#21

Notes éparses sur idéologie & littératures de l’imaginaire… C’est du jeté rapidos sur le papier (virtuel, le papier), ‘scuzez du décousu des propos…

Je disais l’autre jour avoir été déçu par Reconquérants de Johan Heliot, alors que j’avais beaucoup aimé son précédent roman, La Lune seule le sait. But why?

C’est une question de traitement « politique » de l’intrigue. Pour moi, il n’y a de littérature vraiment intéressante (au sens de « qui m’intéresse moi, AMHA ») que la littérature concernée par le présent, par le social, par la « vie de la cité » (sens premier du mot « politique »). C’est ce qui fait dire à certains amateurs de science-fiction, tel Roland C. Wagner par exemple (un des auteurs qui m’intéressent le plus, ceci dit en passant), que la SF trouve une bonne part de sa force, de son intérêt, dans le fait qu’il s’agit du genre parlant le mieux du présent. Well, je ne suis pas (plus) d’accord avec ce point de vue — on trouve dans toutes les littératures des oeuvres, par larges pans, qui parlent du présent avec brio. Et ce, y compris en fantasy, n’en déplaise aux snobs obtus genre Gérard Klein (qui écrivit un jour que « La Fantasy est une littérature faite par des ignorants pour des ignorants et dont le niveau de problématique est nul. » Je tiens cette phrase pour l’une des grandes réussites humaines, en matière d’imbécilité prétentieuse). De plus, un autre élément me semble nécessaire, dans l’alchimie d’une littérature qui me touche: l’humain. Et ça, la SF en a souvent été singulièrement dépourvue — trop d’auteurs de SF ne traitent leurs personnages que comme de simples vecteurs de leur intrigue, sans humanisme, sans psychologie…

La Lune seule le sait a une manière (trop rare) de faire du steampunk une manière de « revisitation uchronique » d’idéologies séduisantes — quoique jamais appliquées (applicables?) de manière satisfaisante dans la réalité. Oh bien sûr, Johan Heliot semble parer d’une bonne dose de romantisme l’idée de l’anarchisme communard. Mais c’est l’exercice de style qui veut ça, pas vraiment l’auteur: Johan écrit un roman « à la manière de » l’époque. En fait, on comprend bien dans sa postface qu’il ne se leurre pas vraiment sur les Communards (cf. les massacres commis par les Communards à la fin de la Commune). Simplement, il illustre leurs théories d’une manière empreinte de l’idéalisme et du lyrisme de l’époque… Et en tant que matière à fiction, les convictions anarchistes sont d’un souffle puissant, d’une beauté séduisante.

J’avais trouvé dans La Lune seule le sait le même souffle utopiste et touchant de naïveté (hélas) que dans Freedom & Necessity de Steven Brust & Emma Bull. Encore inédit en France, cet énorme roman est situé aux débuts du communisme, en Grande-Bretagne à l’époque de Marx & Engels. Freedom & Necessity est un bouquin génial et incroyablement culotté (quoiqu’un peu trop long, avouons-le). Typique de la démarche des Young Trollopes dont je parlais dans mon précédent blog (ah, ah, tout est lié!). Des personnages forts, aux destins complexes et imprévisibles (donc réalistes), alliés à un contexte idéologique important: là se trouve l’une des bonnes recettes pour une littérature populaire & de qualité, m’sieurs-dames! 😉

Dans la réalité, m’ont toujours frappées par leur naïveté les personnes se réclamant de l’anarchie (des militants de la Fédération Anarchiste) que j’ai pu rencontrer. L’idée est belle, oui, mais je la juge par trop irréaliste pour ne serait-ce que « suspendre mon disbelief » (!) assez longtemps pour faire semblant d’y croire — dans la réalité. Dans la fiction, je veux/peux marcher! Si, bien sûr, l’on sépare l’anarchisme au sens strict du courant libertaire au sens plus large… J’ai (tout comme Johan Heliot) une tendresse certaine pour des rebelles indomptables comme Marius Alexandre Jacob ou Jules Bonnot, mais trop d’entre eux ont sombré dans l’extrémisme, l’intolérance, l’aveuglement, la tuerie… Je parviens à les comprendre, mais les excuser? L’atroce pression de leur société a broyé ces hommes, les a conduit aux pires extrémités. D’une généreuse utopie, ils ont basculé dans la plus complète noirceur (sur Jules Bonnot, lire En tout cas pas de remords de Pino Cacucci).

Dans La Lune seule le sait, Johan Heliot utilise la SF pour faire effectuer à ses personnages une trajectoire inverse — il ne s’agit certes que de fiction, mais ça demeure assez exaltant, et cela permet de réfléchir un peu.

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