#1886

En cette page, je parle surtout de livres — et même, surtout de romans, n’évoquant qu’assez peu le nombre d’essais que je peux lire ou consulter, et ne parlant que rarement de bédé, alors que j’en dévore énormément. Je n’évoque aussi qu’occasionnellement mes goûts musicaux, en dépit du fait que l’écoute de musique représente une facette fort importante de mon existence. Pour oser une comparaison un rien dérisoire, la musique pour moi, c’est comme le thé: pour mon équilibre physiologique comme intellectuel, je ne saurai m’en passer longtemps. Et bien souvent, d’ailleurs, thé et musique se rejoignent chez moi dans une identique provenance culturelle. Car c’est bien entendu la musique anglaise qui retient le plus mon attention, à commencer par la sphère du progressive rock.

Lorsque j’ai véritablement découvert l’univers musical, c’est-à-dire en 1979 alors que je débutais le lycée, ce sont tout de suite les groupes de « progressif » qui m’ont attiré. Il faut dire que Supertramp se trouvait à son apogée, et que le Pink Floyd venait de sortir The Wall. Vous me direz, en 1979 le prog était déjà mort et enterré — mais je ne le savais pas, on ne m’en a rien dit. D’ailleurs, la fiction spéculative aussi, venait de mourir, et c’est pourtant vers elle que je tournais mes appétits littéraires. Mais revenons à la musique: à la médiathèque, je me mis à vouloir aller au-delà de ces quelques succès un peu trop lisses, trop édulcorés, pour trouver ce qui se trouvait à leur origine. Mon premier Genesis fut Wind and Wuthering — encore une prod un peu tardive et aseptisée par rapport à l’âge d’or du genre, mais je m’en approchais. Colosseum me sembla trop vieillot, Soft Machine trop incompréhensiblement jazzy pour mes jeunes goûts, mais je plongeais rapidement dans Yes, Genesis, Caravan et quelques autres… Peu années plus tard, Michel Pagel me faisait écouter « Grendel » de Marillion (oooh c’est comme du Genesis), Bruno Bordier me faisait découvrir Camel et Renaissance, un revival se produisait en Angleterre sur lequel j’écrivis (en anglais) mon premier bouquin, je vis Geoff Mann et IQ au Marquee à Londres, etc.

Bref: sur le millier de CD qui s’élève en rangs serrés à l’entrée de mon salon aujourd’hui, la majeure partie sans doute entretient des accointances avec le prog. Alors jugez de mon plaisir — et de mon intérêt aiguë — lorsque le « monsieur prog » français, l’archiviste et mémoire vivante du Canterbury en particulier, monsieur Aymeric Leroy, sort enfin sa Bible tant attendue… Rock progressif vient de paraître chez le très recommandable éditeur marseillais Le Mot et le reste, et je le dévore en ce moment-même. Maquette sobre et élégante, l’ouvrage est beau. Et le propos me sidère tout autant par sa tranquille érudition (non seulement cet homme sait-il tout, mais il glisse régulièrement des détails aussi pointus, apparemment anecdotiques, que très éclairants) que par son équilibre: entre historicité et jugement critique, faits et recul, Leroy ne donne non seulement pas dans la « pensée unique » habituelle du rock, bien entendu (ces fichus lieux communs réducteurs et faussement rebelles inventés avec le punk), mais pas non plus dans une vision geek du genre. Rien d’étroit dans cette histoire du rock progressif, et un sens de la phrase, une fluidité de l’écriture idéale pour un tel essai. Remarquable. J’en ai déjà lu plus de la moitié, et cet ouvrage sans aucun autre équivalent me semble une réussite quasi parfaite (et encore, je n’ajoute le « quasi » que pour éviter que l’on m’accuse d’exagérer, et parce que l’index aurait pu être plus complet).