#2036

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (2)

« Enquêtes biologiques », proclame un panneau en grandes lettres. Qu’est-ce donc ? L’image me vient, un peu inquiétante, d’un mélange de polar et de science-fiction hi-tech.

Dîner en (proche) banlieue, vilaines barres jaunes sur une hauteur d’Ivry, l’intérieur est coquet, et depuis les fenêtres la nuit se quadrille d’un dense tissu d’étincelles, de lueurs, de carrés lumineux en cohortes serrées, d’éraflures fluo en tout sens. Comme souvent, je voudrais prendre une photo. Je me contente d’une impression visuelle, d’un souvenir.

Dans le poumon d’un extraterrestre. Ou en tout cas, au sein des lobes d’un organe de cet être démesuré, dont les dimensions nous dépassent complètement. La pression intérieure, les lignes de fuite, les distances que l’on ne saurait juger, tout concoure à un vertige tout d’abord un peu oppressant puis rapidement enivrant, on titube légèrement, on s’assoit, les sens déroutés. « Monumenta 2011 » d’Anish Kapoor. Je pensais qu’il s’agirait de l’exposition de certaines de ses pièces immenses, je pensais peut-être revoir la trompette géante ou les boules lisses que j’avais vu dans le temps à la Tate Modern. Non point, petit homme : welcome to another experience. Oui, expérience est le mot : pas un expo mais quelque chose qui se vit. De l’intérieur d’abord, en pénétrant dans l’espace sous pression de cet objet qui nous rend lilliputiens, puis de l’extérieur, en faisant le tour, un peu sonné, de ses rondeurs lisses massivement installées sous les verrières du Grand Palais.

Même journée, après une longue-lente marche depuis les Invalides jusqu’au 13ème arrondissement, expo Gallimard à la BNF. Trop coûteuse pour juste deux pièces de petits papiers et de petites photos ; trop hâtivement préparée, sans doute, si l’on en juge par les fautes de frappe et d’orthographe (dont la première dès le premier paragraphe du texte d’ouverture sur le premier mur) ; touchante et fascinante pourtant, comme témoignages de la grande histoire de cette superlative maison (ils mettent un M majuscule à ce mot). Des lettres d’auteurs, en quantité, des fiches de lecture, des cartes postales, et tous ces noms, incroyable comme Gallimard a su réunir quasiment tout ceux qui comptaient, comptent encore, en littérature française. Le lendemain, ayant RDV à la NRF avec mon camarade Pascal pour déjeuner, j’ai l’occasion de serrer la main d’un petit monsieur au visage rond et doux, à la tignasse grise, que l’on me présente simplement comme Antoine. J’espère avoir fait bonne figure, bien qu’un peu ébahi. Au-delà du perron mythique, la rue Sébastien-Bottin va en juin devenir rue Gaston-Gallimard. Cela ne me semble que justice.

#2035

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (1)

Partant de chez lui pour l’appart qu’il me prête, Jean-Paul s’exclame soudain « C’est pas vrai, je suis poursuivi : on vient de croiser Riri, Fifi et Loulou ! ». Viennent effectivement de passer trois ados identiques, certainement des triplés. Jean-Paul traduisant en ce moment l’appareil critique qui accompagnera le quatrième volume de l’intégrale Carl Barks chez Glénat (version française d’une édition italienne), ces trois petits gars bruns à la coupe Jeanne d’Arc indiquent peut-être que j’ai pénétré dans une autre forme de réalité, celle d’un espace de vacances, d’imaginaire en roue libre ?

Essayer, par la marche, de goûter au quotidien parisien, parcourir l’ordinaire à pas léger. On dit pourtant que le Parisien est pressé ? Ce que révèle autour de moi le grand beau temps contredit cette image d’une « quotidienneté affairée » : il ne s’agit pas du rythme parisien du professionnel à cravate mais de celui des jeunes mères de famille surveillant leur marmaille grouillante, du gratteux de guitare assis sur une marche, du beur réparant sa mob sous le regard goguenard d’un grand noir, du trio de mémères commentant l’actualité depuis son banc habituel de Richard-Lenoir. Mon ami le Boy Wonder me fait traverser le cimetière du Père-Lachaise et l’on n’y voit que des flâneurs, puis nous allons papoter assez longuement dans le confort des fauteuils d’un resto branché, tandis que ce n’est alentour qu’autres causeries d’un long après-midi tranquille. Plus tard, j’irai marcher le long du canal, d’abord St-Martin mais surtout celui de l’Ourcq, histoire de découvrir les nouveaux aménagements. De larges perspectives s’ouvrent au ras de l’eau, un Paris presque maritime lorsqu’un coude élargi l’horizon, le ciel semble plus haut et quelques nuages, camouflant un instant le soleil trop chaud, estompent les couleurs pour leur donner des reflets du Nord.

#2033

C’est fou ce que le quartier est redevenu délicieusement silencieux, maintenant que le promoteur de l’immeuble d’à côté a déposé le bilan et que les travaux des maisons adjacentes n’avancent plus qu’au ralenti… Je suis cependant mal à l’aise, fidgety, a bit depressed, a bit nauseous. Je pars me promener quelques jours à Paris, me dégourdir les jambes et de m’éclaircir la tête.

D’aucuns disent que le problème des voyages, c’est qu’on s’emporte avec soi — cela ne me pose vraiment aucun problème, sachant d’expérience que voyager me permet automatiquement de me changer les idées, de me donner de la distance et du repos. On s’emporte avec soi pour mieux se retrouver, si j’ose dire. C’est donc dans les rues agitées de Paris que je vais chercher l’apaisement — chacun son truc. Avec en prime plusieurs rendez-vous amicaux et deux rendez-vous pro (quand même). L’ami Jennequin me prête un appart, je ne sais si j’aurais accès à de la wifi pour pouvoir bloguer, mais quoi qu’il en soi j’espère rédiger tout de même quelques ruminations psychogéographiques. J’en avais en tête plusieurs sur mes trois jours de marche urbaine dans Bruxelles, mais le chagrin de mon retour les a effacé. That’s life.

#2032

I’m in the mood for a lot of Philip Glass and Steve Reich, these days. And as for the reading matter, I’m all over the place. J’ai déjà dit ici, de nombreuses fois, tout le bien que je pense de l’oeuvre de David de Thuin, notamment à l’époque où il publiait sa série Le Roi des bourdons. Ces derniers temps, il se consacre à sa propre veine d’autobiographie, et il vient de sortir Interne 2. Il y a dans la feinte simplicité de son dessin, dans la fragilité apparente de son trait, quelque chose qui me touche énormément; et dans le subtil humour avec lequel il met en scène des instants de sa vie de famille, une très belle justesse. Une autre bédé a m’avoir captivé ces derniers jours, c’est Asterios Polyp de Mazzucchelli. Un graphic novel sur la vie d’un architecte, traité en ligne claire, il y avait assez peu de chance que cela ne me séduise pas — je suis légèrement médusé, en revanche, qu’une oeuvre a priori si peu accessible, si peu évidente, rencontre un tel succès. Ce qui fait bien la preuve de la complète réussite artistique de ce projet, si limpide, si profond.

Pour ce qui est du « plein texte », ayant lu le dernier Jasper Fforde (One of Our Thursdays is Missing), je suis passé au deuxième Mark Hodder, du très amusant steampunk (The Curious Case of the Clockwork Man). Les enquêtes de Burton et Swinburne sont folles et échevelées, dans cette uchronie non plus victorienne mais… albertienne. Depuis Tim Powers et James Blaylock jusqu’à maintenant George Mann et Mark Haddon, il y a une jolie filiation littéraire, l’établissement d’une tradition du roman steampunk. Et puis, ayant lu Rêves de Gloire de Roland C. Wagner, il m’a semblé logique d’enfin me plonger dans la lecture de la bio d’Albert Camus par Olivier Todd — j’avais acheté ce pavé massif il y a déjà un bon moment, mais Mauméjean m’avait convaincu alors de lire une bio de Winston Churchill. Je vais donc cette fois à la rencontre de la vie de Camus et c’est fascinant, bien entendu. Cependant que j’ai lu un mince ouvrage psychogéographique sur Heathrow: A Week At the Airport d’Alain de Botton, rapport trop sage mais au regard néanmoins pénétrant sur son séjour d’une semaine au terminal 5 du grand aéroport britannique. Enfin, je me régale des Rivers of London de Ben Aaronovitch, écrivain issu du giron Doctor Who qui débute là une série de polars urbano-fantasy, dans une veine similaire à ceux de Mike Carey et de Kate Griffin. La magie, le polar, Londres, ses mythes, la légèreté d’un ton bien anglais, j’adore forcément, et il va me falloir commander le deuxième.