Dire que j’entretiens une faiblesse coupable pour les romans policiers des années 30 serait un euphémisme. J’aime les « cosy » anglais, bien entendu — Agatha Christie et tous ses contemporains. Mais également les Américains, que j’ai découvert étant ado à travers l’oeuvre de Rex Stout. Cependant, ce qui est formidable c’est que, en dépit de lectures sporadiques tout au long de ces années, il me reste toujours quantité d’auteurs à découvrir et une bonne partie des oeuvres de chacun — il faut dire que, littérature populaire oblige, ces écrivains étaient assez prolifiques, bien entendu. C’est ainsi que, de manière assez surprenante, je ne me suis pas encore plongé chez Ellery Queen non plus que chez Dickson Carr. Il est vrai que chez ce dernier c’est l’aspect un peu fantastique qui m’a toujours rebuté — aussi étrange que cela puisse paraître, l’amateur que je suis de merveilleux et de science-fiction ne goûte guère le fantastique, littérature du sombre, de l’effroi vain et de l’intrusion négative.
Une autre de mes passions littéraires, sur laquelle je n’ai encore pas eu l’occasion d’écrire, va a l’école d’Auden: ces jeunes gens anglais, issus d’Oxford, qui défièrent l’establishment à partir des années 30 — Christopher Isherwood, de loin mon favori, mais aussi Edward Upward, Stephen Spender, les poètes W.H. Auden et Cecil Day Lewis… De Bright Young Men en révolte contre leur société, à l’époque où leurs ainés Evelyn Waugh et E.M. Foster font également scandale, où émergent les artistes post-impressionnistes de Bloomsbury, où Herbert Listz photographie de beaux jeunes gens nus, où Klaus Mann cherche à échapper à l’ombre du père, où l’homosexualité est au devant de la scène intellectuelle mais n’a toujours pas droit de cité, où le monde oscille entre communisme et totalitarismes…
C’est donc avec grand plaisir que je viens de découvrir que l’un des acteurs de cette mouvance fut également romancier de polar — mais sous pseudonyme, bien entendu. Nicholas Blake, auteur d’une vingtaine de polars, n’était autre que Cecil Day Lewis. J’ai vérifié: les études que je possède sur le groupe d’Auden passent absolument sous silence cette activité certainement trop « commune » pour celui qui fut Poète Lauréat en 1968. Mais qu’importe ce snobisme: je viens de lire Fin de chapitre, censé être l’un de ses meilleurs romans de la série des enquêtes de Nigel Strangeways, un polar de 1957 que j’ai trouvé dans une jolie édition française de 1960, et — c’est brillant! Raffiné, cultivé, psychologiquement intéressant, stylistiquement soigné, et avec ça une « petite machine logique » parfaitement mise en place. J’ai hâte de lire d’autres Nicholas Blake, ma foi.