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Le déclin de l’empire américain: leur fiction populaire s’enfonce dans une complète médiocrité. Une majorité des séries TV américaines devient gentillette et inoffensive (essayez un peu de regarder Castle, Bones, Unforgottable, Grimm, Once Upon a Time ou la totalité des séries de chez Sy-Fy, par exemple: le sucre colle aux dents), quand ce n’est pas simplement facho (Blue Blood, NCIS…). Le tout avec une photo banale, des acteurs médiocres, des scénarios répétitifs, tout cela est complètement normé et calibré (j’ai d’ailleurs constaté avec tristesse que la norme HBO déteint sur les films indé genre Sundance). La comparaison avec les productions TV britannique est criante. De nos jours, même le téléfilm le moins inspiré de la BBC (exemple: Just Henry) a des acteurs épatants, une photo à tomber par terre, un degré de détail dans la reconstitution historique proprement sidérant, un formidable niveau de mise en scène et de dialogues. Et si jamais les Anglais essayent de s’approcher des normes américaines d’action — ils les dépassent, par la rudesse de leurs scénarios, les contextes socios, l’irrespect des tabous et des convenances (regardez Spooks et Hustle).

La comparaison la plus brutale, pour moi, c’est bien entendu celle à effectuer entre la série Sherlock — quasiment parfaite, d’une intelligence éblouissante — et les films « Sherlock Holmes » hollywoodiens. J’ai hélas vu le deuxième: je peux vous affirmer que c’est une merde redoutable, un film grotesque de violence et de vulgarité. Un pur film d’action hollywoodien, sans plus la moindre trace de Sherlock Holmes dedans. Le premier avait des trous de scénario et des coquetteries ridicules, mais demeurait malgré tous ses défauts assez amusant. Le deuxième n’est plus qu’un prétexte pour les explosions, poursuites et violences habituelles d’un cinéma qui ne vise qu’à l’abrutissement.

Quant au renouveau de la littérature populaire… Je m’en suis réjouis, et je continue à suivre plein de séries actuelles (dans les thématiques « littérature de l’imaginaire »)… mais j’ai récemment réalisé que, aux exceptions notables de Seanan McGuire et Gail Carriger, tous les autres auteurs que j’apprécie dans cette mouvance néo-pulp sont anglais, gallois, écossais, sud-africains, australiens… Tandis que les Américains, à part les deux formidables autrices citées plus haut, s’avèrent d’une platitude, d’une médiocrité, vraiment attristante — et j’en ai énormément lus, ces dernières années, croyez-moi. Mais je réalise que tous les mauvais étaient américains. Par exemple, Charles de Lint, qui n’est pas toujours très fin, affirmait récemment dans F&SF qu’il n’avait rien constaté d’un reproche souvent fait (dit-il) à la série « Black London » de Caitlin Kittredge (le premier, Street Magic, a été traduit je crois chez Eclipse). Pourtant je confirme: alors que c’est censé se dérouler à Londres, rien dans le décor, si peu brossé, n’évoque réellement la métropole anglaise, et les dialogues sont rédigés en dialecte américain, sans trace de langue anglaise typique. Ce roman de fantasy urbaine est si plat, si quelconque, que je ne suis pas parvenu à le finir. Pas parvenu non plus à lire en entier le premier Harry Connolly (série Twenty Palace ou Twenty Palaces, l’auteur ou son éditeur n’ont pas l’air de bien savoir). Des clichés, écriture médiocre, platitudes généralisées, pas de descriptions, pas d’ambiance… Eclipse devait publier ça (apparemment ils auraient fait faillite), en tout cas vous ne perdez rien. Alors que lorsque je lis George Mann (et encore ce n’est pas un grand styliste), Mark Hodder, Kate Griffin (un style renversant), Christopher Fowler, Trent Jamieson, Ben Aaronovitch, Mike Carey, Jasper Fforde… En bien, excusez, mais je m’éclate: voilà de la littérature populaire qui a de l’ambiance, du goût, du style, des idées, du punch, de la beauté.

À force de politiquement correct et de normalisations en tous sens, la culture populaire américaine perdrait-elle de sa force et de sa saveur? J’en ai un peu la crainte.