoncer qu’une portion à grande vitesse se trouvait en utilisation du côté anglais. Rien du tout, oui.

L’approche de Londres, enfin, dissipe mon humeur grognonne. La simple vue de ces étendues de rails, de briques sales & de buildings disparates suffit à lever les nuages de mon tempérament. Et quatre grandes cheminées blanches émergent au-dessus du chaos urbain, Battersea!

Métro, hôtel, puis en route pour Camden. Trop tard hélas: le marché ferme ses portes. Mais qu’à cela ne tienne, je voulais également faire découvrir le chemin du Regent’s Canal à mes compagnons, nous l’entamons donc. Toujours renouvelé, narré de nombreuses fois déjà, un cheminement à fleur d’eau dont je ne saurais me lasser. Les budleias balancent leurs lourdes têtes parfumées, les canards glissent en ridant à peine la surface verte, un train passe dans un grondement métallique. Le clapotis des larges dalles disjointes, le désordre des herbes folles, le bruissement des chutes d’eau aux écluses. Des jeunes gens profitent de leur fin de journée sur la berge, à fumer des herbes tout juste légalisées dans ce pays. Un changement: un pan de mur anonyme a fait place à une belle façade de planches blondes & d’acier brossé, apparemment une salle de gym.

Quelque peu talonnés par la faim, nous décidons de bifurquer à la hauteur du parc. Splendeur des verts & des ors de Regent’s Park sous les rayons déclinants du soleil. Deux autruches nous accompagnent un instant, au bord du Broad Walk. Nous épions une sorte de renard géant (quel animal exotique est-ce là?), benoîtement endormi contre la clôture, une patte dorée protégeant son museau, ses flancs roux se soulevant & s’abaissant en toute quiétude.

À l’horizon du parc, le haut des façades resplendit, crème lumineuse sur fond de ciel gris. Au-dessous de nous, la voûte céleste s’ouvre sur du bleu pâle, blanc tendre, rose délicat… Les pelouses immenses, le vaste dos du parc, semble avoir tout autant souffert de la canicule que les paysages français. Étendues de paille blonde, étonnantes sous ces cieux londoniens lourds de pluie. Les grands arbres n’en ont pas moins gardé toute leur dignité & dans le Mary’s Garden toutes les roses nous accueillent, rivalisant de teintes subtiles ou profondes, en tapis de fleurs lourdes & parfumées. J’en hume quelques-unes au passage, ému & réjoui.

À peine circonspect, un renard se tient à l’orée d’un bosquet, il surveille les humains qui batifolent encore nombreux sur les pelouses & allées alentours. Un autre goupil, sans vergogne, traverse d’un pas assuré, petite forme d’un roux sombre fendant cette foule britannique & familiale d’une tombée de jour dominical.

Touristes jusqu’au bout, nous osons sombrer dans le cliché: un fish-and-chips dans un pub (« The Globe ») sur Baker Street. Sinead O’Connor chante sous le plafond aux motifs pourpres pseudo-mauresques.