Début de weblog. Je songeais qu’il serait bon que je conserve quelques notes sur chacune de mes (nombreuses) lectures, lorsque j’ai pensé que le faire sur la forme d’un blog serait sympa. En avant donc! Quant aux améliorations/enrichissements à apporter au « look » de ces pages, je trouverai bien à les réaliser petit à petit…
En attendant: archivage de divers textes/notes rédigées ces dernières années… Par ordre chronologique inverse, comme il se doit (?).
Dernier en date, le 27 juillet 2001:
Je termine à l’instant une lecture délicieuse: London Bridges de Jane Stevenson (chez Vintage).
Une sorte de mélange doux & excentrique de polar classique, d’ode à London et de roman « général » sur les coups de foudre (d’amitié et d’amour), les affinités, l’histoire de l’art, les milieux universitaires… J’ai a-do-ré!! J’ai eu du mal à le poser, cette nuit… C’est hyper-sympa, très astucieux, plein d’un amour de Londres avec lequel je ne peux que « vibrer », y’a quelques gays adorables, de l’érudition amusante… Ça m’a beaucoup rappelé un roman d’Elvire Murail, le méconnu La plume de perroquet. J’y ai retrouvé le même genre de galerie de personnages attachants, dont le talent de l’autrice nous donne aussitôt l’envie de mieux les connaître — alors qu’ils sont tout de même fort nombreux. L’attrait immodéré qu’ils ressentent (pour la plupart) envers Londres est en parfaite résonance avec ma propre obsession, le mot n’est pas trop fort, pour la capitale britannique. Étonnant: par moment j’avais presque l’impression que ce roman n’était écrit que pour moi, tant j’y trouvais mon compte. Le feeling de Jane Stevenson pour London est tout à fait le mien – ah, et se dire qu’il y a des gens amoureux comme moi de cette ville, mais qui en plus y habitent! Quel bonheur ce serait, pouvoir sortir dehors et errer au hasard de mon humeur dans ces rues que j’aime, plutôt que d’en rêver constamment et de ne pouvoir m’y rendre que deux ou trois fois par an, bien péniblement et au prix de moult serrages de ceinture…
L’intrigue de London Bridges coule calmement, dans des méandres au sein desquels je me suis parfois demandé si vraiment l’autrice allait se retrouver – mais oui! Tout est utile, rien au hasard – ou plutôt, au contraire, tout est du au hasard : ainsi que le disent les personnages à la fin du roman, sans les rencontres fortuites rien ne serait arrivé. Et n’est-ce pas ça, la vie? Loin de pousser trop loin l’art des coïncidences, Jane Stevenson en rend la trame très plausible. Il n’y a guère que la première scène (d’ailleurs étrangement hors-chronologie, sans que ce soit clairement indiqué) qui semble un peu tirée par les cheveux – c’est l’unique petite faiblesse de ce roman, ai-je trouvé. Pour le reste: une complète réussite.
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Noté le 18 juillet 2001
M’échappant quelques heures de la « convention de science-fiction » de St Denis (XXVIIIe du genre), je suis allé assister au mariage de Katia & Fabrice Colin (samedi 14). Qu’en dire? Ce fut un joli moment de bonheur – du côté de la sérénité et de l’émotion. Le parc du château de St Germain en Laye, verdure vibrante d’humidité, ciel gris, une petite église (temple) cachée au fond d’une courette, les pavés disjoints, de l’herbe folle, Katia blanche et radieuse nous pressant d’entrer dans l’église car la cérémonie va commencer; tout le monde est déjà là, assis sur les bancs. Sylvie Miller & moi-même nous asseyons vers le milieu de la salle, devant une mignonne brochette de jolies filles + Stéphane Marsan smart as usual. Un coucou de la main de David Calvo. Cadre dépouillé, hauts murs beiges et boiseries sombres. La cérémonie ressemblera aux écrits de Fabrice: hyper-romantique, exaltée, élégante. Avec la touche de sobriété protestante qui convient au bon goût. Et le sentiment religieux: Fabrice s’avère décidément un véritable préraphaélite, jusque dans sa vie. On chantera, un peu, on écoutera, beaucoup, de belles musiques – une cousine de Katia au violon, le pasteur au hautbois, deux chanteuses. Bach, Vivaldi, Purcell… Deux beaux garçons bruns papillonnent dans les allées, lourds appareils photo en main (les frères de Katia, devais-je apprendre un peu plus tard). Une belle et gracile jeune fille, les cheveux blonds tressés à l’ancienne, me remet encore à l’esprit l’art préraphaélite (la soeur de Fab, appris-je aussi). Katia et Fabrice sont devant l’autel, assis l’un à côté de l’autre. Échangent des voeux qui disent leur amour. Plusieurs fois les yeux me piqueront, durant toute cette cérémonie au charme étrange & désuet. Un grand bol d’émotion, et le vertige d’être une sorte de témoin (privilégié, estimè-je) de cet amour.
Au sortir du temple, gros bisous à Fabrice, encore tremblant, si beau dans son costume au col cassé, & à Katia, rayonnante. Bises à David Calvo (boudeur), amabilités avec Henri Loevenbruck que je n’ai pas reconnu tout de suite – il s’est rasé le crâne, ça lui va plutôt bien. Vague serrage de pinces avec Gaborit & Marsan, grosse bise avec Éric Boissau, première fois qu’on se rencontre de visu, re-serrage de pince avec Mireille whatever de l’Atalante et un certain Benoît (que je ne comprends qu’un peu plus tard être sans doute le Benoît Cousin de chez J’ai Lu) – un tout jeune homme blond aux yeux rieurs. Les nuages s’estompent, la brise est fraîche & agréable, l’air emplie de la senteur des plantes après la pluie. Séance de photos. Le papa de Fabrice est un bel homme grisonnant aux allures de gentleman anglais & l’air éternellement amusé d’un Claude Rich. Vin d’honneur, patati patata. Je repars, le coeur léger. André fleur bleue. Ils s’aiment et je les aime.
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Noté le 10 juin 2001
Ai lu A Red Heart of Memories de Nina Kiriki Hoffman (Ace Books). Ah mama mia, y’a bon! C’est un roman complètement inclassable et adorable, sur un improbable couple formé par hasard par une sorte de jeune shaman – un jeune homme qui dit suivre la voie de l’esprit, afin de faire le bien là où c’est nécessaire (lorsque l’on fait sa connaissance, il émerge du mur en brique d’un vieux cimetière, où il s’est fondu durant quelques mois afin d’aider ce mur à ne pas tomber en ruines) – et une jeune femme qui parle aux objets (qui lui répondent, bien entendu). Ces deux vagabonds hors normes doivent plonger dans leur propre passé, afin de se réconcilier avec ce qu’ils ont vécu autrefois. Première étape: Edmund doit retourner dans le village de son enfance pour y refaire connaissance de son vieux copain – un fantôme dans une maison hantée. Il devra ensuite se reconcilier avec ses « moi » passés – dont un garçon de feu – et tenter de retrouver la trace de ses autres amis d’enfance…
C’est… très étonnant, à la fois tendre et assez noir/tendu, plein de magie inorthodoxe… Et pour ne rien gâcher, à mes goûts de bibliophile, le livre lui-même est très beau: un moyen format presque carré, très souple, élégamment maquetté. C’est Thomas Day qui, connaissant mes goûts, me l’avait conseillé: bingo. Du coup et dans la foulée, j’ai également lu la suite – Past the Size of Dreaming. Une suite vraiment directe (il n’y a pas vraiment de rupture entre les deux tomes), et bien entendu toute aussi plaisante. Enchantement du territoire américain contemporain, beauté du quotidien, personnages tendres et attachants. Pour oser une comparaison, on croirait lire du Barbara Kingsolver – la magie en plus!
Dans le même temps, ai continué à lire avec plaisir Le Livre des chevaliers d’Yves Meynard (chez Alire, un éditeur québécois). Qui est une jolie fable, genre conte de fée revisité avec un peu d’humour tendre et des motifs modernes. Peut-être un peu trop classique pour mes goûts, but nice anyway.
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Noté le 27 avril 2001
Ai terminé la lecture de Wonderful, le deuxième roman de David Calvo (éditions Bragelonne). Le cher ange est définitivement frappadingue – mais quel talent. Ce n’est pas un bouquin facile – vraiment pas. Et c’est un compliment!
Wonderful est une oeuvre qu’il faut un petit peu mériter, car rien n’est donné d’emblée au lecteur. Et c’est tant mieux. J’en ai un peu marre, parfois, de cette sorte de « dictature du suspense », qui semble quasi-obligatoire dans les littératures de l’imaginaires – héritières de la littérature populaire… Mais non, un livre peut se faire désirer, par exemple. Wonderful n’est pas pour autant un livre cultivant l’art de la digression (et c’est un des superbes paradoxes de ce roman): les informations y sont denses, les scènes nettement plus axées sur les images (David est décidément très fort pour nous projeter de belles images dans la tête) que sur la description – c’est un art de l’allusion lumineuse, en quelque sorte. Question atmosphère, on oscille entre rire et larme, dans une fièvre communicative. Étonnant comme nos jeunes auteurs français peuvent être fascinés par Londres: pensons à une bonne partie des romans de Fabrice Colin, ou au très agréable Les Sources du Nil de Francis Valéry (également lu il y a peu; aux éditions de l’Agly). David s’est lui aussi laisser prendre au piège de la mégapole britannique – et le portrait qu’il en évoque, au bord d’une apocalypse étrangement douce, sous la menace d’une Lune brisée et du complot des étoiles, est saisissant. Je ne suis pas certain que tout les lecteurs saisissent toutes les allusions au Londres victorien, mais qu’importe, pour moi ça a fait une très grande part du charme weirdo de ce roman. Ah, et l’intrigue concernant un marathon de danse! J’y ai retrouvé la fascination un rien morbide que j’avais éprouvé pour le film On achève bien les chevaux – un gros choc, pour moi. Bon, bref, lisez-le. C’est une bombe émotionnelle et esthétique – à vous de la mériter.
Lu aussi The Pickup Artist de Terry Bisson, son plus récent roman – juveniles exceptés (chez Tor Books). Bisson y revient au style de la road story sur lequel il avait déjà fait merveille avec Homme qui Parle (traduit chez Bifrost/Étoiles Vives). Et il maitrise de mieux en mieux ses outils narratifs – ainsi que sa folie douce! Cette fois, l’ambiance, le décor, sont vaguement plus SF que fantasy. Mais qu’importe les étiquettes, ce qui compte c’est la petite musique, le mélange de cool et de speed de cette fuite barje à travers les USA… Y’a un agent gouvernemental chargé de détruire les œuvres artistiques (car le monde est encombré par les oeuvres du passé: la nouvelle idéologie instaurée aux USA veut que l’on fasse table rase afin de faire la place de nouveau à la création! – parallèle doux-amer perpétuel dans ce roman entre les mots création & crémation) ; 77 clones d’amérindiens prénommés Bob ; un Bob mort dont le cadavre se trimballe à l’arrière de la camionnette, et se réveille parfois pour se plaindre de la triste condition de décédé ; une chienne entre vie et mort qui parle – un peu; des casinos abandonnés ; le milliardaire Monsieur Bill et son plan pour assainir le marché de l’art ; des complots et contre-complots entre Alexandriens – Alexandriens du Feu, prônant la crémation des anciennes créations, et Alexandriens de la Bibliothèque, tentant de sauver les oeuvres déclassées ; des autoroutes ; une montagne (littéralement) de déchets au-dessus de New York ; des drogues étrangesTM ; un vieux disque vinyl d’Hank Williams ; etc etc.
Bisson est bien taré, lui aussi. Et il maîtrise totalement le flou entre ironie et tendresse. Savoureux!
Last but not least, j’ai aussi terminé de lire il n’y a pas longtemps un autre chouette bouquin – un vieux classique récemment réédité en Angleterre. Lud-in-the-Mist par Hope Mirrlees (Millennium, coll. Fantasy Masterworks). Un roman « oublié » de la tradition de la fantasy britannique, datant de 1926. Et encore un régal…
Située au coeur du Dorimare, la petite ville de Lud est une cité prospère, une capitale tranquille dirigée par les marchands et les bourgeois, implantée au confluent de deux rivières: la Dawl, sans histoire, et la Dapple, dont les sources ne sont généralement pas citées par les habitants de Lud… Car pour être un petit pays paisible, le Dorimare a un passé tumultueux: situé aux frontières de notre monde et de la Faerie, le Dorimare connaissait autrefois de nombreux échanges entre les deux univers — ou plutôt, les habitants de la Faerie venaient souvent se promener en Dorimare. Sous le règne du terrible Duc Aubrey, une chape de tyrannie et de folie vint écraser le pays — et ce sont les marchands qui menèrent la révolution, chassant le Duc fou (qu’on dit s’être réfugié en Faerie), interdisant les incursions de fées et instaurant la Loi, l’ordre et la raison.
Tous ces événements sont bien loin, et Lud-in-the-Mist coule depuis une existence aussi tranquille que prospère, dans un pays ayant toutes les apparences d’une normalité européenne, certainement vers la fin du XIXe siècle – il y a dans les caractéristiques du Dorimare pas mal de traits typiquement anglais, mais ce pourrait tout aussi être un petit pays oublié d’Europe centrale, genre Ruritanie…
Traditionnellement, car en Dorimare tout est affaire de tradition, le pays est dirigé par le Sénat — et la famille Chanticleer a l’habitude de voir son chef élu à la tête de cette respectable institution. Nathaniel Chanticleer est un notable de la ville et du pays, reconnu par ses pairs et respecté de tous. Ni plus intelligent ni moins frileux que ses collègues. Quoique… Il arrive que Maître Nathaniel éprouve un étrange frisson, en entendant par hasard telle ou telle chanson ou air de musique — la Note résonne alors à son oreille!
Sous la routine corsetée de Dorimare, dorment encore quelques résidus des temps du Duc Aubrey: les campagnes chuchotent toujours des légendes de cette époque légendaire, le Peuple Silencieux (ainsi appelle-t-on notamment les habitants de la Faerie) passerait parfois encore en Dorimare – et surtout: les fruits féeriques seraient encore consommés, amenés en contrebande dans le pays et sa capitale. Des fruits dont le nom même a été banni – la Loi (le code légal établi par les ancêtres de Chanticleer en véritable pilier de toute cette société) ne le désigne que sous des allusions, genre « tissus de soie »… Car ces fruits troubleraient la raison, conduiraient les gens a faire des choses étranges et/ou à fuir en Faerie, par-delà les Debatable Hills de l’ouest du pays. Seulement voilà: non seulement cette contrebande existe toujours, impunie, mais le propre jeune fils de Maître Nathaniel semble en avoir consommé un! Éclaboussé par le scandale, Maître Nathaniel envoie son fils à la campagne, dans la ferme d’une forte femme à la réputation douteuse — mais Nathaniel a été conseillé par le médecin le plus populaire de Lud, le mystérieux Endymion Leer. Et les choses vont en se détraquant à Lud: Nathaniel perd le siège de Maire, l’école des jeunes filles de bonne famille trafique des fruits féeriques, certaines jeunes filles s’enfuient en Faerie, les contrebandiers s’enhardissent, le médecin colporte des mensonges contre les Chanticleer, tout en complotant contre la société de Dorimare – en cheville avec les habitants de Faerie?
Anti-héros par excellence, le gros et paisible Nathaniel Chanticleer va devoir faire office de sauver de la nation, enquêter sur les faits étranges qui marquent Lud, et même: partir en Faerie rechercher son fils!
Dans sa préface, Neil Gaiman parle d’une succession de genres dans ce roman: guide touristique, pastorale, low comedy, high comedy, ghost story, detective story… Alliée à un style riche, souvent teinté d’une gentille ironie, parfois en proie à des envolées lyriques, cette succession fait du roman une oeuvre un peu étrange — non pas disparate, mais assez inclassable. À le lire, j’ai compris pourquoi des auteurs comme Mary Gentle, Neil Gaiman ou Richard Grant le citent régulièrement dans leurs influences – leurs oeuvres sont effectivement marquées clairement par la « patte » étrange de Hope Mirrlees. Sinon, il s’agit bien sûr de fantasy, mais d’avant Tolkien: ainsi, le pays de Faerie se situe à l’Ouest, pas à l’Est comme c’est généralement le cas depuis Tolkien. Et la manière d’écrire, les points de vue, la narration, les descriptifs… tout est typique du « pré-Tolkien » – on peut faire des comparaisons avec E. Nesbit, Peake, MacDonald, Dunsany… Bref: quoique datant de 1926 (mais Peake livra lui aussi son œuvre de manière très tardive), ce roman me semble typique de la fantasy victorienne & édouardienne.
À cette lecture, j’ai également pensé à l’univers mi-dessiné mi-rédigé du Néerlandais Marten Toonder (les aventures de Tom Pouce). Master Nathaniel m’a beaucoup rappelé l’aplomb pataud et bourgeois de M. Bommel — et l’ambiance y est non moins amusante/étrange.
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Noté le 11 janvier 2001
Joie: quelqu’un a enfin traduit le roman de Gus Van Sant. Pink.
C’est chez Hachette Littératures. Sous la direction de Michel Bulteau – ce qui ne m’étonne pas, somme toute: Bulteau lui-même a écrit plusieurs romans « homosensuels » & étranges, limite magiques. Celui de Gus Van Sant lui ressemble assez, je crois.
Pink est le récit gentiment halluciné d’un réalisateur de Los Angeles, dans les milieux de la pub, dont le chemin croise deux garçons incroyablement sensuels, libres, beaux, presque magiques, qui prétendent être les émissaires de la « Dimension Pink » – une dimension parallèle qui serait faite d’amour… Le livre est plein de petits dessins étranges, de croquis accompagnant le texte, de jeux de calligraphie. Pas d’intrigue véritablement, plutôt une dérive douce, dont les aspects inhabituellement « gentils » sont fortement atténués par la douleur qui ce dégage de toute l’ambiance: le narrateur est resté marqué par la mort de plusieurs jeunes gens – tout particulièrement une jeune star dont on comprend parfaitement qu’il s’agit de River Phoenix. Il évoque aussi le chanteur de Nirvana (pardon, son nom m’échappe pour l’instant), et j’ai pour ma part songé à Jeff Buckley.
Pink, c’est une sorte de William Burroughs sans la violence, sans la noirceur. Au contraire: Pink est un récit lumineux ; bouleversant mais toujours emplie de beauté. Et de sensualité, aussi – homosexuelle. Électrique comme les passages les plus tendres des Garçons sauvages de Burroughs. Une sorte de réalisme magique héphébophile, oserai-je dire…
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Noté le 25 juillet 2000
Je me disais l’autre aprem, en discutant avec un copain, que finalement les livres bouleversants, vraiment « importants » (en ce qu’ils opèrent un changement dans leur lecteur), n’étaient pas si nombreux… La plupart des livres que je lis, et j’en lis beaucoup, sont plaisants, amusants, haletants, parfois dérangeants, parfois tristes ou du moins mélancoliques, mais combien me font réellement réfléchir, combien me foutent réellement des frissons de vrai bonheur, combien parviennent à faire évoluer mon point de vue? Peu, bien sûr. Très peu. Arriverai-je moi-même, un jour, à écrire un tel livre ? Pas certain du tout : pour l’heure, dans mes balbutiements d’écrivain débutant, je ne cherche qu’à divertir mes lecteurs. Oh certes j’ai également cherché (dans mon roman Des ombres sous la pluie) à glisser quelques soupçons de réflexions politiques, mais rien de plus pesant qu’une simple « ambiance idéologique », disons. Rien de bouleversant, rien qui fasse réellement « grandir de l’intérieur », comme le disait une fois si poétiquement Sylvie Lainé à propos de Greg Egan.
Ceci dit, dans ma phrase ci-dessus (« mais combien me font réellement réfléchir, combien me foutent réellement des frissons de vrai bonheur, combien parviennent à faire évoluer mon point de vue? ») notez bien qu’il y a trois interrogations, trois états tous importants mais qui ne sont pas forcément synonymes. Récemment, par exemple, j’ai éprouvé un intense sentiment de bonheur-reconnaissance-admiration en lisant Ancient Echoes de Robert Holdstock – mais c’était purement personnel, une autre personne que moi n’y verrait pas le même genre de réussite. Pour moi, ce que fait Holdstock est idéal en ce sens qu’il écrit ce que j’aimerai, un jour, parvenir à écrire. Même chose, de façon un peu atténuée tout de même, pour le délicieux Tam Lin de Pamela Dean: il y a dans cette étrange comédie de moeurs estudiantines des tas de choses que j’aimerai savoir faire, en tant qu’auteur. Lire ces romans (mais Holdstock, surtout Holdstock!) comble donc à la fois mes attentes de lecteur, mes aspirations oniriques et mes recherches littéraires. Fort.
Greg Egan ne me fait pas cet effet-là: j’admire souvent, mais son type d’abstraction ne satisfait chez moi qu’une sorte de sens de l’esthétique intellectuelle, pas l’ensemble de mes autres attentes – sensuelles, oniriques, politiques, psychologiques, etc.
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Noté le 26 janvier 2000
Festival SF à Strasbourg
Invité à parler de Star Trek dans un petit festival — voilà une idée qu’elle est bonne. Un festival très cool. Au sens premier et anglais du terme: froid!
Je fus traité comme une royauté en déplacement, c’est assez rigolo: voyage en première classe, hôtel luxueux, repas payés, vouvoiement persistant, déférences, dédicaces, tout ça… Bien organisé, ce petit festival, mais (comme la plupart des petits festivals – et même certains grands: cf. Utopia) ils avaient oublié un « détail »: la communication. Aucune pub, apparemment. Et en tout cas aucun public.
Le samedi, je devais participer à un débat sur Star Trek, Babylon 5 et Galactica (!!), c’était sympa, mais le public était pour le moins… réduit : sept ou huit personnes. Heureusement, la salle de projection était minuscule, ça faisait intime. Le soir, projection de Gattaca, que j’ai donc vu une troisième fois, avec toujours autant de plaisir. Et de me faire convier au débat qui suivit. Sympa aussi – mais heureusement que Jean Alessandrini, un auteur (local) de polars et de romans pour la jeunesse, était là (comme public, pas comme invité): la pertinence de ses questions et de ses réflexions « drivèrent » une assistance à peine moins clairsemée que celle de l’aprés-midi…
Le dimanche, c’était salon du livre : le désert. Belle et grande salle, pas mal de stands (quoique absence de Phénix et de Bifrost – pour ce dernier, Girard avait chopé une grippe), des tas de fans en « pyjamas », des tas de maquettes ridicules, trop peu de bouquins, et Ténèbres. Mais de public, point. 120 personnes sur deux jours, parait-il. Une misère. On s’est ennuyé toute la journée. De fait, le matin je me suis éclipsé pour aller visiter la ville, que je ne connaissais pas. Un bonheur! Une ville splendide, j’ai adoré ma balade sur les quais et au cœur de la « grande île ». Architecture vaguement réminiscente (pour moi – et, oui, je sais que c’est un anglicisme) d’Amsterdam, pavés luisants, colombages, placettes abritées et passerelles sur le bras d’eau, une cathédrale colossale couleur de sang séché, écrasant de sa masse compacte le bourg amassé à son pied… Faisait froid, purée. À un moment, en passant sur une petite place au milieu de laquelle trônait une fontaine, je remarquai d’étranges rides sur la surface de l’eau: le gel commençait à la saisir. Et des étoiles ravissantes se dessinaient au fond de la fontaine, reflets projetés par la lumière de cristaux de gel en formation, invisibles dans l’eau elle-même.
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Noté le 22 janvier 1999
Lyon sous acide…
Je n’avais rien pris de plus fort qu’un thé, ce matin, mais j’ai pourtant vu plusieurs choses assez étranges… Comme souvent le vendredi matin, je me suis rendu dans le centre de Lyon, à la librairie Temps Livres – histoire de prendre ma « dose » de comics.
Premier choc: le bus passa devant une immense librairie que je ne connaissais pas. Ô raconte-moi la terre, qu’elle s’appelle, cette librairie. À l’angle des rues Thomassin et Grolée (près de la place de la République, quoi). Très belle, luxueuse, elle m’a rappelé un peu le look et l’ambiance des magasins Nature & Découverte, mais avec une orientation uniquement bouquins. Bref: c’est une librairie de voyage, comme je n’en avais jamais vu en France. Plus un cybercafé, à l’étage. Chouette.
J’ai ensuite dirigé mes pas vers Temps-Livres. Et deuxième choc. J’ai croisé une drag-queen. Si si, une vraie. Un mec assez costaud, vêtu en femme, robe et tout, maquillage, talons hauts…
Hem, bon, je continue mon chemin. Remontant la rue Herriot, je croise près du chantier du futur Virgin Megastore un couple de charmants garçons, en train de s’embrasser.
De s’embrasser, des garçons, dans la rue, en pleine ville? Si si.
Commençant à m’interroger sur ma stabilité mentale, ou sur l’éventualité de mon passage dans un Lyon parallèle, je continuai néanmoins. Las, le monde ensuite semblait redevenu « normal », je n’avais fait que passer très brièvement dans un autre Lyon. Dommage.
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Noté le 21 novembre 1999
Nobody expects the Spanish Inquisition: je viens de regarder le film Sliding Doors – offert par mon « cousin américain », Bruno.
Très sympa. Fin, subtil, in a minor way. Bien fichu, et satisfaisant jusqu’au bout. Et un « bonus » pour moi le londrophile, les décors anglais. Bref: un bon moment, merci. [noté le 29 juillet 2001 : et en fin de compte un film qui m’aura marqué, à sa manière, puisque certaines de ses images/situations me reviennent parfois]
Il n’est pas dans mes habitudes de regarder la télé le matin, mais justement ce matin je ne me sentais pas trop réveillé, j’ai donc eu envie de regarder un film, pour une fois, plutôt que de bouquiner – ou de boucler la maquette du Yellow Submarine sur San Francisco, à laquelle il faut encore que j’apporte quelques menues retouches [San Francisco ville de l’imaginaire, paru aux éditions Bifrost/Étoiles Vives]. Faut dire que j’ai fait un rêve étrange, cette nuit. Pas en rapport avec la Gang comme ceux que j’avais raconté il y a quelques temps, mais un rêve peut-être encore plus étrange car mettant en scène des « personnages » que j’ai imaginé, et une situation… inhabituelle. J’étais étudiant, et je m’engageais comme soldat dans une guerre de libération anti-fasciste, dans un pays d’Europe proche de la France – l’Italie ou quelque chose comme ça, dans une situation politique à la guerre civile espagnole… Étrange, non? Comment de telles idées viennent-elles diable à l’esprit? Et pour ajouter à l’étrangeté de la chose, je me souviens distinctement m’être à demi réveillé cette nuit, terriblement oppressé, peut-être pleurant dans mon sommeil, et… de m’être immédiatement replongé dans ce cauchemar, ayant envie de « savoir la suite ». Et suite il y eu, avec mon échappée pour la France lorsque les révolutionnaires dont je faisais partie sont en train de se faire massacrer. La remontée difficile, à pieds, à travers les montagnes, vers la France. Je retournais à ma vie étudiante, rejoint par deux de mes co-équipiers – un grand brun baraqué et un gros châtain – qui étaient également parvenus à s’échapper, un peu après moi. Mais notre leader, une fille prénommée Marielle, ainsi que nos deux autres amis (une fille blonde aux cheveux plats prénommée Lise et un autre mec), semblaient avoir péris dans la guerre… Et puis, juste avant que je me réveille pour de bon ce matin, Lise réapparaissait au campus, avec la nouvelle que Marielle et l’autre s’étaient enfuis aux États-Unis après la guerre, pensant que nous, nous étions morts.
(Happy) End of the story.
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Noté le 15 novembre 1998
Deux rêves. Le premier date de cet été:
La Gang était invitée à déjeuner chez Sylvie Lainé. Curieuse maison que celle de Sylvie: il s’agit simplement d’un pré, très en pente, dont les hautes herbes n’ont pas été fauchées. En bas du pré, la table où nous déjeunons, sous un arbre – un vieux pommier, je crois, avec ses branches tordues couvertes de lichen gris et son feuillage éparse. Je suis assis face à la pente du pré, Zabeth est à ma droite, Sylvie en face de moi, Gizmo est assis en face de Zabeth. Il fait très beau, grand ciel bleu, les hautes herbes blondes frémissent dans le vent. Le pré/maison de Sylvie est bordé par une haie (basse, verte sombre, constituée de diverses plantes et arbustes), Roland (le mari de Sylvie) rentre chez lui par le portillon qui s’ouvre dans cette haie tout en haut du pré. Il descend nous rejoindre pour déjeuner. Nous lui disons à peine bonjour, car nous sommes inquiets pour la santé de Sylvie: elle est de moins en moins cohérente, elle bafouille, ne sait pas où elle est… Roland la saisie par les épaules, il est inquiet à son tour, nous explique qu’il n’aurait jamais dû vendre le portrait de Sylvie! Les Lainé-Cruzel avaient une peinture représentant Sylvie, et ils se sont laissés convaincre de la vendre à une galerie. Roland pense que la propriétaire de la galerie se sert du portrait de Sylvie pour lui voler son âme! Nous quittons le pré, pour nous mettre à descendre les pentes de la Croix-Rousse, bien décidés à récupérer le portrait de Sylvie…
Le rêve de cette nuit:
Je suis dans des dunes, au bord de la mer, en compagnie de ma mère, de ma tante, de ma soeur, de mon frère… Le « casting » change tout le temps… Le ciel est bas, encombré de nuages fuligineux. Les dunes sont hautes, terriblement escarpées et assez étranges, la consistance du sable rappelle plutôt celle de la neige fraîche, de la poudreuse. D’ailleurs, à un moment ma maman est en train d’appeler d’un téléphone cellulaire, assise à flanc de dune face à la mer, quand je passe au-dessus d’elle – le sable glisse, la recouvre, elle se secoue, le sable s’en va comme une simple neige légère. Ma soeur me désigne quelque chose sur le flanc de la dune suivante: des antennes commencent à pousser, longues & lisses, en bouquet, qui lancent des éclairs (rouge et bleu et vert) en direction du ciel sombre, je pense: « Il faut que j’en parle à Zabeth, ils ont enfin trouvé le moyen de lancer des messages vers les étoiles ». Nous sommes au sommet des dunes, très haut au-dessus de l’océan – la mer est d’une très belle couleur: un jaune acide tirant vers le vert, elle est presque fluo, quasiment lumineuse. Agnès (ma soeur) est partit en direction d’une bâtisse érigée au bord d’encore une autre dune, il s’agit d’une sorte de blockhaus, mais de la même couleur beige/blonde que le sable des dunes. Je rentre à l’intérieur de l’édifice, constitué simplement de deux pièces aux portes et fenêtres vides, aux murs nus. Mon copain Gizmo est là, en compagnie de mon père, ou est-ce mon frère? La première pièce est nue, vide, un simple cube de béton blond sans intérêt, je passe dans l’autre pièce, qui ouvre de larges fenêtres carrées sur la mer. Nous plongeons dans l’eau délicieusement verte/jaune, des reflets citron jouent sur les vagues, la teinte de l’eau se transforme en émeraude de plus en plus sombre selon la profondeur et les endroits, des rougeoiements courent dans les lourds nuages gris mais il fait doux. Nous nageons jusqu’à la plage en pente très douce…