Un changement de cadence dans mes lectures: je suis brièvement passé des comic books aux mangas… et pas n’importe lesquels, pas du shonen pour ados, mais quelques beaux Taniguchi et le premier volume d’Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi. Ce dernier est publié par une maison que j’aime et admire beaucoup, Cornélius. Et ils se sont surpassés, en livrant un véritable hardcover de toute beauté, avec double marque-page en tissu (j’aime bien le petit mot de l’éditeur sur ce « zinzin » coûteux), belle toile de couverture, embossages, la totale. Quant au contenu de ce pavé c’est, dans un graphisme de manga ancien, très simple, l’autobiographie d’un mangaka qui révolutionna son domaine dans les années 1950-60 en inventant le manga adulte.
Il y a dans cette vie quotidienne japonaise d’autrefois un côté véritablement étranger, bien plus qu’un simple exotisme mais l’expérience de la différence, d’une culture extraordinairement complexe et si dissemblable de la nôtre. Je n’ai pas évoqué ici les drames qui frappent le Japon, ça me tort l’estomac, mais — ce n’est guère original — la culture nippone a exercé sur moi une admiration grandissante au fil des années. C’est aussi pour cette raison que je me suis replongé dans quelques Jirô Taniguchi, auteur que les journalistes français aiment à saluer comme le plus européen des mangaka – mais passé un superficiel cousinage avec certaines approches stylistiques de Moebius, c’est tout le temps cette culture fondamentalement différente que révèle Taniguchi. Je viens de lire Les Années douces et Le Gourmet solitaire, autant d’expériences tout aussi troublantes que de lire, par exemple, un roman ou une nouvelle d’Haruki Murakami. Rythme lent et goût de la contemplation, errances dans les rues, gourmandise pour un art culinaire d’une variété stupéfiante, destins d’individus fondamentalement solitaires — quelle force, quelle grâce, quelle beauté, chaque fois je me retrouve subjugué.