J’ai déjà dit ici combien je suis « accro » aux bédés. Et outre le flot des lectures distrayantes, de temps à autre il y a un ouvrage qui me bouleverse, me captive, me marque fortement. Bien souvent, il ne s’agit pas de bédés à grand spectacle, de trucs d’aventure ou de travaux intellos, mais de récits intimistes sur des gens ordinaires, des oeuvres comme sait en faire Rabaté, par exemple, ou Davodeau. Et il y a quelques temps, j’avais acheté un gros et grand pavé, Portugal de Cyril Pedrosa (collection « Aire libre »).
Je suis attiré de longue date par la « patte » de Pedrosa: dès ses débuts, Ring Circus, son dessin m’avait séduit. Je l’avais donc suivi ensuite sur Shaolin Moussaka et la Brigade fantôme, mais les récits en étaient gentiment couillonnoux, un peu infantiles, et dans le dernier cas les ellipses et la structure franchement médiocres. Autant dire que, pour être chaque fois attiré par le style de Pedrosa, ses choix de narration me décevaient systématiquement — sauf dans le petit mais très joli Trois ombres, une superbe fable. Et puis là, dès les premières images aperçues dans je ne sais quel support de promo, je m’étais dit « oh oh, c’est beau ». J’attendais donc Portugal, l’ai vite acheté… et ai un peu traîné pour le lire, débordé que j’étais. Cette période de speed étant passée, je me suis plongé entre ces pages.
Ma vue étant ce qu’elle est — c’est-à-dire, très mauvaise — et avec la vieillerie en plus, je n’aime plus lire des bédés à la lumière électrique. Les vibrations lumineuses de ces fichues nouvelles ampoules n’arrangent d’ailleurs rien, en général. Je ne lis donc des bédés que le matin, littéralement collé contre la fenêtre de la cuisine. Et parfois, cela ne suffit pas: certains dessins très touffus, ou certains types de mise en couleur, me donnent envie de mieux et plus plonger dans la page… Auquel cas, je retire mes lunettes (!) et scrute chaque case avec mon « bon » oeil, mon oeil gauche qui de près s’est mis à bien voir avec l’âge. Et Portugal est une oeuvre que j’ai ainsi scrutée de près, absolument captivé par la vivacité de ce trait, les jeux incroyables de la couleur, une approche esthétique qui m’a véritablement happé. Quant au récit, qu’en dire… Un copain m’a sorti l’autre jour que c’était le genre de bédé où il ne se passe rien, oué, c’est vrai, rien de plus que dans un film d’Assayas ou dans un roman de Modiano, ce « rien » si précieux qui est une émotion. Car ému j’ai été, remué et attendri, par la justesse du propos, la beauté de la narration. Apparemment l’auteur a mis deux ans à réaliser son ouvrage et celui-ci est en grande partie autobiographique, eh bien c’est réussi, une tranche de vie vibrante, infiniment touchante.