#434

Instant lucide du 21 juin

Tellement hybride qu’il ne devrait pas fonctionner: « Les Triplettes de Belleville ». Un film d’animation comme même Jacques Tati, influence numéro un, n’aurait sans doute pas osé le faire… Parce que outre la référence à Tati (acrobaties vélocipédiques, humour burlesque, gens de peu d’une France disparue, dialogues à peine parcellaires & généralement inaudibles), d’autres références encore se dévoilent à qui sait les voir, en strates étranges. En priorité: Dubout (dans les « figurants ») & Nicolas de Crécy (vieux complice du réalisateur Sylvain Chomet) — qui s’il n’a pas participé au film, semble pourtant partout présent! Tous les décors sont dans le style De Crécy, c’en est renversant.

Et puis toutes ces idées bizarres qui infusent le film, c’est dingue: les petites vieilles mangeuses de grenouilles, de Gaulle, Trenet & Joséphine Baker en « guest stars »… & surtout: ce fantasmatique New York nommé Belleville, où l’on semble au moins en partie parler français, avec ces Américains forcément obèses & sa maffia…. française, le pif piqué au gros rouge, sous le béret!

Plein de bonheurs visuels & tant de gags génialement idiots, le régal! Les gardes du corps bâtis comme des armoires à glace (littéralement). Les deux-chevaux limousines!

Ébloui, je fus. Titubant presque au sortir du cinéma, ivre que j’étais d’images, encore dans cet autre monde. Et le monde, le vrai, le nôtre, de répondre à mon exhatation amusée par sa propre féerie: du bleu, du bleu! Même l’air que je respire, enfin plus frais, me semble bleu.

Tout vibre & résonne & brille dans l’outre-marin, la ville ce soir se noie dans un embrasement saphir. Et les facades les plus banales en gagnent une nouvelle élégance, un mystère qui n’est pas le leur d’ordinaire — détails & lignes habituellement invisibles prennent les devants, lampadaires & fenêtres ourlent le bleu d’un éclat rose-jaune.

Et surtout les plus banales, je dirai même: sur le fond uniformément bleu sombre du ciel se découpent comme numériques, en tout cas chimériques, en une double brillance argentée, la tour du Crédit Suisse & la cheminée de l’usine de chauffage — d’habitude les éléments les moins notables du paysage urbain, pourtant transformés le temps d’une heure ou deux en monuments flamboyants. Léger, le pas rond & la tête distraite, je rentre chez moi par un VIe arrondissement transmué en festival bleu.

Puis la nuit s’imposant enfin, le cours Lafayette se vêt de vert — où je manque de devenir amateur de ping-pong, deux jeunes gens y disputant une partie torses nus. *vision adorable*

Le temps d’atteindre la place Ste Anne & le monde a retrouvé sa grisaille usuelle, au sein de cette cacophonie abominable que l’on nomme « défaite de la musique ». Chez moi, lumière rouge-orange, la voix d’Isa & une bonne odeur de tomate, « Le dîner est servi! ».

À nouveau chaud, tant de chaleur, mais toujours sous le charme.

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