Paris encore (5)
La ville présente un matériau étonnament fluide, lorsqu’on y pense: telle enseigne ne sera plus là la fois prochaine, un pan de mur écroulé expose un papier-peint d’autrefois, un nuage de pollen s’accumule dans un angle comme un troupeau d’animaux duveteux, un cyber-café ferme, un bouquiniste ouvre. Combien de naissances derrière ces fenêtres,combien de décès aussi? Des existences complètes, des déménagements, de vieilles gens & de jeunes histoires d’amour, tout change, liquid city.
Transitoire, la ville (surtout lorsqu’elle est aussi grande) entasse, glisse, change. Descendant de Belleville jusqu’à Jussieu, je m’interroge tout de même sur les habitants: comment, dans une ville dont on nous dit toujours que les loyers sont colossaux, tout le petit peuple vit-il encore? Les Parisiens se privent-ils de manger afin de payer leur loyer? Les gens que je croise ne paraissent pourtant pas plus maigres qu’ailleurs. La pauvreté me semble même particulièrement présente, visible, étalée, dans notre capitale: de l’Afrique noire de Marcadet au village populaire de Belleville, toute une humanité humble vit là, et à Pigalle aussi, ou Ménilmontant: n’y a-t-il pas à Paris un bien plus grand nombre de ces immeubles miteux, de ces galetas qui n’ont pas été transformés depuis le début du XXe siècle (réclames peintes en faisant foi), de ces boutiques précaires (chaussures, fringues, tissus, étalages de fruits & racines étranges), de ces bistrots glauques, que de tous les magasins chics & avenues nobles?
Plus discrets, les pavés parisiens sont comme son petit peuple: partout. Rue Ordener ou rue de Bagnolet, au moindre bâillement du bitume les pavés réapparaissent, comme les dents d’un sourire moqueur, carnassier.